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Eurobonds : une option pour l’État en vue de lever des capitaux

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Avec la dégradation des finances publiques, l’État peut contempler l’éventualité de lever des capitaux en émettant des instruments de dette pour financer la relance de l’économie. L’une des options à envisager est l’émission d’eurobonds. Cet instrument d’investissement et d’emprunt a souvent été utilisé pour financer des projets d’envergure.

Un eurobond ou euro-obligation est une dette ou une créance libellée dans une monnaie différente de celle du pays ou du marché dans lequel l’instrument est émis. Il n’a rien à voir avec les eurobonds de l’Union européenne qui sont une mutualisation de la dette des pays de la zone Euro. Pour la petite histoire, c’est l’ex-URSS qui, dans les années 50, avait été le premier État à émettre des eurobonds pour lever des investissements en dollars (on parle alors d’eurodollars) sur le marché international pour financer sa reconstruction. Aujourd’hui, alors que les États voient leurs finances fondre comme neige au soleil, l’idée d’émettre des eurobonds pour capter les investissements en devises étrangères fait son chemin. À Maurice également, la question est d’actualité. Face à une dégradation des finances publiques, le Trésor public gagnerait à étudier cette option. Mais attention, c’est un instrument qui est à double tranchant, notamment parce qu’il implique que l’État s’endette davantage. C’est la raison pour laquelle les analystes et économistes sont divisés sur la question. Selon Ismaïl Pomiès, Senior Fund Manager à AXYS Investment Partners, un eurobond est une obligation ayant trois caractéristiques bien particu[1]lières. «La première est qu’un eurobond est émis et vendu en dehors des frontières du pays d’origine de l’émetteur. Cette obligation est aussi libellée dans une devise généralement étrangère à celle de la devise de l’entité émettrice. Elle ne se limite pas à l’USD, l’EUR ou à la GBP. Et, enfin, elle doit aussi avoir été émise dans plusieurs pays simultanément via un syndicat d’institutions financières», explique-t-il. Avant d’ajouter que compte tenu du caractère transnational du marché dans lequel il s’échange, un eurobond, contrairement à une obligation étrangère ou domestique, s’adresse à une base d’investisseurs très large ne se limitant pas à un pays.

AMIT BAKHIRTA
(CEO D’ANNEAU)

PHILIPPE KOCH (GESTIONNAIRE DE
FONDS À MILTENBERG CAPITAL)

ISMAÏL POMIÈS
(SENIOR FUND MANAGER À
AXYS INVESTMENT PARTNERS)

UN INSTRUMENT VALABLE

«On comprend l’intérêt pour un État d’émettre ce type d’instrument. Il peut s’agir pour lui de financer des investissements s’effectuant en devises étrangères, par exemple, les projets d’infrastructures. Ou bien de bénéficier d’un contexte de taux plus favorable à l’étranger et de profiter d’un ensemble plus large d’investisseurs que ne pourrait offrir le marché domestique», observe-t-il. Complétant cette analyse, Philippe Koch, gestionnaire de fonds à Miltenberg Capital, souligne que cet instrument est particulièrement utile pour un État envisageant une levée de fonds en devises étrangères pour financer des projets de grande envergure. «Ce sont souvent les pays dits émergents qui émettent les eurobonds parce que leur marché de capitaux domestique n’est pas assez développé et ne donne pas suffisamment accès aux devises fortes, comme le dollar US ou l’euro. Au-delà de l’accès aux devises, l’émission d’eurobonds donne de la visibilité au pays émetteur dans les banques d’investissement et auprès des investisseurs institutionnels de premier rang. Donc, l’émission d’un eurobond a un effet de «marketing» pour le pays émetteur, tout comme un IPO (Initial Public Offering) fait du «marketing» pour une entreprise. Un autre aspect très important est la discipline fiscale qui vient avec l’émission d’eurobonds parce que la gestion des finances de l’État sera suivie de près par les analystes financiers internationaux», commente Philippe Koch. Et de préciser que ce sont à la fois les grandes entreprises internationales et les États qui, généralement, émettent les eurobonds. Aujourd’hui, ce marché est bien développé. Il est estimé à plus de 100 milliards de dollars. De son côté, Amit Bakhirta, fondateur et CEO d’Anneau, fait ressortir qu’effectivement, l’émission d’eurobonds est une option à considérer pour le gouvernement mauricien. Mais, insiste-t-il, il faut en comprendre les tenants et les aboutissants. «Cet instrument de dette (obligations) largement utilisé est raisonnablement simple lorsqu’il est émis par un État souverain. C’est peut-être plus complexe pour une entreprise privée.

Par ailleurs, le point fort pour Maurice est qu’il permet de choisir un pays favorable pour émettre des obligations et des devises. Par exemple, on peut choisir un pays avec des taux d’intérêt bas, avec un accès à une vaste gamme de périodes de maturité des obligations qui peuvent être choisies par l’émetteur, ou encore utiliser le commerce obligataire international et cela, bien qu’il soit émis dans un certain pays, ce qui élargit la base d’investisseurs potentiels, y compris pour les banques locales avec des dépôts GBC importants», précise-t-il. Et d’ajouter qu’en règle générale, les institutions financières, telles que les banques d’investissement, émettent des obligations au nom de l’emprunteur. «Si une banque est responsable du processus de souscription, cela implique une garantie à l’emprunteur que la totalité de l’émission obligataire sera vendue sur le marché primaire au cours du processus initial d’offre de dette. La principale raison de l’émission d’euro-obligations est le besoin de capitaux en devises (et donc généralement l’utilité de cette dette devrait être dans la devise correspondante). Puisque les obligations sont des titres à revenu fixe, elles offrent généralement un taux d’intérêt fixe aux investisseurs. Mais les prix varient en fonction de la notation de crédit», arguet-il. Toujours selon Amit Bakhirta, bien que l’eurobond reste une alternative, son utilisation doit être faite avec beaucoup de precaution.

POSSIBILITÉ DE LEVER JUSQU’À $ 3 MILLIARDS

Concrètement, quel montant l’État mauricien pourrait-il lever en émet[1]tant un instrument de dette souveraine comme l’eurobond ? Amit Bakhirta y va de son calcul : «La dette extérieure de notre pays tourne autour de 21,3 % du PIB (soit Rs 91 milliards ou 2,1 milliards de dollars). Nous présentons déjà des déficits jumeaux (compte courant et budgétaire). Par conséquent, nous pouvons lever encore 2 milliards à 3 milliards de dollars en euro-obligations. Cependant, nous devons également garder à l’esprit que nous pouvons d’une manière ou d’une autre imprimer des roupies pour rembourser notre dette locale, mais nous ne pouvons pas imprimer des euros ou des dollars à volonté. Donc, lors de l’émission d’euro-obligations, le gouvernement doit veiller à ce que ses intérêts (passifs) correspondent à des revenus (actifs) en devises. Cela peut s’avérer extrêmement délicat dans un environnement où règne un manque criant de discipline fiscale. Vu l’incapacité de contenir la valeur de votre monnaie locale, la dépréciation durable de votre monnaie locale augmentera le fardeau du service de la dette des eurobonds. Par exemple, si cela vous coûte Rs 49 pour acheter 1 euro pour rembourser votre dette en eurobonds aujourd’hui, cela peut vous coûter Rs 59 pour acheter le même euro pour rembourser la même dette si la roupie se déprécie encore de -20%», fait-il remarquer. Pour sa part, Philippe Koch note qu’il y a un véritable intérêt de la part des investisseurs institutionnels pour des dettes souveraines comme les eurobonds. Le fait que le taux d’intérêt de l’obligation des États- Unis de 10 ans a chuté lourdement avec la crise de Covid-19 y est pour quelque chose. «Ce taux est actuellement à 1,66 % après avoir touché 0,50 % en 2020. Les investisseurs in[1]ternationaux cherchent des alternatives plus rémunératrices. Ces derniers mois, il y a eu des émissions des pays lourdement endettés à l’extérieur comme le Ghana qui se sont ven[1]dues comme des petits pains», soutient-il. Il estime d’ailleurs que pour une émission considérée comme un benchmark qui sera incluse dans un indice comme le JP Morgan Emerging Markets Bond Index Global et qui aura suffisamment de liquidités sur le marché secondaire, Maurice doit pouvoir lever un minimum de $ 500 millions (environ Rs 20 milliards). À noter, par ailleurs, que le Ghana a levé $ 3 milliards en avril. Cela montre la forte demande des investisseurs pour ce type de placement.

Project bonds : Financement d’un projet unique.

Facilitant la traçabilité des flux financiers tout en réduisant les risques de détournements de fonds, les Project bonds visent le financement de grands projets d’infrastructures liés aux domaines de l’énergie, des transports et des technologies de l’information et de la communication. Leur spécificité réside dans le fait que les flux financiers dégagés par l’émission des obligations sont entièrement consacrés à la réalisation du projet. Dans cette configuration précise, il est aussi prévu que le remboursement se fasse exclusivement par la masse financière créée à partir de l’exploitation du projet une fois que celui-ci aura été concrétisé. Pour Amit Bakhirta, le projet de Metro Express aurait dû être réalisé grâce à ce type d’instrument. Cela aurait garanti une certaine pression de la part des investisseurs sur le service de la dette et la viabilité financière d’un tel projet d’infrastructure. En effet, le rattachement des obligations aux projets améliore la Risk evaluation pour les investisseurs tout en obligeant les emprunteurs à mieux suivre la réalisation des projets. Toutefois, les Project bonds ne peuvent pas être utilisés pour tous types de projets d’infrastructures. À titre d’exemple, la création de routes et d’autoroutes, quoique indispensable pour le développement d’un pays, ne permet pas de générer des flux financiers importants pour rembourser les charges d’emprunt en ce qui concerne ces obligations de projets.

Le marché des Eurobonds est estimé autour de $ 100 milliards

Le rôle clef d’Euroclear dans l’éventualité d’une émission d’eurobonds

La présence d’Euroclear à Maurice pourrait faciliter une éventuelle levée de fonds via des eurobonds. Il faut savoir que la plupart des eurobonds émis dans le monde sont listés, traités puis détenus via Euroclear. Pour Amit Bakhirta, il est fort probable que si le pays se tourne vers cet instrument, Euroclear jouera clairement un rôle. «De par leur nature, les euro-obligations les obligent à être extrêmement «liquides» ; par conséquent, leur négoce et leur règlement, sur une base quotidienne, sont extrêmement importants. Cela définit leur attrait pour les investisseurs mondiaux mais aussi locaux, qui peuvent diversifier leur exposition aux obligations d’État en devises», développe-t-il. Philippe Koch n’est pas du même avis. Selon lui, la présence d’Euroclear à Maurice n’aura pas vraiment d’impact sur l’émission d’eurobonds. «L’Euroclear est un comme le Central Depository Settlement à Maurice, mais elle est utilisée mondialement par toutes les grandes banques et investisseurs. Si Maurice émet un eurobond, le «settlement» pour l’achat se fera toujours à travers des systèmes tels qu’Euroclear ou Clearstream. C’est l’une des banques d’investissement qui accompagneront l’émission qui s’occupera de ce processus administratif», soutient-il.

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