Business Magazine

Nilen Vencadasmy, président de la MTPA : «La sécurité sanitaire est la priorité No. 1 des voyageurs en ce moment»

Nilen Vencadasmy

À la veille de la réouverture totale des frontières, le président de la Mauritius Tourism Promotion Authority se dit impatient d’accueillir à nouveau les visiteurs dans l’île, de redémarrer tout un pan de l’économie mauricienne, et de redonner espoir à ces 100 000 familles qui vivent directement et indirectement de l’industrie touristique.

Le pays s’ouvre de nouveau pleinement aux touristes le 1er octobre. Comment appréhendez-vous cette nouvelle étape de la réouverture ?

Nous sommes impatients de lancer cette étape très importante pour l’industrie touristique et pour le pays. La première étape de réouverture nous a permis de tester nos protocoles et d’affiner notre préparation en vue du grand rendez-vous du 1er octobre, notamment en réduisant le Resort Protocol de 14 à 7 jours pour les visiteurs vaccinés et ayant fait le test PCR. Cela fait des mois que nous travaillons avec acharnement et de concert avec le secteur privé pour nous préparer et pour rendre le plus attractif possible la destination, tout en gardant comme priorité la santé de tous, en commençant par les équipes travaillant dans la chaîne du tourisme. A quelques jours du grand rendez-vous, le moins que nous puissions dire c’est que nous sommes fins prêts pour accueillir les visiteurs dans des conditions sanitaires optimisées. D’autre part, les derniers chiffres dont nous disposons démontrent un intérêt certain des voyageurs pour Maurice. Les réservations n’ont cessé d’augmenter depuis l’annonce des dates des différentes phases de réouvertures. Nous sommes donc confiants de pouvoir réussir cette étape cruciale dans l’histoire contemporaine de notre pays.

La MTPA a amorcé, l’année dernière, sa transformation numérique. Qu’est ce qui a motivé cette décision ?

La transformation digitale a créé de véritables mutations dans l’offre et la demande au sein de notre secteur, et a redéfini les rôles des différents protagonistes. Des clients/visiteurs aux acteurs de la chaîne du tourisme, le numérique offre aujourd’hui de nouvelles opportunités, mais soulève aussi de grands défis à relever. Selon la Digital Transformation Initiative du World Economic Forum, entre 2016 et 2015, la digitalisation de l’aviation, du voyage et du tourisme devrait atteindre une valeur avoisinant les 305 milliards de dollars. La transformation numérique de la MTPA était donc une évidence.

D’autant plus qu’avec la pandémie, le voyageur s’appuie encore davantage sur l’information autour d’une destination avant de se décider. Aujourd’hui, le voyageur compare non seulement les offres, mais aussi les protocoles sanitaires et autres données autour de sa sécurité. Selon tous les experts, la sécurité sanitaire est la priorité numéro 1 des voyageurs en ce moment. Sachant cela, nous avons travaillé avec nos partenaires du privé pour identifier les points importants pouvant rendre plus attractive la destination Maurice et pour affronter les incertitudes apportées par la pandémie.

Cette transformation digitale a été effectuée à plusieurs niveaux. Tout d’abord, nous avons créé de nouvelles vitrines pour la destination (sites web, nouvelle application mobile, nouvelles pages sur les réseaux sociaux, nouveaux canaux de communication avec nos partenaires). Nous avons également étudié la manière dont nous commercialisons traditionnellement la destination, et il était clair que la COVID-19 nous offrait une opportunité de revoir notre mode de distribution. Cette réflexion nous a permis en très peu de temps de mettre en place une plateforme de réservation en ligne pour la quarantaine l’année dernière, hébergé sur le site booking.mymauritius.travel. Du reste, nous réfléchissons sur l’avenir de cette plateforme car nous avons aujourd’hui la possibilité de développer notre propre système de réservation en ligne qui permettrait par exemple au voyageur de réserver à la fois son billet d’avion sur Air Mauritius et son hébergement.

Enfin, nous avons mis sur pied une Business Intelligence Platform, qui nous permet de collecter des données, des statistiques, et d’effectuer des projections que nous partageons en temps réel avec tous les acteurs de l’industrie. Cela nous permet de mieux cibler nos marchés et d’affiner notre approche envers les potentiels visiteurs, tout en prenant des décisions stratégiques éclairées et plus efficaces.

Quels ont été les premiers retours autour de cette stratégie ?

Tous ces outils nous offrent plus de visibilité mais aussi plus d’efficacité dans la commercialisation de la destination mais également dans la prose de décision. Dans le monde d’aujourd’hui il y a très peu de place pour les décisions d’affaires basées sur l’instinct. Il nous faut une prise de décision fondée sur des preuves pour être le plus précis possible dans notre stratégie. D’ailleurs, un de nos collaborateurs du privé n’hésite pas à parler de ‘sniper approach’. En très peu de temps, nous avons aussi réussi à créer des outils qui ouvrent l’accès à l’information, dans un monde où les données changent quotidiennement, tout en facilitant les systèmes de réservation. En mettant ces données à la portée de l’industrie, chaque acteur est capable désormais de prendre des décisions basées sur des données pertinentes. De surcroît, la MTPA respecte enfin son mandat statutaire, étant donné que la MTPA Act prévoit que l’instance doit fournir des renseignements commerciaux aux opérateurs du tourisme. Pour la première fois, nous sommes entièrement conformes avec la loi. Donc oui, les retours sont très satisfaisants à ce niveau.

Les autorités se disent confiantes de pouvoir accueillir environ 325 000 touristes d’ici fin 2021. Pouvez-vous nous expliquer comment se passe la commercialisation de la destination ?

Effectivement, l’objectif est d’accueillir 650 000 touristes d’ici la fin de l’année financière, en juin. C’est ce que le ministre des Finances a indiqué lors du dernier Budget. Avant la pandémie, une grande partie de notre mission consistait à créer des campagnes axées sur différents segments de marché pour inspirer les visiteurs à venir ou revenir découvrir Maurice. Maintenant, la priorité est d’inspirer confiance aux voyageurs potentiels, tout en restant source d’inspiration. Nous avons donc dû ajuster le marketing de la destination pour consolider, au-delà de l’incertitude légitime que les voyageurs peuvent ressentir, l’indice de confiance en la destination.

La bonne nouvelle est qu’une récente enquête de l’Association du Transport Aérien International (IATA), effectuée auprès de 4 700 répondants de 11 pays, a révélé que 57 % d’entre eux prévoyaient de voyager dans les deux mois suivant l’endiguement de la pandémie.  Donc, les voyageurs potentiels sont là. A nous de faire ce qu’il faut pour leur vendre la destination et les convaincre que Maurice reste un pays sûr.

Nous savons qu’historiquement, la destination est “Tour Operator driven” : 70% de nos arrivées proviennent de TO. Les 30% restants réservent eux-mêmes auprès des établissements ou passent par des OTA (sites comme booking.com). Nous devons donc être en mode de communication encore plus rapprochée auprès de nos partenaires internationaux afin d’anticiper au maximum les demandes, les fluctuations du marché…les consultations, échanges de mail, conversation téléphoniques, zoom se font quasi quotidiennement.

Bref, nous faisons notre possible pour leur permettre de partager un maximum d’informations sur la destination, avec un gros focus sur les protocoles et les mesures sanitaires prises au niveau local, mais aussi sur la capacité à Maurice de gérer la pandémie. Pour aider les TO dans leurs rôles, nous avons également des communications hebdomadaires à travers notre newsletter, et le site mauritius.now consolide toutes les informations pratiques sur la destination en temps réel.

Nous avons également décliné tout un plan com sur plusieurs mois sur les réseaux sociaux, avec le conseil d’un comité technique incluant les spécialistes marketing du privé. La campagne de réouverture ‘Mauritius Now’ a de plus été approprié par l’ensemble des opérateurs de l’industrie. Un fait quasi unique et nous en sommes très heureux.

A savoir également que le focus du voyage à l’ère de la COVID-19 doit aussi absolument inclure l’élément de « sustainability » et d’inclusivité, des éléments qui sont pris en compte par le voyageur dans son choix de destination. Il y a aussi un volet commercial non négligeable au niveau des compagnies aériennes qui desservent la destination, avec lesquels nous travaillons en étroite collaboration pour augmenter notre visibilité sur différents marchés.

Octobre verra enfin le retour des grandes messes du tourisme mondiales, notamment avec la foire Top Resa à Paris. Une délégation importante public-privé avec à sa tête le Premier Ministre adjoint et ministre du Tourisme, Steeven Obeegadoo se déplacera afin de renouer le contact direct avec nos partenaires européens.

 Les habitudes des voyageurs ont évolué dans le sillage de la crise sanitaire. Quels sont les nouveaux réflexes des touristes et comment les opérateurs peuvent s’y prendre pour s’adapter ?

Dans une publication du 27 juillet 2021, McKinsey prévoit une augmentation du nombre de voyages dans (et entre) les pays où les cas de la COVID-19 et l’accès aux vaccins sont gérables et modérés. C’est un bon point pour Maurice.

Les habitudes de voyage vont cependant évoluer. Les voyageurs ont tendance aujourd’hui à effectuer leurs réservations à la dernière minute. Ils ne se préparent plus des mois à l’avance, comme c’était le cas auparavant, à cause des incertitudes sur les vols, les protocoles, les fermetures de frontières, etc. C’est la raison pour laquelle nous avons énormément travaillé sur notre Business Intelligence Platform, afin de pouvoir analyser les tendances et mieux nous préparer à court terme.

Selon les données partagées par plusieurs sites de réservation en ligne comme kiwi.com, hospitalitynet.org ou travelweekly.co.uk, les tendances les plus récentes montrent une augmentation du nombre de réservations et une baisse du nombre d’annulations, ainsi qu’une forte demande pour les séjours en villas familiales.

Ces deux dernières semaines, nous avons aussi noté une augmentation hebdomadaire de 20% des réservations. En tenant compte du nombre d’annulation, qui est aussi en baisse et se situe autour de 7%, nous nous attendons, pour octobre, à30 000 – 35 000 arrivées, mais la tendance ces derniers jours est exponentielle et nous pourrions être agréablement surpris. Cela nous donne de l’espoir pour novembre et décembre.

A l’heure où il est parfois très contraignant de voyager, comment faire pour que la destination Maurice demeure attractive ?

Nous devons jouer sur nos forces, multiplier les efforts pour augmenter notre visibilité sur nos marchés traditionnels tout en nous tournant vers de nouveaux marchés prometteurs, comme l’Europe de l’Est, la Scandinavie, ou encore les Moyens Orient, et surtout ne pas nous attendre à ce que tout rentre dans l’ordre du jour au lendemain. Le virus est désormais une réalité que nous devons accepter, mais nous ne pouvons pas vivre en autarcie.

En tout cas, l’envie de voyager est plus que jamais présente partout à travers la planète. Les gens veulent sortir, changer d’air, oublier toutes les épreuves qu’ils ont subi ces deux dernières années. Il nous faut bien évidemment rassurer les voyageurs sur la sécurité de la destination, leur donner des informations précises sur notre système de santé, l’évolution du virus, les protocoles sanitaires, etc., mais au-delà de l’aspect sanitaire nous n’avons pas le droit à l’erreur sur la qualité, le service, la salubrité de l’ile. Une des raisons qui nous a poussé à lancer la campagne de nettoyage et de sensibilisation ‘Respekte Moris’ en partenariat avec le Ministère de l’Environnement et la participation active de la grande famille du tourisme.

Quels sont les défis qu’auront à relever les opérateurs à moyen et long terme ?

Tout d’abord, il y a l’accessibilité. Nous disposons de bien moins de capacités qu’avant sur les compagnies aériennes qui nous desservent. La sortie annoncée d’Air Mauritius de l’administration sera une bouffée d’air frais pour la destination et nous permettra d’envisager le moyen le long terme plus sereinement. D’ailleurs la MTPA a déjà eu des sessions de travail avec l’équipe commerciale d’Air Mauritius en vue d’élaborer une stratégie commerciale commune – ce qui va sans aucun doute nous aider à pousser la destination de manière beaucoup plus soutenue.

Et puis bien évidemment, le virus est toujours bel et bien présent, et sera encore là pour un bon moment. Nous devons apprendre à vivre avec et assurer une sécurité optimale pour nos arrivants.

Enfin, la compétition sera encore plus féroce avec nos compétiteurs directs. Il nous faudra trouver des moyens de mieux fidéliser notre clientèle régulière tout en ciblant la nouvelle génération de façon plus réfléchie.

D’après une étude effectuée auprès du panel d’experts de la World Tourism Organisation, 60% des experts interrogés s’attendent à une reprise dans le secteur touristique en 2022, contre seulement 21% en janvier 2021. C’est la preuve que l’espoir est de mise pour notre industrie, et c’est à nous maintenant d’assurer la reprise même si nous sommes conscients qu’il faudra au moins 3 ans pour revenir à un niveau d’arrivée pré-COVID.

 Comment mieux coordonner les initiatives des opérateurs privés et du pouvoir public afin que la destination parle d’une seule et même voix ?

 La création d’un partenariat solide public-privé a été pour moi comme un véritable leitmotiv depuis mars 2020, date de mon arrivée à la tête du Conseil d’Administration de la MTPA. Je me souviens encore de la première réunion Zoom du Joint Committee public-privé au lendemain du premier lockdown avec la bénédiction du ministre d’alors, Joe Lesjongard qui avait tout de suite compris qu’il nous fallait une étroite collaboration pour sortir de la crise. Beaucoup de chemin parcouru depuis. Nous avons maintenu la cadence depuis bientôt 18 mois avec des réunions chaque semaine qui nous ont permis de travailler ensemble sur la stratégie de sortie de crise, la relance, le marketing et le nouveau positionnement de la destination, et l’avenir sur le long terme avec des propositions concrètes en vue de réinventer le produit Maurice. Le plan de transformation numérique, la campagne Mauritius Now entre autres sont autant d’exemples concrets des fruits que rapporte déjà cette collaboration.

Tout le monde a parfaitement compris l’importance de travailler ensemble face aux défis majeurs qui s’annoncent. Ce qui est réconfortant dans ces moments compliqués que nous traversons, c’est qu’à plusieurs moments de l’histoire de notre pays, nous avons prouvé notre résilience et montré que quand privé et public s’unissent autour d’un projet commun, nous arrivons à faire face de façon admirable.

Quelles sont les estimations de l’Office du Tourisme par rapport aux recettes touristiques pour l’exercice financier 2021-2022 ?

Selon une étude récente effectuée par une firme indépendante, AXYS Research, nous devons nous attendre à des revenus globaux pour l’industrie de 28 à 41 milliards de roupies durant les 15 mois suivant la réouverture. Pour notre part, nous nous basons sur les estimations du Ministère des Finances et nous devrons nous attendre à des revenus de l’ordre de Rs 30 milliards d’ici la fin de la prochaine année financière.

Le ministre du Tourisme a déclaré récemment que nous allons aussi nous intéresser à de nouveaux marchés dont le Moyen-Orient qui a fourni un nombre considérable de touristes aux Maldives et aux Seychelles. Pouvez-vous nous en dire plus ? 

Nous constatons effectivement une forte demande pour l’Océan Indien venant du Moyen Orient mais également de l’Europe de l’Est. Tout en renforçant notre présence sur nos marchés traditionnels dans l’immédiat, nous déclinons également notre stratégie commerciale sur ces marches. Nos représentants sur ces marches sont à pied d’œuvre afin d’assurer notre visibilité. En ce qu’il s’agit du Moyen Orient, d’énormes efforts sont actuellement consentis en ce moment conjointement avec l’EDB sur le Dubai Expo. Maurice aura une « pavillon » juste à côté de celle de Dubai, ce qui nous assurera une visibilité maximale. En outre notre Tourism Desk sera au four et au moulin lors de cet évènement qui nous offre une belle opportunité de séduction de ce marché. En janvier 2022 une Tourism Week est prévue dans le cadre de l’Expo et il faut s’attendre à la participation d’une grosse délégation mauricienne. En outre, nous travaillons avec le gouvernement à l’élaboration d’une stratégie visant à attirer plus de jets privés de cette région du monde.

Le CDC américain a récemment placé Maurice sur la liste des pays à hauts risques et déconseille de s’y rendre. Comment accueillez-vous cette décision ?

L’impact de notre présence sur cette liste qui cible principalement le marché américain sera négligeable pour Maurice. Il faut savoir que de nombreux autres pays se sont retrouvés sur cette liste, comme la France, le Royaume-Uni, les Seychelles et les Maldives. De plus, le marché américain n’a jamais été un réservoir de touristes important pour Maurice, donc je ne m’inquiète pas plus que ça.

D’autre part, Maurice vient tout juste d’être inclue dans la liste des pays “ clear to travel “ du Royaume-Uni, un marché beaucoup plus important pour nous. Cela constitue une preuve, s’il en fallait de la confiance de nos marches traditionnelles dans notre gestion de la situation sanitaire et nos protocoles. Comme quoi, il n’y a pas que des mauvaises nouvelles à partager ! En ces temps difficiles, il serait d’ailleurs plus judicieux de se concentrer sur les choses positives et faire preuve de patriotisme en apportant sa contribution, plutôt qu’en étant négatif et en allant à l’encontre des efforts collectifs de toute une industrie. L’heure est à la solidarité nationale pour la sauvegarde de notre secteur touristique qui est, comme nous l’avons constaté encore davantage ces 18 derniers mois, tellement important pour notre économie en général.

Cette liste pourrait-elle remettre en cause la stratégie mise sur pied pour promouvoir Maurice sur nos principaux marchés?

En aucune façon, tout en sachant que notre stratégie doit rester flexible en ces temps de grandes incertitudes. Pendant une crise telle que celle-ci, la force est de rester adaptable et agiles. Le nouvel écosystème du tourisme mondial est tellement fluctuant que nous n’avons pas le choix, nous devons tout faire pour nous ajuster aux nouvelles tendances et nous adapter du mieux possible. Les relations solides nouées entre le secteur privé et le secteur public, ainsi que les nouveaux outils technologiques dont nous disposons, nous permettent cette flexibilité grâce à des décisions mûrement réfléchies et élaborées avec l’apport de tout le monde.

Nous avons confiance en notre stratégie, et nous maintenons les discussions avec tous les partenaires du secteur au cas où il s’avère nécessaire de modifier notre approche ou de changer d’orientation stratégique dans l’avenir.

Donc oui nous sommes confiants. Mais nous sommes surtout impatients ! Impatients d’accueillir a nouveau les visiteurs dans l’ile, de redémarrer tout un pan de l’économie mauricienne, et de redonner espoir a ces 100,000 familles qui vivent directement et indirectement de l’industrie touristique.

Exit mobile version