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Permanence de l’État – La transition doit faire primer le bien-être des citoyens

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Permanence de l’État - La transition doit faire primer le bien-être des citoyens | business-magazine.mu

D’emblée, l’économiste Sadek Ruhmaly tranche : «L’État n’est pas la nation». Toutefois, l’État a des responsabilités envers la nation qui l’a élu et il exerce des droits régaliens sur des enjeux stratégiques comme la justice, la politique monétaire, la diplomatie, le budget, les impôts et la sécurité intérieure et extérieure du pays. Ces droits, l’État est le seul à pouvoir les exercer, contrairement aux entreprises privées. Ces dernières sont mues par la profitabilité et peuvent adopter des stratégies non linéaires d’un exercice financier à l’autre, mais l’État, lui, est tenu de faire preuve de stabilité et de participer à la réalisation d’une vision à long terme axée sur le bien-être des citoyens.

Sadek

En 52 ans d’Indépendance, Maurice a vécu plusieurs scénarios, tantôt la réélection du gouvernement en place, tantôt l’alternance et la transition de la gouvernance avec l’élection majoritaire d’un autre parti. Pour Deva Armoogum, consultant en Enterprise Governance, Strategy and Performance à EGSP Solutions, Maurice a su assurer les transitions entre gouvernements de manière relativement satisfaisante malgré certains bémols. Selon lui, Maurice est dotée d’une Constitution dans laquelle le fonctionnement de l’État est bien décrit. Par ailleurs, un bureau de l’Audit veille aux dépenses de l’État et des comités parlementaires siègent. Il explique : «La bonne gouvernance prône la transparence et la mise à disposition publique des informations, sauf, évidemment sur des questions stratégiques pouvant relever de la sécurité nationale. En ce qui concerne des projets majeurs, dont la valeur atteint des milliards et dont l’impact peut se ressentir sur les contribuables de plusieurs générations, il y a un ensemble de procédures qui servent de mécanisme de sécurité.»

Selon Deva Armoogum, qui a été à la tête de la State Trading Corporation, qui régule les contrats d’approvisionnement en pétrole, l’affaire Betamax est un cas d’école. Selon lui, un contrat commercial signé par un État en suivant les procédures à la lettre, ne peut être révoqué par un nouveau gouvernement. «Or, si le contrat a été alloué en faisant fi des procédures, il est du devoir du gouvernement de le remettre en cause», soutient-il. Deva Armoogum ajoute toutefois : «Même dans ces cas, on ne peut pas stopper un contrat d’un revers de main. Il faut d’abord faire appel à des experts indépendants, voire étrangers pour assurer la neutralité. Et c’est à l’aune des conclusions de cette analyse rigoureuse que des actions devront être prises. Notamment, il faut tenir pour responsables ceux qui ont pris les mauvaises décisions ou qui ont sciemment contourné les règles. Et, en parallèle, s’assurer que l’approvisionnement des biens et services stratégiques concernés par le contrat ne soit pas rompu de manière hâtive.»

L’AFFAIRE BAI

Dan Maraye, ancien gouverneur de la Banque de Maurice et directeur de Glamis Business School, abonde dans le même sens. Pour lui, le démantèlement de la Bramer Asset Insurance a créé un précédent qui reste regrettable pour le pays. «La bonne gouvernance permet aux citoyens, mais aussi aux investisseurs du secteur privé, d’avoir confiance dans un gouvernement», observe-t-il. Or, selon lui, dans le cas de la BAI, d’autres voies de sortie étaient possibles et le krach douloureux aurait pu être évité. Dan Maraye analyse : «Dans l’affaire BAI, le traitement accordé aux personnes qui ont des justificatifs valables – celles qui ont placé leur lump sum ou toutes leurs économies – aurait dû être différent de celles qui n’ont pu justifier la provenance de leurs fonds. Ces personnes auraient dû être intégralement remboursées. Il en va dans la confiance dans nos institutions bancaires et financières non bancaires».

Pour l’ancien gouverneur de la Banque de Maurice, l’intérêt des nombreux employés de la BAI n’a pas, non plus, été pris en considération. «Il y avait d’autres façons de procéder si des faiblesses avaient été repérées dans le fonctionnement de la BAI. On aurait pu accorder des délais pour les segments non performants et permettre à la direction de trouver les fonds ou de se réorganiser afin de mieux gérer l’impact sur la vie des employés et des clients», s’insurge-t-il. Dan Maraye enchaîne : «De plus, la Financial Services Commission a des responsabilités dans cette affaire. Les responsables qui n’ont pas fait leur travail avec rigueur et laissé cette situation prendre de l’ampleur auraient dû être révoqués aussi. C’est aussi cela la bonne gouvernance.»

Dan Maraye analyse : «Le problème de la corruption ne date pas d’hier et chacun peut décider de la combattre. Or, les ‘whistle-blowers’ sont soumis à des pressions et des transferts intempestifs. Mais les lois sont là et un seul fonctionnaire intègre suffit pour faire briser le cycle de pressions indues, même si cela remonte jusqu’au ministre luimême». Commentant l’état général du pays, qui ne correspond pas selon lui aux attentes légitimes de la nation, Dan Maraye déclare : «Voyez comme le Printemps arabe a flambé sans crier gare, ou ce qui se passe aujourd’hui au Liban et au Chili. Si les gouvernements successifs ne tiennent pas leurs promesses et restent médiocres dans leurs réalisations, ne se focalisant pas sur le développement sain du pays sur le long terme, tôt ou tard, nous arriverons à une situation abrupte de soulèvement populaire, notamment des jeunes générations. Pour désamorcer cette situation de frustration latente dans la population, nous pouvons prendre exemple sur les pays nordiques et placer le bienêtre de la nation au-dessus de toute autre considération.»

CONSOLIDER LES INSTITUTIONS

À la veille des élections générales, un autre projet qui retient l’attention est le Metro Express. Ce projet à Rs 18 milliards financé par le gouvernement indien cristallise les interrogations sur la permanence de l’État. D’une part, la gouvernance est mise à mal au vu de la clause de confidentialité qui scelle cet accord de gouvernement à gouvernement. Deva Armoogum s’étonne : «L’État indien permet à n’importe quel citoyen lambda de questionner chaque clause d’un contrat G2G car il s’agit de l’intérêt, de la sécurité et des deniers publics présent et futurs. Que l’État mauricien ne le permette pas est fort questionnable.»

D’autre part, tout en étant un fervent admirateur du métro léger et du tramway, il nuance ses observations: «Il y a beaucoup de zones d’ombre. Le light rail est certes écologique et compte de nombreux avantages pour le transport public. Toutefois, la meilleure solution n’est parfois pas la plus rentable ou viable au niveau technique et financier pour un pays. Malgré l’attrait d’un projet, il faut tenir compte des ressources du pays et de sa capacité de financement ainsi que du retour sur investissement. Pour ce type de projets, il faut une étude de rentabilité, valoriser les possibilités de ‘cross-subsidising’, et soupeser les conséquences pour les citoyens avant de se lancer.»

Pour Deva Armoogum, de plus, la communication autour du projet pèche par manque de clarté et d’informations concrètes, notamment en ce qui concerne le développement des Urban Terminals. 

Dan

«Le gouvernement aurait pu exploiter les centres commerciaux autour des grandes stations et assurer la rentabilité du projet. Les accords de partenariat public-privé sont promus mais le citoyen reste dans le flou. Le site du Metro Express semble déconnecté avec les Urban Terminals alors c’est un seul grand projet qui doit connecter le Metro Express et la circulation urbaine des citoyens.»

Allant plus loin dans sa réflexion, Deva Armoogum avance : «La structure de la gouvernance du Metro Express n’est pas visible sur le site, alors que cela devrait être une information publique. Par ailleurs, les acteurs du transport par bus ne sont pas inclus. Or, pour assurer leur pleine participation, on aurait dû les retrouver jusque dans le Board décisionnel, quitte à en faire des actionnaires. Car on a vu ce que la privatisation a donné pour le rail anglais. Plus tôt on fédère les acteurs majeurs en leur permettant d’être impliqués au plus niveau, mieux c’est pour la gestion à long terme. Outre les représentants du privé, il faut aussi des représentants des travailleurs».

Les exemples internationaux foisonnent de façons de consolider les institutions en charge de veiller à l’intérêt public : implémenter un système sénatorial pour que même des entreprises privées doivent répondre de leurs actes lorsque l’intérêt public est en jeu, instaurer un ministère du Planning et du Développement, mettre en place une Policy Unit indépendante qui produirait annuellement un Policy paper avec l’aide d’ONG et d’experts internationaux… Encore faut-il que les élus des cinq prochaines années œuvrent dans l’esprit de la meilleure gouvernance du pays.

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