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Maurice entre dans un cycle de croissance molle et d’inflation forte

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Inflation

À l’heure où la flambée des prix de l’énergie et de l’alimentaire place les ménages les plus modestes dans le rouge, nombre d’observateurs économiques mettent en garde contre le risque d’une stagflation.

Alors que le pays commençait à peine à se remettre de la crise engendrée par la pandémie de Covid-19, le conflit russo-ukrainien et ses conséquences inflationnistes sont venus tout remettre en cause. La flambée des prix de l’énergie et des produits alimentaires n’en finit plus de miner le pouvoir d’achat des ménages et les marges des entreprises.
Dans ses dernières prévisions, Statistics Mauritius fait état d’une inflation estimée à 6 % en mars contre 5 % en février. L’inflation en glissement annuel, quant à elle, s’élève à 10,7 %.
Face à cette escalade des prix, le gouvernement essaie de rassurer la population. D’ailleurs, le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, avait déclaré il y a quelques semaines que pas moins de 700 mesures sociales sont actuellement à l’étude dans le but de soulager le porte-monnaie des Mauriciens. Il n’empêche que depuis cette annonce, le coût du carburant, celui du gaz ménager et de nombreux produits alimentaires ont enregistré de nouvelles hausses. Celles-ci sont à l’origine de la nervosité sociale ayant débouché sur les manifestations de rue de la semaine dernière. Suite à quoi, Business Mauritius, par la voix de son CEO, Kevin Ramkaloan, est monté soutenant que ces tensions sociales découlent de l’escalade des prix et qu’il est primordial que le gouvernement intervienne pour apporter un soutien ciblé aux familles les plus vulnérables. Plus tôt la semaine dernière, le Group CEO d’IBL Ltd, Arnaud Lagesse, lui aussi reconnaissait l’urgence de la situation suggérant qu’il faudrait étudier l’option d’utiliser les fonds de la Mauritius Investment Corporation pour soutenir ceux au bas de l’échelle.

Analysant la situation, l’économiste Rajeev Hasnah observe que «le taux d’inflation entraîne une répercussion directe sur le coût de la vie et le pouvoir d’achat de tout un chacun. Un fort taux d’inflation résulte aussi en une augmentation des coûts opérationnels pour les entreprises, qui peut résulter en une spirale inflationniste avec les demandes d’augmentation salariale considérable pour pouvoir pallier la perte du pouvoir d’achat».
Au rythme auquel évolue la situation, les observateurs craignent aussi un emballement de l’inflation, qui pourrait peser sur la croissance cette année. D’ailleurs, MCB Focus, publication économique du Groupe MCB a, début avril, revu à la baisse de 50 points de base son estimation de croissance, pour l’établir à 6,2 %. Une tendance confirmée par le Fonds monétaire international (FMI) qui, dans ses dernières prévisions, anticipe une croissance de 6,1 % en 2022. Une prévision en recul qui s’explique, selon les observateurs économiques, par un démarrage en deçà des attentes de l’industrie touristique, des exportations des biens et des services mais également par la flambée du coût de nos importations dans le sillage du conflit russo-ukrainien. Si jusqu’alors, certains économistes pariaient sur un phénomène ponctuel, force est de constater qu’il pourrait encore perdurer plusieurs mois.

Marge de manœuvre réduite ?

À Maurice comme ailleurs, les tensions économiques qui se succèdent depuis plus de deux ans ont sérieusement entamé l’économie. Pour relancer l’appareil productif, le gouvernement n’a eu d’autre choix que de privilégier une inflation forte. Selon l’économiste Manisha Dookhony, la priorité des priorités était de «remplir les caisses de l’État et d’embellir le ratio de dette sur le PIB à valeur nominale. Maintenant on a un effet d’inflation importée qui est assez difficile à gérer. Avec une marge de manœuvre quasi inexistante aujourd’hui, c’est difficile de prédire comment la situation pourrait être assainie». Sa principale crainte, c’est qu’une nouvelle crise surgisse car le pays pourrait difficilement supporter un autre choc économique.
Des voix se sont d’ailleurs élevées pour pointer du doigt l’envolée de la dette publique, qui était estimée à Rs 413 milliards à fin décembre 2021, soit l’équivalent de 89,5 % du PIB.
Les plus alarmistes, regroupés au sein de l’Opposition parlementaire, n’ont pas hésité à avancer que Maurice pourrait, dans un avenir proche, subir le même sort que le Sri Lanka. Ce pays, enfoncé dans une crise majeure, a vu ses réserves en dollars s’épuiser et a été contraint d’emprunter du FMI pour continuer à payer ses exportations.
Afin d’éviter un scénario catastrophe, la Banque de Maurice est intervenue à quatre reprises sur le marché des changes pour stabiliser la roupie et adresser la problématique de pénurie de devises.
La première intervention a été menée le vendredi 8 avril lorsqu’elle avait vendu un total de $25 millions au taux de Rs 43,15 le dollar. La deuxième intervention a eu lieu le mercredi 13 avril. La Banque centrale a vendu un montant record de $200 millions au marché, y compris à la State Trading Corporation au taux de Rs 42,95 le dollar.
Les deux dernières interventions réalisées les 22 et 25 avril portent sur des montants de $15 millions et de $25 millions respectivement. Dans les deux cas, les ventes ont été faites au taux de Rs 42,90 le dollar.
Bien que ces interventions aient permis une reprise d’environ 4 % de la valeur de la roupie face au billet vert, il n’empêche qu’il y a des incertitudes par rapport à la future croissance de la monnaie locale, estime Manisha Dookhony. «Je pensais que l’intervention record de la Banque de Maurice atténuerait les risques par rapport au prix de l’essence, mais tel n’a pas été le cas. Cette intervention a aussi l’effet d’atténuer la croissance des fonds de réserves. Par contre, si la guerre en Ukraine et les incertitudes à Maurice perdurent, ce répit risque d’être de courte durée», argue-t-elle.

L’ombre de la stagflation

Cette perspective fait craindre un risque de stagflation. Ce terme, inventé en 1965 par un homme politique britannique, Iain Macleod, pour décrire la situation économique qui prévalait alors au Royaume-Uni, se caractérise par une forte inflation et un ralentissement de la croissance. De l’avis de Manisha Dookhony, on ne peut parler de stagflation. Elle s’explique : «Si pour l’instant, nous avons un taux d’inflation qui augmente, en revanche, les entreprises continuent à recruter. Quant à la croissance, son taux a certes baissé, mais nous enregistrons tout de même de la croissance. Nous ne sommes donc pas encore en situation de stagflation. Cela dit, il y a un fort risque de stagflation sur le plan international et notamment dans un contexte d’incertitude macroéconomique et géopolitique accrue. Les difficultés à la croissance en Europe pourraient donc avoir un effet sur notre PIB, et alors, notre île pourrait faire face à une situation de stagflation».
Dans un tel contexte, le pas de deux entamé par l’inflation et la croissance en baisse achève de mettre dans le rouge tous les indicateurs économiques. Alors que la menace de la stagflation se fait de plus en plus pressante, tous les regards sont tournés vers le ministère des Finances, qui devrait venir de l’avant avec des mesures fortes lors du Budget 2022-2023 qui sera présenté en juin.  En attendant, de nombreuses voix, dont celle de Cader Sayed-Hossen, ancien ministre du Commerce et de l’Industrie. Il plaide pour une intervention de l’État afin de relâcher la pression. Et se dit en faveur d’un contrôle partiel du prix d’une quarantaine de produits alimentaires de base. «Il n’est pas normal que les Mauriciens les plus démunis ne puissent plus s’acheter des produits de base pour nourrir leurs familles. Cette situation résulte notamment d’une dérive du dollar depuis de trop nombreuses années», soutient-il. Et d’appeler de ses vœux l’introduction de mesures fortes pour encourager l’autosuffisance à travers l’exploitation des quelque 35 000 hectares de terre à la disposition de l’État. D’aucuns estiment qu’il faudra des mesures fortes et urgentes pour espérer éviter à terme un naufrage économique duquel il sera difficile de se relever.

Prix du carburant : attention à l’effet multiplicateur

Après une première hausse de l’essence à Rs 61 le litre en début d’année, ce carburant a connu une nouvelle augmentation le faisant passer à Rs 67 le litre en avril. L’impact se ressent aussi bien sur le budget des Mauriciens que celui des entreprises. Ce qui pourrait avoir un effet multiplicateur.
«Le prix de l’essence a un effet direct pour les automobilistes. Mais le prix de l’essence a un effet multiplicateur et a un direct effet sur prix du transport ainsi que sur tous les produits et service qui nécessitent un transport. Donc, un tsunami d’augmentation est à craindre sur tous les produits à Maurice», indique Manisha Dookhony. Elle est soutenue dans ses propos par Rajeev Hasnah qui affirme qu’il est «clair que le pouvoir d’achat des consommateurs sera lourdement impacté et que les coûts opérationnels des entreprises seront plus élevés».

Salaire minimum : le bon timing ?

Conscient de l’urgence de la situation, le ministère des Finances a récemment fait savoir que révision du salaire minimum, initialement prévue en 2025, pourrait intervenir plus tôt. Déjà, en janvier dernier, son seuil avait été rehaussé de Rs 10 575 à Rs 11 075. Certains économistes se montrent sceptiques quant à l’efficacité de ce levier. Et cela pour deux raisons. D’une part, les entreprises locales sont engluées dans des problèmes de trésorerie depuis plus de deux ans et ne pourront sans doute pas absorber ce coût supplémentaire et, d’autre part, les quelques centaines de roupies supplémentaires accordées aux salariés se trouvant tout au bas de l’échelle sera très loin de compenser l’inflation galopante. D’ailleurs, une relance de l’économie par la consommation est jugée obsolète par nombre d’observateurs économiques. «Il faut abandonner les vieilles philosophies de relance par la consommation ainsi que de penser que le salaire minimum peut éponger toutes les problématiques», déclarait dans ces mêmes colonnes Eric Ng, le directeur de PluriConseil, la semaine dernière.

Inflation : privilégier des mesures de long terme

Comment atténuer les impacts liés à l’inflation ? C’est la grande question à laquelle de nombreux économistes tentent de trouver une réponse.
Tout en reconnaissant qu’il existe une faible marge de manœuvre, Manisha Dookhony préconise «une révision des composants du prix du pétrole à la pompe». De plus, elle estime qu’«il y a une possibilité de revoir ce prix en baissant certains des composants tels que les fonds liés à la Covid-19 et à l’achat des vaccins et leurs éléments de TVA dessus». Cela dit, l’économiste soutient que des mesures réfléchies seraient une meilleure solution, car il faut considérer la problématique de l’inflation sur le long terme.
Pour sa part, Rajeev Hasnah est d’avis qu’avant toute intervention, il faut revoir et comprendre le mécanisme économique mauricien ainsi que les réelles causes de l’inflation.

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