Business Magazine

Nouvelle normalité – Une réorientation stratégique pour les dirigeants d’entreprises

Le Covid-19 a entraîné dans les entreprises une réflexion sur les meilleures stratégies en matière de gouvernance. Quelles sont les grandes lignes de cette nouvelle normalité ?

Linda Mamet : Dans un premier temps, il faut comprendre ce qu’est le Corporate governance. Pour donner une définition simple, c’est ce qui correspond aux règles liées à la bonne gouvernance dans une entreprise. L’on peut aussi se référer au Code of Corporate Gouvernance, qui développe les grandes lignes assurant le bon fonctionnement d’un conseil d’administration.

Dans les grandes lignes, la nouvelle normalité du point de vue d’un conseil d’administration est d’établir les bonnes stratégies, notamment en période de crise. Pour cela, il est primordial de savoir les points faibles et forts de la compagnie, tout en gardant à l’esprit une vision sur le long terme.

Plus encore, il ne suffit pas d’adopter une posture passive. Pour cause : il est important de prendre à bout de bras les opportunités mises en lumière par la Covid-19. Par exemple, les entreprises peuvent se fortifier en assimilant davantage les concepts de digitalisation ou de télétravail.

Il est bon de noter que cette crise, bien que toujours présente, est aussi inédite. Il est donc normal que certaines entreprises peinent à prendre leurs marques lors de cette reprise des activités.

Manisha Dookhony : La pandémie nous a appris que les entreprises ont besoin de mettre en place des réponses en temps réel. Pour cela, il y a un besoin d’agilité, de résistance et d’adaptabilité face à la volatilité, à l’incertitude, à la complexité et à l’ambiguïté, qui se sont produites bien plus rapidement que nous aurions pu l’imaginer. Par exemple, nous avons observé que les commerces ont dû vite mettre en place la logistique et un système de livraison. Cela leur a permis de mieux gérer

la crise.

La crise a eu ceci de bon : elle a replacé l’homme au centre de l’entreprise. Si bien qu’aujourd’hui, le concept de capital prend tout son sens. Votre constat ?

Manisha Dookhony : Il faut dire tout d’abord que le capital humain est au centre de l’entreprise dans beaucoup de pays qui sont très compétitifs comme l’Allemagne. Maintenant, d’autres prennent de plus en plus conscience du facteur humain au centre de l’entreprise, pas uniquement comme ressource. La crise de Covid-19 a porté une attention renouvelée au capital humain et aux employés. Ainsi, nous avons vu l’impact sur les programmes de rémunération, le focus sur le bien-être des employés,

entre autres.

En outre, certaines entreprises ont utilisé une gamme de leviers pour proposer une approche individualisée afin de comprendre la situation de chaque employé et pour être capables de réagir de manière appropriée aux besoins individuels. Il y a eu la mise en œuvre de modèles de dotation, de formation et de conformité pour créer de nouveaux comportements et une compréhension mutuelle. Cela a été soutenu par des actions concrètes, y compris la fourniture de matériel de bureau à domicile, des prestations de santé, des augmentations de salaire et des promotions. En fait, la pandémie de Covid-19 a illustré le lien inextricable entre la santé humaine et le succès organisationnel.

Linda Mamet : Le domaine des ressources humaines est le point le plus important d’une entreprise. 

Dans le cadre de la Covid-19, je parlerais davantage d’une prise de conscience par rapport au domaine des ressources humaines, plutôt qu’un changement de paradigme. Il y a eu un déclic par rapport à la nécessité d’avoir des personnes qualifiées dans le secteur, et l’importance d’avoir une bonne formation dans ce domaine. Nous devons aussi prôner une approche holistique de l’éducation, et cela depuis l’université, car les ressources humaines dépassent celle du recrutement.

Nous notons aussi depuis peu que la digitalisation semble effrayer certains employés. Il ne faut pas que la peur gagne le personnel. Pour cause : l’action humaine est et restera au centre des activités d’une compagnie. Même l’intelligence artificielle a besoin de l’homme. La digitalisation doit venir améliorer un secteur et non pas remplacer l’activité et la connaissance qu’un individu peut lui apporter. Ceux qui occupent des postes de RH doivent se montrer rassurants et on doit aussi les rassurer, car leur domaine peut aussi vivre une

digitalisation.

La crise impacte lourdement le cash-flow des entreprises. Comment cela se ressent-il ?

Linda Mamet : Le rôle du MIoD n’est pas de donner des conseils à une entreprise sur sa gestion financière. Il est difficile de livrer des pistes de réflexion, car chaque entreprise dispose de différents modèles financiers.

Cela dit, il est important de considérer que les entreprises sont soumises, en ce moment, à un exercice d’audit. Cela va permettre de cerner les problématiques liées à la finance de ces entreprises. Les investisseurs et les entreprises pourront alors agir en conséquence.

Manisha Dookhony : L’effet premier au niveau financier a été le coup dur sur la trésorerie des entreprises et de leur profitabilité compte tenu de l’énorme impact du choc brutal et imprévu de la demande, les effets sur les activités des entreprises. On le voit déjà avec les entreprises qui publient leurs comptes.

À l’échelle mondiale, les transactions de fusions et acquisitions se sont considérablement réduites. Il y a de moins en moins d’investissements, et encore moins à Maurice. Sauf peut-être ceux qui bénéficient du soutien de la Mauritius Investment Corporation. Mais ce qui est sûr, c’est que les investisseurs privilégieront des placements devant soutenir la résilience des entreprises.

Dès que l’incertitude disparaîtra, nous devrions nous attendre à ce que les fonds de capital-investissement soient les premiers à intervenir, en se concentrant sur les marchés développés.

Comment les entreprises doivent-elles s’y prendre pour la refonte de leur «business model» ?

Manisha Dookhony : De nouveaux paradigmes émergent en effet. Le leadership est important. Les entreprises doivent se concentrer sur le développement de capacités de base qui aident leurs dirigeants à s’adapter, à pivoter et à communiquer selon les besoins. Les leaders doivent trouver une nouvelle voix en tant que communicateurs empathiques. Le leader qui peut inspirer une confiance et avoir un leadership courageux et authentique est dans une meilleure posture pour naviguer au coeur de la crise.

Par ailleurs, il y a eu tout un enchaînement qui a mené à la rupture des chaînes d’approvisionnement et de nos marchés. Il est important donc de pouvoir recentrer les productions et les marchés sur la région. On va voir autour du monde un recentrage sur la régionalisation. Avec une équipe autour du bassin de l’océan Indien, nous sommes en train de développer des projets dans cette région. On note qu’avec La Réunion, il y a une forte demande pour des services professionnels de Maurice. 

Avec Madagascar, il y a des opportunités de valorisation de produits. Mais il y a aussi des produits que nous produisons qui pourraient intéresser le marché

malgache. 

Linda Mamet : Il faut dans un premier temps que les entreprises et conseils d’administration établissent une liste des priorités. Les entreprises sont impactées à différents niveaux. Donc, les mesures adoptées varieront selon l’impact de la crise.

Ainsi, les changements apportés au business model et business plan des compagnies comporteront de nouveaux défis à relever. Par exemple, avec la digitalisation des entreprises, nous avons vu que le concept de protection des données est devenu primordial, voire essentiel. On a un besoin d’avoir des personnes qualifiées dans ce domaine, afin de pouvoir se fortifier et d’être agile au cas où une situation similaire se présenterait. L’on note d’ailleurs que bon nombre de PME ont montré cette résilience en allant vers les plateformes d’e-commerce ou vers des applications pour commercialiser leurs produits et leurs services.

Par ailleurs, s’agissant des entreprises ayant un plus gros volume de production, d’employés et de revenus, cette transition peut prendre plusieurs années, car cela comporte des risques. Il vaut mieux être bien préparé en ayant pris en considération différents paramètres, que de changer de modèle sur un coup de tête.

Il est important de noter qu’il existe des compagnies qui s’en sont bien sorties. Par exemple, les entreprises ayant déjà fait leur transition vers le digital et ayant adopté des mesures en faveur du télétravail ont été très peu secouées.

Comment le conseil d’administration doit-il se repenser pour s’adapter à la nouvelle normalité ?

Linda Mamet : Les conseils d’administration, en cas de doute, peuvent se référer au Code of Corporate Gouvernance. Pour rappel, ce document définit clairement le rôle de chaque composant d’un conseil administration, allant du Chairperson à l’Independent Director. Il est aussi important que le conseil d’administration n’empiète pas sur les actions menées pas les équipes managériales et vice versa.

Au niveau du MIoD, nous avons développé des formations à cet effet. Cela permet aux directeurs de mieux assimiler leur rôle. Nous proposons aussi des services d’évaluation des Boards afin de les aider à s’améliorer.

Manisha Dookhony : Alors que les P-DG sont occupés à combattre les incendies, le conseil d’administration devrait adopter une Light touch approach afin de permettre un bon management sans trop d’interférence.

L’objectif et les valeurs de l’entreprise deviennent de plus en plus une question importante, et c’est le rôle du conseil d’administration de réfléchir là-dessus. Tout comme il faut y avoir une refonte stratégique pour assurer la survie des entreprises. La Covid-19 aura des conséquences à long terme et des changements radicaux, y compris sur la manière d’intégrer les technologies numériques au sein de l’entreprise.

Le conseil d’administration devrait évaluer la robustesse des systèmes de gestion des risques et décider s’il faut faire des ajustements pour le long terme. Par principe, le conseil devrait se poser la question s’il faut partager la douleur de la réduction de salaire des dirigeants et des employés. Pour le conseil d’administration, il est important de réexaminer les cibles et objectifs à atteindre.

Exit mobile version