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1992-2017 : les grandes manœuvres

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1992-2017 : les grandes manœuvres | business-magazine.mu

En un quart de siècle, l’économie mauricienne a connu un parcours des plus atypiques : de 6,8 % en 1992, la croissance est tombée à 3,5 % en 2016. La route vers le statut de pays à revenu élevé s’annonce dès lors longue et difficile.

Il y a 25 ans, Maurice prenait le pari de l’offshore. Timidement certes, mais convaincu de son potentiel. Une initiative payante ! L’industrie connue désormais comme le Global business participe pleinement à la croissance économique et à la création d’emplois à travers les services financiers.

Au même moment, Rama Sithanen, ministre des Finances, dévoile «sa vision de l’avenir» dans la première édition de Business Magazine. L’un des principaux défis de l’époque : contenir la surchauffe économique et maîtriser l’inflation. De 13,5 % en 1990, celle-ci a effectivement été ramenée à 4,6 % en 1992.

Outre l’inflation, Maurice s’inquiète du paysage économique mondial, notamment de la récession dans plusieurs pays anglo-saxons. Ayant fait le choix de l’ouverture quelques années auparavant – un modèle recommandé par le Fonds monétaire international –, le pays était exposé à des risques de ralentissement dans l’éventualité d’un prolongement de la récession qui s’abattait depuis plus d’une année sur les États-Unis, la Grande-Bretagne et le Canada.

Toutefois, il n’en fut rien. Au contraire, Maurice s’en est sorti avec une croissance de 6,8 % en 1992. Ce qui représente une progression de 2,4 % par rapport à 1991. Un résultat attribuable aux performances de deux secteurs clefs : le sucre et le tourisme. Les répercussions sur le chômage étaient plus que positives. La preuve : le taux durant cette période était calculé à 3,3 %.

Le soutien de la Banque de Maurice a été aussi de taille dans le cadre de la création d’un écosystème favorable aux affaires et à l’investissement. Le régulateur devait, en effet, réduire son taux directeur de 11 % à 8 %.

Les décisions politiques n’ont fait que contribuer à stabiliser davantage l’environnement macroéconomique après les soubresauts post-indépendance. Du premier Budget de Rama Sithanen, l’économiste Pierre Dinan dira en juin 1992 que l’objectif était «de deux ordres : économique et social».

Sur le plan économique d’abord, le but consiste à «poursuivre la modernisation et la diversification tout en maîtrisant l’inflation». S’agissant du social, l’économiste observe une volonté du ministre de «protéger les groupes vulnérables et d’améliorer les conditions de logement».

Malgré cette apparente stabilité des principaux indicateurs, les observateurs économiques avaient flairé le danger par rapport à la durabilité de la croissance. D’où le débat sur l’importance de la productivité, de l’efficience dans les corps parapublics ou encore le rôle d’une politique de change reflétant les fondamentaux. Les événements qui ont suivi justifient d’ailleurs cette prise de position. Car les années 1993 et 1994 allaient être marquées par un recul de la croissance. Le produit intérieur brut ne croîtra, en effet, que de 4,9 % et 4,6 % respectivement durant cette période tandis que l’inflation prendra l’ascenseur pour atteindre 10,5 % avant de descendre à 7,3 % l’année suivante.

C’était l’ère de la libéralisation, déclare Eric Ng, directeur de PluriConseil. Ce qui a permis de jeter véritablement les bases de l’industrie des services. Rama Sithanen s’en souvient. «L’abolition du contrôle des changes est une des mesures les plus importantes de l’histoire du pays», insiste-t-il. Évidemment, on finit avec le temps par «take it for granted» mais l’ancien ministre des Finances se remémore les difficultés rencontrées pour faire aboutir cette démarche.

«Même le Gouverneur de la Banque de Maurice était contre l’idée à l’époque», fait-il remarquer. Les craintes portaient surtout sur une éventuelle fuite de capitaux avec des conséquences innommables sur les réserves et la couverture d’importation. Avec le début de la fin des préférences commerciales, il fallait agir. L’impérativité de la diversification et la poursuite de la stratégie d’ouverture ont fini par avoir le dessus malgré la pluie de critiques. Et Rama Sithanen de souligner que «sans cette décision, il n’y aurait pas eu de Global business aujourd’hui».

Le basculement dans le 21e siècle est beaucoup plus compliqué à gérer car dès l’entame des années 2000, le pays se retrouve dans une période de grande volatilité. Sans filet de protection et soumises à la compétition globale, plusieurs industries sont forcées de se restructurer pour survivre. Le sucre et le textile sont mis à rude épreuve avec la fin du Protocole sucre et le démantèlement de l’accord multifibre.

Pravind Jugnauth, en tant que ministre de l’Agriculture, enclenche alors la réforme sucrière. Nous sommes en 2001 lorsqu’un plan stratégique est présenté afin de permettre à cette industrie d’envisager l’avenir avec une plus grande sérénité. Un plan de retraite volontaire est proposé à des milliers d’employés avec, en parallèle, la centralisation de plusieurs usines. Ce qui a permis à l’industrie sucrière de devenir l’industrie cannière.

Le textile et habillement, qui est à la base d’une révolution économique et sociale à Maurice, n’est pas épargné. Confronté à la compétition mondiale, le secteur n’a eu d’autre choix que de monter en gamme. La Textile Emergency Support Team mise sur pied en 2003, couplée à d’autres mesures, a aussi permis à certaines entreprises de rebondir alors que d’autres mettaient la clef sous la porte.

Les années 2000 verront par ailleurs l’émergence du secteur des technologies de l’information et de la communication, de même que celui du seafood. C’est également la naissance de la cybercité d’Ébène. Au niveau de l’immobilier, le concept d’Integrated Resort Scheme est introduit pour permettre aux étrangers de faire l’acquisition de villas. Grâce à ces initiatives, le pays arrive à résister avec une croissance moyenne de 5,6 % entre 2000 et 2005.

Toutefois, la crise financière de 2008 changera complètement la donne. Sa mutation en une crise économique globale exposera d’ailleurs les limites de notre modèle. Depuis, le rythme de l’expansion de notre produit intérieur brut a nettement ralenti. La croissance est passée de 5,1 % en 2008 à 3,5 %. Cela, en dépit des projections ambitieuses de nos dirigeants.

À différentes étapes de son développement, le pays a été confronté à des chocs tant sur le plan interne qu’externe. Tel est encore le cas aujourd’hui. Les événements comme le Brexit et la révision du traité fiscal avec l’Inde, entre autres, redessinent le paysage et imposent de nouveaux défis aux décideurs politiques et aux capitaines d’industrie. Avec une marge de manœuvre réduite et des moteurs de croissance traditionnels qui s’essoufflent, le pays ne parvient pas à échapper au piège du revenu intermédiaire.

«En l’absence de réformes structurelles, il sera difficile de franchir le cap pour entrer dans la ligue de pays à revenu élevé», estime Rama Sithanen. Pour réussir ce tournant majeur, Maurice doit pouvoir compter sur des institutions solides et des investissements de qualité dans les infrastructures. Eric Ng souligne également la nécessité d’investir dans le capital humain. Car le manque de main-d’œuvre qualifiée continue de freiner la transition économique. Le déséquilibre sur le marché de l’emploi requiert donc une attention particulière de la part des pouvoirs publics. Tout comme la facilitation des affaires et l’innovation.

Tous les analystes s’accordent à dire que la continuité dans les grandes orientations économiques est à la base de notre réussite. Contrairement à d’autres pays, ce qui se passe aux États-Unis actuellement en est un exemple : il n’y a pas eu de policy reversals, mais plutôt des project reversals. Tant mieux ! Mais le temps est venu de changer de monture, surtout si nous voulons aller plus loin.