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Global Business : Dernière ligne droite pour sortir de la liste grise du GAFI

Depuis son inclusion sur la liste noire de l’Union Européenne, Maurice multiplie les efforts sur les plans juridique et réglementaire afin de démontrer sa volonté d’adresser les cinq déficiences stratégiques relevées par le groupe d’action financière. L’organisme intergouvernemental vient de confirmer que nous sommes sur la bonne voie pour une sortie prochaine de sa liste grise.

En février 2020, le Groupe d’action financière (GAFI) plaçait Maurice sur sa liste des juridictions sous une surveillance accrue, en se basant sur le Mutual Agreement Report de l’Eastern and Southern Africa Anti-Money Laundering Group (ESAAMLG), qui relevait cinq déficiences stratégiques dans notre mécanisme de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. À la suite de quoi, le pays était placé officiellement sur la liste noire de l’Union européenne en octobre 2020. Depuis, c’est le branle-bas de combat. Les autorités ont travaillé d’arrache-pied en vue d’appliquer un ensemble de réformes juridiques et réglementaires afin de se conformer au plan d’action du GAFI. Car pour s’extraire de la liste des juridictions à risques élevés de l’Union européenne, la première étape est de sortir de la liste grise. Ce processus est complexe : il touche non seulement le secteur financier, mais aussi des entreprises et professions non financières désignées (DNFBP), à l’instar des agents immobiliers, des bijouteries ou des notaires. Il faut savoir que le GAFI avait initialement donné deux ans à Maurice pour compléter le plan d’action. Mais les efforts concertés du ministère des Services financiers, de la Banque de Maurice, de la Financial Services Commission, de la Financial Intelligence Unit, entre autres parties prenantes, ont donné des résultats probants. Ainsi, la bonne nouvelle est tombée vendredi. Le président du GAFI, Marcus Pleyer, a annoncé que Maurice et le Botswana ont complété de manière substantielle leur plan d’action. Ainsi, les techniciens du GAFI mèneront prochainement une mission d’évaluation à Maurice pour constater de visu la façon dont les autorités coordonnent leurs actions. De là, ils pourront juger de l’efficacité de notre mécanisme de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.

 

UNE BONNE DYNAMIQUE

Une nouvelle qui est, bien évidemment, accueillie avec un grand soulagement par les opérateurs. Dans une déclaration, le CEO de Mauritius Finance, Samade Jhummun, fait remarquer que «lors de la prochaine ‘on-site inspection’, les progrès effectués seront validés par l’équipe du GAFI, ouvrant la voie à une sortie de Maurice de la liste des ‘High risk and non-cooperative jurisdictions’ de l’organisation bien avant 2021»

 

«Il est fort probable que le secteur jouisse d’une longue période de stabilité»

Shahed Hoolash (Managing Director de Vistra)

Il est rejoint par Shahed Hoolash, le Managing Director de Vistra, qui insiste sur le fait que Maurice a fait des progrès significatifs dans son mécanisme de lutte contre le blanchiment d’argent et que cela est reconnu à juste titre par le GAFI. Même si aucune date n’a été avancée à ce stade, Shahed Hoolash estime que la mission d’évaluation devrait se tenir avant septembre car la réunion du GAFI est prévue en octobre. Commentant l’annonce de Marcus Pleyer, le Managing Director d’AAMIL Group, Ludovic Verbist, est également d’avis qu’il y a de fortes chances que le GAFI nous retire de sa liste grise en octobre prochain car tout porte à croire que son évaluation devrait être positive pour Maurice. Toutefois, il faudra patienter encore un peu avant le delisting du «blacklist». Il s’explique : «Le comité d’évaluation de l’Union européenne se réunit également au mois d’octobre chaque année (cela reste à vérifier). Je vois mal comment l’ordre du jour de l’Union européenne pourrait comprendre le sujet de Maurice, si le sujet n’aura pas encore été débattu au sein du GAFI, que l’Union européenne suit totalement. Nous devrions dans ce cas encore patienter». De son côté, Amit Bakhirta, le CEO d’Anneau, dit accueillir avec satisfaction les progrès louables réalisés par les décideurs politiques et estime que «cela aidera énormément nos industries bancaires, financières et périphériques. La détermination du GAFI selon laquelle Maurice a «substantiellement» achevé son plan d’action et, par conséquent, le mandat d’une évaluation sur place pour des vérifications supplémentaires et des recommandations ultérieures sur les réformes d’AML/CFT constituera une impulsion positive pour notre retrait de la liste grise du GAFI, mais aussi de la liste noire des pays à haut risque du Royaume-Uni»

Depuis l’introduction de Maurice sur la liste noire, l’on a noté un ralentissement dans les transactions structurées à partir de notre plateforme financière. Ainsi, Shahed Hoolash note une diminution des transactions au niveau des produits sophistiqués comme les fonds d’investissement. «Clairement, les investisseurs se montrent plus prudents. Mais la sortie de la liste noire va forcément inverser cette tendance. Un changement de cap s’est opéré avec une nouvelle culture sur la question de conformité car il s’agit de pousser notre juridiction vers quelque chose de plus solide», fait-il ressortir.

«Je suis optimiste car nous disposons d’un bassin de talents et d’une expertise croissante»

Amit Bakhirta (CEO d’Anneau)

Le CEO d’Anneau abonde dans le même sens, soutenant qu’ajusté pour la saisonnalité et compte tenu de l’impact de la Covid-19, l’on a noté que les investissements directs étrangers (IDE) se sont effondrés en 2020. Alors que le total des IDE à Maurice (hors GBC) avait ralenti d’environ -43,3 %, les IDE du Royaume-Uni et de l’Europe ont contracté respectivement de -52,6 % et -20,5 %. De plus, de nombreuses banques commerciales locales font l’objet d’une évaluation de conformité accrue de la part de leurs banques correspondantes et de leurs contreparties. «De nouveaux accords avec les banques correspondantes sont susceptibles d’avoir été affectés. Les sociétés financières domiciliées à Maurice ainsi que les particuliers ont éprouvé des difficultés accrues à effectuer des transactions à l’étranger en raison de notre présence sur les listes grise et noire. La domiciliation de nouveaux fonds dans notre juridiction peut également avoir été retardée et placée sous examen. Dans un environnement où les flux d’affaires et de capitaux indiens se tarissent rapidement, couplé à notre inhabilité à conclure de nouveaux accords d’évitement de double imposition avec des alliés africains clefs, notre retrait de ces listes d’interdiction est primordial», argue-t-il. Quant à Ludovic Verbist, il note que l’impact est bien sûr avant tout réputationnel. Mais, en pratique, précise-t-il, «on constate que les ouvertures de comptes bancaires pour des sociétés de droit mauriciennes, à Maurice même, sont devenues excessivement difficiles et pratiquement impossibles à l’étranger. Par ailleurs, les transferts bancaires impliquant Maurice sont soumis à une surveillance accrue par les banques correspondantes et impliquent des retards et des pertes de temps administratives».

«Je ne crois pas que maurice opérera dans un environnement législatif sur-réglementé»

Ludovic Verbist (Managing Director d’Aamil Group)

RÉGLEMENTATION : UN MAL NÉCESSAIRE

Alors qu’on entrevoit la lumière au bout du tunnel, les acteurs du monde financier doivent bien se dire qu’ils sont appelés à opérer dans un environnement fortement réglementé, et ce, conformément à la vision de Maurice de se démarquer comme une juridiction de substance et de se positionner comme un centre financier international. «On ne sera pas sur-réglementé, mais plutôt réglementé à un niveau de normes internationales différemment de nos compétiteurs qui n’ont pas encore reçu ces recommandations du GAFI. Notre business model’ est déjà transformé. Il est fort probable que le secteur jouisse d’une longue période de stabilité. Aujourd’hui, les îles Caïmans se retrouvent dans l’obligation d’abattre le même travail que Maurice», précise Shahed Hoolash.

Pour sa part, Amit Bakhirta estime qu’il est préférable d’être sur-réglementé que sous-réglementé tant que cela n’est «pas prohibitif pour l’innovation, le progrès intellectuel et capitalistique de l’industrie sous-jacente. Les cadres réglementaire et juridique de la plupart des pays en développement du monde rattrapent toujours les industries et donc, par nature, l’innovation devrait conduire à des améliorations juridico-réglementaires et non l’inverse».

Sur la question de réglementation, Ludovic Verbist rappelle que la fiscalité mauricienne du global business a été revue et est aujourd’hui supérieure à celle de nombreux pays, y compris au sein de l’Union européenne. Selon lui, il est regrettable que Maurice n’applique pas le principe de l’exemption de participations, qui permettrait d’éviter des impositions sur les dividendes déjà imposés. Et de faire ressortir : «Je ne crois pas que Maurice opérera dans un environnement législatif sur-réglementé. Il sera comparable à celui de la plupart des autres pays, un prix à payer pour ne pas être repris dans des listes «noires». Mais il faudra être très attentif à la mise en pratique de ces lois et règlements. Une interprétation trop rigoriste ou la peur de «mal faire» ne peut que créer des inefficiences, des lenteurs et dès lors provoquer un découragement de la part des étrangers envers Maurice».

«Lors de la prochaine ‘on-site inspection’, les progrès effectués seront validés par l’équipe du GAFI» Samade Jhummun (Ceo de Mauritius Finance)

Alors que les nuages se dégagent, le secteur du global business peut espérer des lendemains meilleurs. Amit Bakhirta se veut optimiste : «Ce qui ne nous tue pas a tendance à nous rendre beaucoup plus forts et plus résistants. Les faibles et les non-conformes périssent toujours à long terme. Oui, je suis optimiste car nous disposons d’un bassin de talents et d’une expertise croissante».

Idem pour Ludovic Verbist qui pense que le fait de sortir de la liste noire de l’Union européenne sera un signal très positif. Mais il faudra réussir à convaincre nos partenaires que nous sommes «back in business». À tous les acteurs du global business de le montrer ensemble !

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