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Enjeu

La politique étrangère de Maurice est totalement inféodée à l’Inde

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Jean Claude de L'estrac

Jean Claude de L'estracL’océan indien, région géostratégique animée par des enjeux` économiques et politiques majeurs, connaît une tension accrue depuis l’éclatement de l’affaire de Sniffing. Dans l’entretien qui suit, Jean Claude de L’estrac, journaliste et observateur politique, s’appesantit sur les ambitions économiques et militaires de l’inde et la chine dans cette partie du monde.

L’affaire de ‘sniffing’ soulève des questions géopolitiques et géostratégiques impliquant les intérêts de l’Inde et de la Chine dans l’océan Indien. Est-ce que Maurice risque de se retrouver au centre d’une guerre froide ?

Une guerre froide Inde Chine existe déjà depuis de nombreuses années. Et elle n’est pas que froide. Les deux rivaux se sont déjà combattus militairement. Récemment encore, à la frontière entre ces deux grandes nations de l’Asie, dans l’Himalaya, le sang a coulé

Plus près de nous, dans l’océan Indien, plus particulièrement au SudOuest, la tension monte depuis l’arrivée de la puissante marine chinoise dans la région. Pendant des décennies, l’Inde, seule puissance régionale, a considéré que l’océan Indien était l’océan de l’Inde. Elle qualifie d’«intrusion» le déploiement de la marine chinoise dans l’océan Indien. Les Chinois, eux, estiment légitime leur présence sur l’une des principales voies de navigation du monde pour protéger leurs importations, notamment de pétrole, et sécuriser leurs exportations.

Notre statut de non-aligné nous avait préservé jusqu’ici de devoir nous impliquer dans ce conflit. Ce n’est plus le cas. L’établissement d’une base militaire indienne sur le territoire mauricien d’Agalega nous place naturellement dans le camp indien. En cas d’un conflit ouvert que de nombreux stratèges anticipent, le pays sera considéré un peu comme un cobelligérant.

Comment est-ce que l’Inde et la Chine conçoivent le partenariat avec Maurice sur les plans économique et commercial ?

En raison de sa situation géostratégique, Maurice est courtisé par les deux puissances émergentes qui pratiquent, toutes les deux, une stratégie diplomatique de faveurs. L’exemple le plus parlant de cette politique est la décision de Beijing de proposer au pays un accord de libre-échange, premier pays africain à qui la Chine a accordé ce privilège. Delhi a immédiatement fait de même en proposant au pays un Comprehensive Economic Cooperation and Partnership Agreement (CECPA). Les deux pays offrent au pays, pareillement, des prêts et des lignes de crédit à des conditions avantageuses même si ces générosités pourraient se révéler des cadeaux empoisonnés à long terme.

Est-ce que la Chine voit Maurice comme un hub stratégique par où transitera la route de la soie ?

L’Inde voit l’ambitieux projet chinois de la nouvelle route de la soie avec une très grande méfiance. Alors que les Chinois affirment que ce projet de connectivité portuaire, maritime, routière et ferroviaire vise à promouvoir le commerce et le développement international en reliant la Chine à l’Europe et en intégrant l’Asie centrale, les Indiens y voient, au contraire, une stratégie chinoise de les encercler militairement. Contrairement à la plupart des pays africains, Maurice n’a pas accepté de se joindre à cette initiative, au grand dam de Beijing. Je suis persuadé que c’est à l’instigation de l’Inde qui boycotte le projet. Pour les mêmes raisons, les Indiens avaient fait capoter le projet chinois de création d’un port de pêche à Bain des Dames.

Comme vous l’avez souligné, tout porte à croire que l’Inde est en train de construire une base militaire sur Agalega. Est-ce que Maurice est en train d’amoindrir sa souveraineté au profit des grandes puissances ?

C’est bien une base militaire qui s’installe à Agalega. On parle de base militaire quand on se réfère à un site où sont regroupés des moyens logistiques en vue de soutenir une armée. C’est très exactement ce que sera Agalega, le regroupement d’un ensemble de moyens technologiques et d’infrastructures destinés à soutenir l’aviation et la marine indiennes dans sa mission de surveillance de la zone. Il faut savoir que ce rôle de gendarme est tenu par l’Inde avec le soutien des Américains et des Français qui ont également une base dans la région, à la Pointe des Galets, à l’île de la Réunion. Une surveillance plus grande de la région est considérée indispensable depuis que le centre de gravité de la géopolitique mondiale s’est déplacé de la zone Euroatlantique à l’Asie-Pacifique et l’océan Indien.

Pour tenir ce rôle et déployer sa puissance, l’Inde s’est équipée d’une flotte de 12 Boeing P-81, de fabrication américaine ; ce sont des avions de patrouille maritime et de lutte anti-sous-marine dotés de missiles antinavires et de torpilles. C’est pour pouvoir les déployer à partir d’Agalega qu’il a fallu construire une piste de 3 000 mètres et des abris géants sur l’île. Ce ne sont pas des infrastructures destinées aux Agaléens, comme veut nous faire accroire le Premier ministre.

<<C’est cette grande proximité de Port-Louis avec Delhi qui me fait dire que Pravind Jugnauth se rêve en little Modi>>

Et qui peut croire, comme le prétend encore le Premier ministre, que la gestion de cette machinerie de l’armée indienne sera assurée par un fonctionnaire de son bureau de Premier ministre, bien assis à Port Louis… Si Maurice a conservé sa souveraineté sur l’île, il est évident que les opérations militaires indiennes échapperont à son contrôle. En ce sens, le pays abdique une part de sa souveraineté. C’est ce qui avait fait l’ancien Premier ministre, Navin Ramgoolam, refuser de signer un projet d’accord proposé par l’Inde en 2014. Ramgoolam avait sollicité l’avis de l’ancien chef juge Rajsoomer Lallah qui avait formulé de fortes réserves.

Comment Maurice doit-il manœuvrer dans ses relations économiques et commerciales avec l’Inde et la Chine ?

Il n’y a plus de marge de manœuvre. Aux yeux des capitales diplomatiques du monde entier, il est maintenant connu que la politique étrangère de Maurice est totalement inféodée à l’Inde. Mais ce n’est pas pour chiffonner un grand nombre d’entre elles qui partagent les méfiances indiennes à l’égard de la Chine. C’est cette grande proximité de Port Louis avec Delhi qui me fait dire que Pravind Jugnauth se rêve en Little Modi…

 

 

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