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Taux de change : la flambée du dollar rappelle l’urgence de stabiliser la roupie

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La hausse des taux d’intérêt aux étatsunis fragilise la roupie mauricienne sur le marché des ­changes. Mais d’autres répercussions sont attendues, notamment au niveau de notre facture d’importations.

Il fallait s’y attendre : depuis la décision de la Réserve fédérale (FED) de procéder à une hausse historique de 75 points de base de ses taux directeurs à la mijuin, le dollar ne cesse de se renforcer. À lundi, l’euro s’échangeait contre $1,05 – $1,19 il y a 12 mois. Par rapport à la roupie, l’écart se creuse. Le billet se vend à Rs 45,40 au comptoir des banques et s’achète à Rs 44,15. Alors qu’il y a un mois, soit le 27 mai, il se vendait autour de Rs 43 et s’achetait à Rs 42. Une situation inquiétante qui illustre une dépréciation accélérée de la roupie face au dollar américain. Selon Amit Bakhirta, CEO d’Anneau, il est indubitable que cette tendance résulte de la politique de resserrement monétaire aux États-Unis, mais aussi d’un retard récurrent de la part de la Banque de Maurice pour redresser la situation. Par conséquent, il appelle à une intervention rapide de la part de la Banque centrale. «Nous pensons humblement que la Banque de Maurice devrait commencer à accélérer le rythme de son resserrement de la politique monétaire. Nous pensons également qu’elle devrait intervenir sur le marché des changes pour contenir l’impact de l’affaiblissement sur la monnaie locale. Au cas contraire, la parité des taux d’intérêt de la roupie par rapport au dollar américain est susceptible de continuer à s’élargir. Et avec elle, une faiblesse profonde et soutenue de la roupie», souligne-t-il. Et d’ajouter que «si la BoM intervient au bon moment et que des entrées de devises fortes gagnent du terrain au second semestre, la faiblesse de la roupie pourra être contenue».

amit bakhirta

Amit Bakhirta (CEO d’Anneau)

Pour sa part, l’économiste Kevin Teeroovengadum est d’opinion que cette situation était évitable du fait d’un problème structurel au niveau de notre économie. «Le glissement de la roupie par rapport au dollar est une prédiction des faiblesses structurelles de l’économie mauricienne. Même avant la crise de la Covid-19, la roupie avait perdu près de 20 % de sa valeur par rapport au billet vert américain, soit entre 2015 et 2019 pour être plus précis. Maintenant, si l’on prend la période allant de 2015 à 2022, l’on constate que la roupie a déjà perdu 50 % de sa valeur», commente-t-il.

Mais nous ne sommes pas au bout de notre peine car le glissement de la roupie face aux principales devises pourrait se poursuivre comme l’avait prévenu le Fonds monétaire international (FMI). Au passage, l’institution de Bretton Woods avait prévenu Maurice qu’il faudrait avoir une approche minutieuse sur sa gestion des devises étrangères. Car la structure de l’économie locale est fortement dépendante de ses importations.

PROBLÈME STRUCTUREL NON RÉSOLU

«En juin 2021, le FMI a déjà mentionné que notre monnaie était surévaluée de 30 % à 40 % supplémentaires et que, par conséquent, la roupie pourrait se négocier bien au-delà du niveau des Rs 50 par rapport au dollar. Le problème est que notre économie n’est pas en mesure de générer suffisamment d’exportations de biens et de services en devises étrangères. Et cela arrive à un moment où nos importations en devises continuent d’augmenter», observe-t-il. Il rappelle qu’au cours de ces 10 dernières années, le pays n’a jamais réussi à augmenter ses investissements directs étrangers (IDE) de manière significative au-dessus du niveau de $500 millions. «Je crois fermement que la Banque de Maurice ne sera pas en mesure de défendre la roupie qui continuera à glisser», lâche-t-il.

L’IMPORT-EXPORT, PREMIER SECTEUR TOUCHÉ?

Le renchérissement du dollar face à la roupie aura un effet indésirable sur le secteur d’importation. Une tendance qui sera exacerbée par le contexte précaire des importations locales, déjà déstabilisées par la hausse du coût du fret. Selon les chiffres de Statistics Mauritius, la facture d’importations est passée de Rs 165 milliards à Rs 214 milliards de 2020 à 2021. Et, valeur du jour, le dollar demeure la devise avec laquelle nous payons le gros de nos achats. Ainsi, 71,4% de nos importations étaient libellées en dollars en 2021, soit un montant de Rs 153 milliards. Comme le souligne Kevin Teeroovengadum, l’équation est simple : étant donné que Maurice dépend des importations et que ces dernières ne cessent d’augmenter, toute appréciation du taux du dollar américain a un impact immédiat sur nos factures d’importations. Pour atténuer ce risque, l’économiste préconise de revoir la formule de nos échanges commerciaux en dollars. Il s’explique: «Compte tenu de ce que nous observons au niveau mondial à la suite de la crise ukrainienne et du repositionnement d’un certain nombre de grands pays comme la Russie, la Chine, l’Inde et même l’Afrique du Sud, nous pourrions assister à un abandon progressif des échanges en dollars américains. Par exemple, nous voyons déjà l’Inde négocier avec la Russie en roubles et en roupies indiennes. C’est une stratégie que Maurice doit également mettre en œuvre pour ne pas dépendre uniquement du dollar américain. Par exemple, Maurice peut commercer avec les pays de la SADC et du COMESA, de même que la Chine et l’Inde, avec une monnaie différente du dollar».

kevin Teeroovengadum

Kevin Teeroovengadum (Economiste)

Par ailleurs, l’impact de l’appréciation du dollar se fera aussi sentir sur les exportations mauriciennes. Toujours selon les chiffres de Statistics Mauritius, la valeur totale de nos exportations s’élevait à Rs 69,8 milliards en 2021, contre Rs 60,4 milliards en 2020. Au total, 59,8 % de nos exportations étaient libellées en dollars en 2021, soit un montant de Rs 41,8 milliards. Pour Amit Bakhirta, cette tendance devrait être bénéfique pour les exportations. De quoi stabiliser potentiellement notre balance des paiements. «L’impact sous-jacent a été ressenti des deux côtés de notre balance des paiements, soit au niveau de nos importations et de nos exportations. Avec son élargissement en 2021 par rapport à 2020, nous prévoyons une balance des paiements globalement positive pour 2022», explique-t-il. Cela dit, il demeure sceptique sur un point. Certains exportateurs doivent tout de même importer leurs matières premières de l’étranger afin de produire un article et de pouvoir l’exporter.

Ainsi, explique-t-il, l’appréciation du dollar est en effet théoriquement positif. Mais, dans les faits, c’est rarement le cas. Et Amit Bakhirta de conclure : «Les consommateurs peuvent absorber ces coûts de vente plus élevés qu’à un certain seuil. En particulier lorsque l’économie locale est à la traîne en termes d’outils de politique monétaire efficaces. Pour ajouter au problème de la dépréciation de notre monnaie, les perturbations de la chaîne d’approvisionnement mondiale, et donc les frais de transport plus élevés, ont également contribué à ces prix élevés dans notre économie. Par conséquent, les exportateurs ne gagnent pas nécessairement de manière arbitraire dans l’environnement actuel».

Inflation : la situation risque de se corser

Dans son dernier Article IV, le FMI tablait sur une inflation de 11,9 % pour 2022. Une estimation supérieure aux 8,6 % de la Banque de Maurice. Avec les nouvelles données, tout porte à croire que l’on est plus proche du premier scénario que du second. Pour Kevin Teeroovengadum, le contexte lié au dollar va accentuer l’inflation à Maurice. «L’appréciation du dollar aura un impact direct sur l’inflation. Au cours des trois derniers mois, nous avons constaté que Maurice est entré dans un cycle d’inflation galopante, et qu’elle continuera à être un cauchemar pour les consommateurs mauriciens pour de multiples raisons. Dans un premier temps, les problèmes de logistique au niveau mondial perdurent et le prix du fret demeure sept fois plus élevés qu’en 2019. De plus, les problèmes d’approvisionnement avec la Chine continuent, notamment avec sa politique de «zéro Covid». L’Allemagne aussi, en tant que hub manufacturier mondial, est impactée par les prix élevés de l’énergie. Tandis que d’autres pays augmentent les prix de leurs biens à l’exportation et profitent de la situation. Un certain nombre de pays voient leur indice des prix à la production toujours en hausse. Ce qui signifie que les biens qui sortiront sur le marché les trois prochains mois seront encore beaucoup plus élevés», conclut l’économiste.

Amit Bakhirta, pour sa part, appelle à une action de la Banque centrale. «À moins que la Banque de Maurice n’augmente ses taux directeurs de manière substantielle et à une vélocité plus élevée, des facteurs exogènes continueront probablement à faire pression sur les prix à la hausse. Par extension, l’environnement inflationniste ne s’atténuera pas complètement», souligne-t-il. Avant d’ajouter que si la situation perdure, le risque d’un cycle de stagflation ne sera pas une spéculation, mais une réalité.

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