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Mouvement coopératif Revival élémentaire à l’ère de la nouvelle normalité

Depuis septembre, une nouvelle structuration nationale régit le mouvement coopératif. Ce modèle qui a fait les beaux jours De l’industrie sucrière est aujourd’hui appelé à participer à la renaissance Du secteur agroalimentaire. Le modèle s’adapte surtout à l’ère post-covid

En plein revival et jadis indissociable du secteur sucrier, le secteur coopératif local a accentué son ouverture à des sociétés coopératives multisectorielles, suivant la promulgation du Co-operatives Act 2016. La pandémie de la Covid-19 a, à son tour, boosté l’intérêt des particuliers pour ce modèle, notamment dans le segment agroalimentaire. Celui-ci s’aligne parfaitement sur la nouvelle normalité dans le monde des affaires, où l’équité, le collectif et l’inclusivité se posent comme des valeurs sûres. D’autant plus que le mouvement coopératif mauricien bénéficie de multiples avantages et soutiens fiscaux et non fiscaux du ministère des Coopératives sous forme de financements et de facilités de renforcement de capacité.

Depuis juillet 2020, le ministère des Coopératives s’est engagé dans une démarche de régénération au gré d’une feuille de route éditée avec le bureau chargé de la bonne gouvernance dans le secteur public. Cela, dans l’optique d’adresser les nombreux défis de ce mouvement ancré depuis plus d’un siècle dans le paysage local. Les sociétés évoluant sous ce modèle à Maurice et à Rodrigues évoluent depuis le mois de septembre sous une nouvelle structuration nationale.

Le premier confinement national a effectivement donné lieu à une nouvelle demande pour la coopérative, confirme Dineshsing Goburdhun, General Manager de The Mauritius Cooperative Agricultural Federation (MCAF). «Le confinement et la pénurie de légumes pendant le confinement ont donné lieu à un retour vers la culture de légumes par les particuliers. Et une fois ce retour à la terre, beaucoup n’ont pas laissé tomber après le confinement. La vente pour nos intrants (semences, fertilisants…) a connu un boost pendant cette période grâce aux particuliers. Aujourd’hui, nous avons augmenté la production de nos plantules, qui sont également très demandés.» D’une culture de 120 000 plantules lancée officiellement en février 2020 à Henrietta sur un terrain de 60 perches mis à disposition par le ministère des Coopératives, la production a doublé 10 mois plus tard (en décembre 2020) au plus fort de la demande. Particuliers, petits et grands planteurs, sociétés coopératives figurent parmi les clients des 240 000 plants de fleurs, arbres fruitiers, légumes et autres vendus par les boutiques de la MCAF.

Rôle important pour le secteur agricole

À titre d’exemple, la production vivrière du pays est notamment issue d’un vaste réseau de coopérateurs engagés dans l’activité agroalimentaire du pays. Les sociétés coopératives représentent 65 % de la production d’oignons, 70 % de la production de légumes verts frais, 45 % de la production de pommes de terre et 10 % de la production sucrière du pays. 40 % des planteurs de canne à sucre sont regroupés dans des sociétés coopératives.

À l’heure où le gouvernement met l’accent sur le revival du secteur agricole, la question est de savoir quels rôles les sociétés coopératives peuvent jouer dans cette nouvelle normalité ? Vivekanand Lochun, membre fondateur des Letchis Du Paradis Co-operative Society, souligne qu’après des années de contribution au développement du secteur agricole, il y a eu un essoufflement dans ce mouvement. «Ceux qui ne se sont pas adaptés aux évolutions ont dû mettre la clé sous la porte, et il y en a eu beaucoup. Par contre, il y a aussi eu un mouvement parallèle de renouveau et adapté aux réalités du jour. Ceuxlà ont continué à prospérer et à contribuer de façon significative au mouvement coopératif. Il y a aussi eu une prise de conscience de la part de personnes dans d’autres secteurs et qui se sont jointes au mouvement avec une nouvelle approche.»

Il en veut pour preuve la propre expérience de sa société coopérative qui évolue dans le sous-secteur de la production et d’exportation de letchis. Celle-ci n’a pas été épargnée par les aléas du secteur. «Les anciens se sont soit retirés soit sont décédés; ils n’ont pas été remplacés. Aussi, certains membres ont préféré traiter avec des intermédiaires que de faire l’effort additionnel d’étendre la chaîne de valeur jusqu’à l’exportation de leurs produits. Ajouté à cela, le changement climatique a joué un rôle très néfaste dans la production de letchis en plein champ, qui est très sensible aux variations de température. Cela a résulté malheureusement en une diminution des activités de la société. La Covid-19 n’a pas, non plus, arrangé les choses.»

Ainsi, l’espoir est que la nouvelle feuille de route pour le secteur des coopératives redessine le paysage de ce mouvement à Maurice en attirant la nouvelle génération. Comme le fait ressortir Dineshsing Goburdhun, le mouvement doit être remodelé de sorte à assurer la soutenabilité, la profitabilité et l’augmentation de sa contribution économique au pays. De fait, la Covid-19 a été une prise de conscience car elle a rappelé l’importance des activités agricoles pour la population. Il ajoute que la pandémie nous a appris comment devenir autosuffisant et réduire notre dépendance sur l’importation ; d’autant plus que le secteur agricole a prouvé sa résilience dans ce contexte de crise. Valeur du jour, Dineshsing Goburdhun précise qu’avec le ralentissement économique dans plusieurs secteurs économiques clés, tels que l’industrie touristique, il y a un grand besoin de se focaliser sur le secteur coopérative

«Il y a eu un mouvement de renouveau, adapté aux réalités du jour… Cela a contribué de façon significative au mouvement coopératif»

«Aujourd’hui la tendance porte sur les produits écologiques et durables aussi bien que l’énergie verte. Le secteur sucrier n’est pas à négliger non plus, puisque ses coproduits ont été réévalués. Personnellement, je pense que cette nouvelle feuille de route doit inclure toutes les possibilités de développement économique en connexion avec le secteur cannier, en augmentant la superficie de terre sous culture de canne à sucre, ce qui devrait à coup sûr intéresser la jeune génération dans ce secteur d’activité», souligne Dineshsing Goburdhun.

«Le mouvement (coopératif) doit être remodelé de sorte à assurer la soutenabilité, la profitabilité et l’augmentation de sa contribution économique au pays»

Ce qui fait que le rajeunissement et la modernisation du mouvement coopératif à Maurice demeurent les enjeux principaux du secteur. Comme le fait ressortir Vivekanand Lochun, ces institutions gagneraient à s’adapter aux réalités du jour et à se prémunir contre les défis qui se présentent à l’horizon afin de continuer à servir et soutenir de façon stratégique les sociétés coopératives d’aujourd’hui. «Celles-ci sont confrontées à d’autres défis, tels le respect des normes de qualité et de sécurité, l’invasion des multinationales, l’adoption technologique à grands capitaux, l’évolution rapide des technologies d’information et de la productique, les barrières non tarifaires au niveau international, l’exiguïté du marché au niveau local ou encore la compétition de produits de bas de gamme à prix réduits.»

Vivekanand Lochun est d’avis que les nouvelles technologies doivent donc être privilégiées, à l’exemple de l’usage de drones pour les relevées des données ou la dispense de pesticides/fongicides/solutions ciblées, l’usage de la robotique pour de la surveillance automatisée ou d’alerte suivant la détection de zones affectées, la recherche automatique de solutions en cherchant dans des bases de données connectées. Avec l’émergence de l’agriculture biologique et organique comme des segments émergents de la filière coopérative, l’introduction des coopérateurs aux notions de crédits carbones et de développement de stratégies de mise en place de ces pratiques dans le but d’augmenter les revenus pourrait être envisagée.

«Dans le présent contexte de publicité ‘à outrance’ sur les plateformes sociales et de commerce électronique, les sociétés coopératives ont un rôle fédérateur à jouer en se regroupant et en constituant leurs plateformes électroniques comme tremplin de marketing, de commerce et de fidélisation des clients. La formation continue et à distance des coopérateurs de façon à les maintenir au diapason du développement dans le secteur et, ainsi, bénéficier de l’effet ‘competitive edge’ est tout aussi critique. Tout comme le développement de l’accès aux nouveaux modes de financement pour les coopérateurs en les exposant au monde fintech, et au-delà des frontières nationales et régionales», ajoute Vivekanand Lochun.

Une régénérescence du mouvement

Bien que vieux de 126 ans, le mouvement coopératif est un modèle d’entrepreneuriat pleinement ancré dans le climat des affaires actuel, et d’autant plus dans une ère post-Covid. Comme le rappelle le Strategic Plan 2018-2020 du ministère des Coopératives, les sociétés appartenant à ce mouvement ont le potentiel de contribuer au triple objectif économique, social et environnemental du développement durable. En tant que modèle d’entreprise, la coopérative sert de véhicule de développement et contribue à la croissance économique, à la démocratisation de l’économie, à la création d’emplois, à la réduction de la pauvreté, à l’autonomisation des femmes et à la réduction des inégalités de revenus depuis le début du 20e siècle. Ce qui explique ce besoin d’une régénération et d’une modernisation des structures et de l’opérationnalisation des sociétés coopératives afin d’embrasser les enjeux qui guettent le mouvement, et aider encore des générations à gagner leur vie par ce modèle

En ligne avec les recommandations faites pour la bonne gouvernance dans le secteur public, un exercice de régénération en trois phases a été décidé avec l’offre de services améliorés, intégrés et centralisés pour réduire le nombre de sociétés défaillantes. L’unité d’exécution fraîchement créée par le ministère des Coopératives s’assurera, entre autres, du respect des dispositions de la Co-operatives Act 2016 par toutes les sociétés coopératives, effectuera des visites dans les sociétés et soumettra des recommandations, analysera le rapport mensuel sur les sociétés soumis par le Cooperative Business Centre nouvellement créé et veillera à la conformité des sociétés au Anti-Money Laundering and Combatting the Financing of Terrorism (Miscellaneous Provisions) Act de 2002 concernant les transactions financières et non financières.

En effet, les douze centres coopératifs régionaux sont désormais dans une démarche de structuration et de reconversion en cinq Cooperative Business Centres (CBC) dans le cadre de la première phase de la régénération du département des coopératives du ministère du Développement industriel, des PME et des Coopératives. Implantés dans cinq zones stratégiques du pays, ces CBS serviront de guichet unique pour les sociétés coopératives à Rivière du Rempart (Zone 1 : regroupant 200 sociétés coopératives) ; PortLouis (zone 2 : rassemblant 250 sociétés coopératives) ; St Pierre (zone 3 : regroupant 230 sociétés coopératives) ; Henrietta (zone 4: rassemblant 180 sociétés coopératives) et Rose-Belle (zone 5 : regroupant 190 sociétés coopératives). L’objectif de cette opération, selon Sunil Bholah, ministre de tutelle, est de maintenir le dynamisme, promouvoir une utilisation optimale des ressources et introduire l’efficacité et l’innovation dans le secteur, en conformité avec les règles de bonne gouvernance.

Le delisting de 200 sociétés coopératives en 2020 ainsi que l’affaire de la Vacoas Popular Multi-Purpose Co-operative Society n’ont pas créé l’hécatombe dans les rangs du mouvement coopératif. Au contraire : la proclamation en 2016 de The Co-operatives Act – pour pallier les lacunes juridiques – et l’institution du National Co-operative College – pour actualiser et renforcer les connaissances, les comportements et les compétences en matière de bonne gouvernance – donnent un nouveau souffle à ce mouvement, indique Daramraj Kona Yerukunondu, ex-président de la Mauritius Co-operative Alliance. Tout en ouvrant le mouvement des coopératives à des activités multi-purpose

Rs 5,5 milliards de chiffre d’affaires

À ce jour, le mouvement coopératif compte environ 55 000 membres actifs à Maurice pour environ 900 sociétés coopératives actives. Ils se retrouvent dans des fédérations à Maurice, et à Rodrigues que regroupe la Mauritius Co-operative Alliance, qui est d’ailleurs affiliée à l’International Co-operative Alliance. Ils sont tantôt des sociétés primaires, secondaires ou tertiaires. L’agriculture sucre et hors sucre, la transformation, la pêche, la construction, l’élevage, la production laitière, le transport public, les facilités de crédit et d’épargne, l’artisanat et le commerce de gros et de détail figurent parmi les activités classiques des sociétés coopératives à Maurice.

Mais les sociétés coopératives investissent de nouvelles filières d’activités : l’agriculture biologique et organique, la production de compost, le recyclage des déchets, la génération d’énergie renouvelable et l’élevage de poissons ornementaux, indique le ministère des coopératives. En 2018, elles étaient présentes dans plus de 40 activités socio-économiques d’après le plan stratégique 2018-2020 du ministère. Le secteur brasse un chiffre d’affaires annuel d’environ Rs 5,5 milliards. Les Co-operative Credit Unions sont au nombre de 160 dans des compagnies privées, institutions gouvernementales et parapubliques, dans les institutions éducatives, socio-religieuses ou des établissements hôtelières ou communautaires. Le montant de l’enveloppe des crédits alloués par les Co-operative Credit Unions à 2018 approchait les Rs 2 milliards.

Un mouvement né en 1913

Dineshsing Goburdhun, General Manager de The Mauritius Cooperative Agricultural Federation (MCAF), informe que ce mouvement a été lancé en 1913 au niveau local dans l’optique de faciliter l’accès au financement des petits planteurs de cannes. «Ces derniers dépendaient antérieurement à cette période de prêts accordés par des usuriers qui pratiquaient des taux d’intérêt de 100 % à 200 %», précise ce fils de planteur de cannes, qui perpétue la tradition familiale. «Tout au long de leur vie, ces planteurs ne pouvaient que payer les intérêts sur leurs prêts ; ils ne pouvaient repayer le capital.» C’est au cours du passage de Mahatma Gandhi à Maurice que ce dernier est informé des difficultés financières rencontrées par les petits planteurs canniers d’origine indienne. De retour dans la Grande péninsule, il confie à Manilal Doctor la tâche de trouver une solution à cette problématique. Ce dernier arrive dans l’île en 1909. Il introduit un système de coopératives de crédit appelé Cooperative Credit Societies (CCS), un système de crédit existant et reproduit à Maurice pour aider les planteurs. «Ils ont commencé à travailler avec une banque, qui leur proposait des taux concessionnaires ; c’est cela qui a donné lieu à la naissance du mouvement coopératif en 1913. Elle a commencé avec cinq sociétés coopératives, qui se sont multipliées à 178 sociétés coopératives à l’époque où le pays comptait 20 ou 21 usines», raconte Dineshsing Goburdhun. Le fonctionnement des sociétés coopératives à Maurice est encadré par The Co-operatives Act 2016. D’après ladite loi, une société coopérative primaire peut être lancée avec cinq personnes, et un share capital de Rs 5 000.

Soutien financier

Pour donner une nouvelle impulsion au mouvement coopératif dans la nouvelle normalité, le Budget 2020-2021 a annoncé la mise en opération, en juillet 2020, d’un plan visant à financer les équipements, les machines et autres accessoires connexes pouvant grimper jusqu’à un maximum de Rs 150 000 par société coopérative, et servant d’appui financier à la production locale de produits agricoles et agroalimentaires. 50 % du coût, jusqu’à un plafond de Rs 18 000, est proposé aux sociétés coopératives pour l’achat d’un ordinateur portable, dans le cadre des facilités informatives offertes par le ministère des Coopératives. 50 % du coût d’un projet d’entreprise comme seed capital, jusqu’à un maximum de Rs 25 000 par une société coopérative de jeunes (de 18 à 30 ans) est offert sous le «Grant Scheme to encourage Youth Participation in the Co-operative Sector». En matière d’initiatives fiscales, les dividendes payés par une société coopérative ne sont pas taxables

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