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Dédollarisation : Maurice s’adapte à l’émergence d’un nouvel ordre monétaire mondial

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Depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, le dollar s’impose comme la monnaie de référence utilisée lors des transactions commerciales. Sa part dans les réserves détenues par les banques centrales tourne autour de 58 %. Il n’empêche que graduellement, le dollar perd son influence car de nombreux pays cherchent à réduire leur dépendance vis-à-vis du billet vert. Cette tendance s’est accentuée avec la guerre en Ukraine et la volonté de l’alliance des BRICS et d’une partie du monde arabe de régler leurs transactions dans d’autres monnaies. À Maurice, l’on a déjà mis en place les infrastructures pour faciliter les transactions dans d’autres devises, dont le yuan et la roupie indienne.

Le système monétaire international a été largement dominé par le dollar américain depuis l’accord de Bretton Woods en 1944, la monnaie servant de principale devise de réserve mondiale et d’unité de compte pour le commerce mondial. Toutefois, cette influence diminue depuis la fin des années 90. La guerre en Ukraine et les sanctions à l’encontre de la Russie n’ont fait qu’accentuer ce qu’on appelle le processus de dédollarisation. Des discussions sont engagées notamment au niveau des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et l’Afrique du Sud) sur la nécessité de casser l’hégémonie du dollar et de passer à un système plus diversifié et multipolaire, avec l’introduction d’une monnaie commune.

«La dédollarisation peut être définie comme le processus par lequel les pays cherchent à réduire leur dépendance vis-à-vis du dollar américain dans leurs transactions internationales», souligne Jerome To, le Business Development Manager de STORM Guidance. Il y a plusieurs raisons expliquant pourquoi les pays cherchent à se dédollariser. Premièrement, il y a la stabilité économique. «Comme le dollar est la principale devise utilisée dans les transactions internationales sa valeur fluctue en fonction des événements politiques et économiques mondiaux. Les fluctuations du dollar peuvent entraîner des conséquences économiques importantes pour les pays qui en dépendent. Ainsi, en diversifiant leurs réserves de change, les pays peuvent protéger leur économie contre les chocs économiques et diminuer les risques de volatilité», avise-t-il.

Cela dit, il faut prendre en considération le fait que la politique monétaire des États-Unis peut entraîner une inflation mondiale. Une situation qui peut également avoir un impact largement négatif sur les économies des pays qui dépendent fortement du dollar. Ainsi, la dédollarisation permettra aux pays de se protéger contre cette inflation. Ce processus a été accéléré par les sanctions économiques, notamment celles à l’encontre de la Russie. «Les États-Unis ont utilisé leur pouvoir de sanction économique pour restreindre l’accès de certains pays au système financier international. Les pays cherchent donc à se dédollariser pour éviter d’être soumis à ces sanctions», étaye-t-il.

Dans le même ordre d’idées, Marc Alexandre Masnin, le Head of Investment Solutions, Strategy and Wealth Management à AfrAsia Bank, affirme que la stabilité du dollar américain a récemment suscité des inquiétudes en raison du ralentissement de l’économie et de l’inflation élevée. Ainsi, il explique que les économies BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et l’Afrique du Sud) font les gros titres en cherchant à créer une monnaie concurrente et en appelant à la dédollarisation, en particulier dans le commerce du pétrole et des matières premières.

Cependant, il rappelle que même si l’on parle de l’effondrement du dollar depuis les années 1980, la devise continue de jouer son rôle de monnaie de réserve de premier plan, et ce mondialement. «Bien que nous puissions observer une baisse marginale des échanges en dollars, les matières premières étant échangées dans d’autres monnaies, une disparition pure et simple du dollar ne semble pas plausible, car près de 58 % des réserves mondiales restent libellées en dollars américains et sont utilisées pour les paiements commerciaux. Le yuan (3 % des réserves mondiales) n’est pas une option pour le moment, en raison des limitations imposées par le gouvernement chinois sur les transferts de capitaux», soutient-il.

Processus de substitution du dollar

De l’avis d’Amit Bakhirta, le CEO d’Anneau, la dédollarisation reste en soi un processus de substitution du dollar américain comme monnaie utilisée pour le commerce du pétrole et/ ou d’autres matières premières, dont le pétrodollar, l’achat de dollars américains pour les réserves de devises, les accords commerciaux bilatéraux et les actifs libellés en dollars. «En d’autres termes, c’est le processus par lequel le règne mondial du puissant dollar américain perd sa domination et son importance au fil du temps dans les transactions mondiales ainsi que dans les réserves des banques centrales à travers le monde, entre autres», argumente-t-il.

Selon lui, cette tendance se précise depuis la fin des années 90. «En 1999, les réserves de change des banques centrales du monde entier se composaient en moyenne de 80 % d’USD, y compris les actifs libellés en USD, alors qu’en 2022, cette exposition était tombée à environ 56 %. Cette tendance baissière reflète clairement et cela empiriquement, entre autres, la tendance à la dédollarisation du dollar américain», dit-il. Avant d’ajouter que les principales raisons sous-jacentes à la dédollarisation seraient principalement l’inquiétude croissante quant à la véritable valeur intrinsèque du dollar américain et à la pérennité de l’économie américaine ; en particulier compte tenu de l’impression massive de la monnaie et de l’expansion du bilan de la Réserve fédérale ; ce qui a largement devancé la croissance de la productivité économique et entraîné une dilution technique de la valeur de l’USD. Puis, il y a les énormes déficits de la balance courante et les niveaux d’endettement incontrôlés mettant en question la viabilité du service de la dette du pays en cas de ruée sur l’USD.

Pour sa part, l’économiste Manisha Dookhony soutient que quand on parle de dédollarisation, cela va en tandem avec une politique monétaire offensive qui sert les ambitions de conquête et d’influence chinoise sur le continent africain et sur les partenaires des BRICS. «L’expansion du yuan en Afrique est en premier lieu une question de choix pour les pays africains. Les volumes d’échange entre la Chine et l’Afrique n’ont cessé d’augmenter au cours des deux dernières décennies et couvrent aujourd’hui la plupart des importations de l’Afrique. La dédollarisation aurait pour objectif principal d’avoir une alternative moins onéreuse que le système actuel de passer par le dollar», explique-t-elle. Et de faire ressortir que l’alternative au dollar est bien le yuan. «Le renminbi a de fortes chances d’être le challenger du dollar vu l’état des échanges internationaux. Il y a eu depuis quelques années une plus grande diversification des réserves. On l’a vu récemment avec le FMI qui a relevé le niveau du yuan chinois dans le panier des devises des droits de tirage spéciaux (DTS) à 12,28 %, contre 10,92 % lors de son premier examen régulier de l’évaluation du DTS depuis que la monnaie chinoise a été incluse dans le panier en 2016»,précise-t-elle.

Comme on l’a vu, la dédollarisation est le reflet d’un monde en pleine transformation, d’une volonté de la part des pays émergents de casser la suprématie du dollar et de proposer de régler les transactions internationales dans d’autres devises comme le yuan ou encore la nouvelle monnaie des BRICS qui devrait être adossée à l’or.

Dans le cas de Maurice, le yuan pourrait bien, dans les années à venir, devenir cette monnaie de substitution au dollar. L’une des avancées majeures a été la mise en service du Renminbi Clearing Centre.

«Comme le Ghana, l’Afrique du Sud et le Nigeria, le Rwanda, Maurice utilise déjà le yuan dans ses réserves et il existe même un accord de libre-échange entre la Chine et Maurice. L’ambition serait de transformer Maurice en un centre régional de règlement en RMB (renminbi). Il faudrait avant tout faire ressortir que Maurice a signé un accord de libre-échange avec la Chine en 2021. L’accord avec la Chine prévoit un accès préférentiel pour 8 547 articles. Ceci est significatif car il représente 96 % des lignes tarifaires chinoises», souligne-t-elle.

Le rôle du yuan dans la conquête africaine

En l’espace de quelques décennies, la Chine est devenue le plus important partenaire commercial bilatéral de l’Afrique, le plus gros prêteur bilatéral de l’Afrique, ainsi que l’un des plus gros investisseurs étrangers sur le continent. «En 2019, l’année la plus ‘normale’ que nous ayons eue, les exportations chinoises vers l’Afrique se sont élevées à 113 milliards USD en 2019 tandis que les importations en provenance d’Afrique ont atteint 78 milliards USD. Avec un commerce total de 200 milliards USD en 2019, la Chine est le plus grand partenaire commercial bilatéral de l’Afrique. Ainsi, la question que se posent plusieurs pays en Afrique, c’est pourquoi ne pas faire le choix de faire des affaires en yuan au lieu de passer par les autres devises car un échange direct permet de faire des économies», souligne Manisha Dookhony. À son avis, à mesure que la Chine va intensifier ses efforts pour promouvoir l’internationalisation du yuan et l’ouverture de son marché financier, la monnaie chinoise devrait jouer un rôle croissant dans les paiements mondiaux, les règlements et les réserves de change à long terme. «Le panier actualisé implique des pondérations légèrement plus élevées pour le dollar américain et le yuan, et des pondérations légèrement inférieures pour la livre sterling, l’euro et le yen, comme l’a déclaré le FMI», indique-t-elle.

Le dollar compte pour 58 % de nos réserves de change

Au quatrième trimestre de 2022, le dollar comptait pour 58 % des réserves de change détenues par la Banque de Maurice. En deuxième position, on retrouve l’euro avec 21 % de nos réserves, suivi du yen japonais (6 %), de la livre sterling (5 %) et du yuan (3 %).

L’impact sur les investissements étrangers

La dédollarisation à Maurice pourrait avoir un impact sur les investissements étrangers de plusieurs façons. Tout d’abord, si la roupie mauricienne s’apprécie par rapport au dollar américain en raison de la dédollarisation, cela pourrait rendre Maurice moins attractif pour les investisseurs étrangers car cela pourrait réduire la rentabilité de leurs investissements. En effet, cela pourrait signifier que les rendements attendus en dollars américains seraient moins élevés et donc moins attractifs pour les investisseurs étrangers. Cependant, si la politique de dédollarisation réussit et que la roupie mauricienne devient plus stable et moins volatile, cela pourrait renforcer la confiance des investisseurs étrangers dans la monnaie locale et dans l’économie mauricienne en général. Cela pourrait également aider à attirer davantage d’investissements directs étrangers, car les entreprises étrangères cherchent souvent des économies stables pour investir à long terme. Toutefois, il est difficile de prédire avec certitude l’impact de la dédollarisation sur les investissements étrangers à Maurice. Cela dépendra de nombreux facteurs tels que l’évolution du taux de change entre la roupie mauricienne et le dollar américain, la stabilité macroéconomique et la manière dont les entreprises et les investisseurs perçoivent la politique de dédollarisation.

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