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Inactivité dans le tourisme : le réel impact décuplé en prenant en compte l’effet multiplicateur

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Tourisme L’industrie piétine | business-magazine.mu

La fermeture des frontières cause un manque à gagner de pas moins de Rs 60 milliards. Si l’on tient compte de l’effet multiplicateur que ces devises étrangères auraient généré en circulant dans l’économie, c’est une somme beaucoup plus conséquente qu’on perd en termes de création de richesse.

QUAND les devises entrent sur notre territoire, que ce soit à travers les activités touristiques, les exportations ou encore les dépôts du global business, elles circulent dans l’économie par le biais notamment des crédits bancaires et créent de nouvelles richesses. C’est ce qu’on appelle l’effet multiplicateur. Compte tenu que Maurice est fortement dépendant des importations, une partie de nos devises part dans le paiement des factures. Ce qui fait que l’effet multiplicateur est passé de 3,88 à 2,86 de 1995 à 2015, selon l’étude Lokal is Beautiful réalisée par MCB et Utopies. Et aujourd’hui, à cause de la crise qui a coûté au bas mot au pays près de Rs 60 milliards rien qu’en termes de recettes touristiques, ce sont des richesses considérables qui sont perdues car ces devises ne circuleront pas dans l’économie.

Selon Jaya Patten, directeur de Jaya Advisory – Financial Markets, Risks and Governance, l’effet multiplicateur est un prisme utile pour analyser l’efficacité de notre modèle économique. Car il met en lumière la contribution à l’économie intérieure du déploiement des revenus perçus de l’étranger. Dans le contexte actuel, il permet de jauger de manière simple l’impact du manque à gagner de la somme de Rs 60 milliards au niveau macroéconomique.

«Utilisant 2,86, valeur du multiplicateur en 2015, l’impact négatif au niveau macroéconomique est estimé à Rs 172 milliards. C’est probablement une surestimation. En valeur absolue, la contribution positive d’un apport n’est pas forcément égale à l’impact négatif d’un manque à gagner. De plus, on raisonne en second ordre car on parle de variation. Un rapport de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) sur les effets de la Covid-19 estime l’impact sur le PIB à environ $ 913 millions, soit Rs 36 milliards. Cela paraît une sous-estimation», souligne Jaya Patten. Ainsi, en renversant l’équation, l’utilisation du même prisme révèle une constatation pertinente. Utilisant les estimations de l’impact de la pandémie de Rs 85 milliards à Rs 103 milliards (comme mentionné par AXYS), nous pouvons déduire la valeur actuelle du multiplicateur de 1,41 à 1,72.

Bien qu’il y ait une nette tendance baissière depuis 1995, une diminution aussi importante de l’effet multiplicateur depuis 2015 est-elle plausible ? Pour Jaya Patten, il est difficile d’arriver à une conclusion sans une étude approfondie. Mais, estime-t-il, compte tenu de l’envolée de l’activité du global business depuis 2015, et surtout la dichotomie avec l’économie intérieure, il est concevable que ce découplage explique la dégradation significative du multiplicateur.

«Si c’était le cas, cela met en évidence l’efficacité décroissante du redéploiement des revenus perçus de l’étranger. Tout modèle économique souffre inéluctablement de la loi des rendements décroissants. D’où la nécessité constante d’améliorer la productivité et l’efficacité de l’appareil productif. Cette constatation est un avertissement graphique supplémentaire de l’impératif de réformes structurelles et de réflexion stratégique en matière d’élaboration de politiques économiques», constate Jaya Patten.

UN CALCUL COMPLEXE

De son côté, Sameer Sharma, Chartered Alternative Investment Analyst, fait ressortir qu’il est assez complexe de mesurer l’impact réel sur le plan macroéconomique de la perte de revenus découlant du quasi-arrêt dans le secteur touristique. Si on sait qu’environ 25 % de l’économie dépend directement ou indirectement du tourisme, il est tout aussi important de prendre en considération d’autres paramètres comme l’impact de la perte de revenus sur le déficit du compte courant et, par ricochet, sur la balance des paiements du pays, ce qui fait également baisser la croissance. La baisse des revenus du tourisme a également un impact sur la valeur du taux de change qui, au fil du temps, peut augmenter le prix des importations et influer sur la demande des consommateurs.

Quant à l’impact de l’effet multiplicateur, il se situe bien au-delà de ce qu’on peut imaginer. «Lorsqu’un secteur entier qui emploie la majeure partie de la composante de main-d’œuvre semi qualifiée du pays s’arrête, il ne s’agit pas non plus d’un choc ponctuel. L’impact est durable. Il faut également tenir compte de la détérioration des bilans des entreprises hôtelières, du nombre d’employés qui ont dû subir des réductions de salaire, de l’impact que cela a sur la capacité de l’ensemble de l’industrie à investir et à créer des emplois à l’avenir et sur le sentiment des investisseurs, etc. L’effet multiplicateur est donc plus complexe à mesurer, mais nous pouvons convenir que ce sera pire», analyse Sameer Sharma.

La problématique des devises est inhérente à la crise. Mais l’économie fait face à un problème structurel de fond : on dépend trop des importations. Si dans un monde post-Covid-19, on veut tirer pleinement parti de l’effet multiplicateur, il est crucial qu’on renforce notre industrie locale, comme l’avait souligné le rapport Lokal is Beautiful. C’est également l’avis de Jaya Patten. Il s’explique : «Une économie, où le déploiement des revenus perçus de l’étranger génère un grand nombre d’interactions, d’osmose et d’itérations avec d’autres secteurs de l’économie intérieure, produira un effet multiplicateur élevé. L’amélioration de l’effet multiplicateur nécessite la maximisation de ces interactions, l’approfondissement de l’osmose et le prolongement du cycle de vie du circuit des revenus issus de l’étranger». Ainsi, outre la substitution des importations, qui est le moyen évident de réduire les fuites – ce qui tend à abaisser le multiplicateur –, la solution, selon Jaya Patten, est de créer un écosystème symbiotique à forte valeur ajoutée. C’est particulièrement pertinent pour le global business. Il est donc impératif de développer une gamme d’entreprises de services financiers à forte valeur ajoutée pour garantir que les retombées positives de ces entrées de capitaux puissent mieux s’imbriquer dans la fabrique économique. De telles synergies vont créer et accroître la valeur ajoutée favorisant une croissance équitable et durable.

Dans le même ordre d’idées, Sameer Sharma fait remarquer que le problème avec Maurice aujourd’hui est qu’il n’est pas compétitif et que son export complexity est faible. Cela résulte notamment d’une politique populiste de permettre aux salaires de croître plus rapidement que la croissance de la productivité pendant des décennies. Dans le même ordre d’idées, Sameer Sharma fait remarquer que le problème avec Maurice aujourd’hui est qu’il n’est pas compétitif et que son export complexity est faible. Cela résulte notamment d’une politique populiste de permettre aux salaires de croître plus rapidement que la croissance de la productivité pendant des décennies.

Il est également essentiel qu’on réfléchisse à la qualité des investissements étrangers qu’on veut attirer. Ainsi, il est clair qu’un étranger investissant dans une villa qui constitue l’essentiel de nos IDE n’a pas le même effet multiplicateur qu’un étranger investissant dans une usine de fabrication employant une main-d’œuvre qualifiée pour produire des biens destinés à l’exportation. Un constat qui amène Sameer Sharma à dire que «nous ne nous sommes jamais engagés dans des réformes structurelles. Trop de responsables politiques se sont permis de croire qu’avec le secteur offshore et le tourisme, nous n’avions pas besoin de nous atteler à devenir plus productifs ailleurs».

Si l’on veut améliorer l’effet multiplicateur dans un proche avenir, tout l’enjeu consistera donc à attirer plus d’investissements dans des activités autres que les villas immobilières. Mais là se pose une autre problématique : il faudra augmenter notre productivité multifactorielle.

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