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Édito

Adresser les priorités court-termistes et long-termistes

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Richard Lebon

À Maurice, le budget national est loin d’être un exercice comptable pour assainir les finances publiques et arriver au meilleur équilibre entre les recettes et les dépenses de l’État. C’est, avant tout, un puissant instrument qui permet au gouvernement du jour non seulement d’exécuter son programme quinquennal, mais aussi de relancer la machinerie économique au travers d’un ensemble de mesures structurelles et conjoncturelles.

Le revers de la médaille, c’est que le Budget est également un instrument politique dont se servent nos gouvernants pour caresser la population dans le sens du poil afin de lui faire oublier frasques et autres scandales. Depuis l’Indépendance, tous les partis au pouvoir ont allègrement puisé dans la trésorerie publique pour maintenir leur cote de popularité. Cette mentalité est profondément ancrée dans notre culture politique et ce n’est pas de sitôt qu’on verra un changement.

Tout en adressant les priorités court-termistes, le Budget s’inscrit dans une vision de long terme. S’il est bien pensé et dépouillé des considérations politiciennes, il est susceptible d’influer positivement sur le devenir de la nation. L’on se rappellera le budget de rupture de 2006, qui, de par sa vision, a été déterminant pour crédibiliser la réputation du pays sur le plan de la facilitation des affaires. Applaudies par la communauté des affaires, incomprises par une grande frange de la population, les réformes initiées par Rama Sithanen ont favorisé la libre entreprise et consolidé durablement les assises de l’économie mauricienne.

Aujourd’hui, dans ce monde en pleine transformation au sortir de la pandémie, les acteurs économiques s’attendent plus que jamais à un budget visionnaire, qui démontre de la substance et s’attaque sérieusement aux problématiques actuelles, mais également vient corriger les dysfonctionnements inhérents à notre structure économique.

Le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, sait pertinemment que les attentes sont grandes et, qu’alors que Maurice amorce sa reprise, il est de son devoir de s’assurer que son quatrième budget, l’avant-dernier de cette présente mandature, envoie le bon message et instille la confiance chez les agents économiques. Les premiers signaux sont encourageants. Le Grand argentier a démarré les consultations pré-budgétaires plus tôt que prévu. Il a ainsi pu prendre connaissance des attentes du secteur privé et de la société civile. Il a du temps et, sans doute, beaucoup plus de ressources financières à sa disposition que lors de ses trois premiers budgets, pour marquer les esprits avec la présentation de la loi de finances 2023-2024.

Il n’empêche que la tâche de Renganaden Padayachy est extrêmement ardue, principalement parce que l’environnement international demeure volatil et que cela impacte la petite île Maurice qui, telle une frêle embarcation, est ballottée constamment par les vents contraires dans le vaste océan de la mondialisation. Le vigoureux resserrement des conditions de crédit par les banques centrales pour casser l’inflation sème ces jours-ci la pagaille sur les marchés financiers, perturbent le marché des changes et a été le déclencheur d’une crise bancaire aux États-Unis, qui aurait pu dégénérer en une crise financière. L’autre incertitude se rapporte à la guerre d’agression en Ukraine dont on n’est pas près de voir la fin malgré le tête-à-tête entre Emmanuel Macron et Xi Jinping et l’assurance donnée par ce dernier qu’il va engager les discussions avec Vladimir Poutine pour l’intimer de mettre fin à ses manœuvres militaires. Entre-temps, les prix de l’alimentaire et de l’énergie restent relativement élevés. Et, quoique Maurice soit éloigné de l’épicentre du conflit, on ressent son influence sur notre pouvoir d’achat.

Dans ses dernières prévisions économiques publiées la semaine dernière, le Fonds monétaire international ne manque pas de prendre en compte les facteurs géopolitiques, la crise bancaire et l’héritage des trois années de pandémie dans le cadre de ses analyses prospectives. Au vu de toutes ces perturbations, Bretton Woods révise à la baisse ses prévisions pour la croissance mondiale, lesquelles passent de 3,4 % à 2,8 % en 2023. Dans le cas de Maurice, l’organisme abaisse ses estimations de croissance de 5,6 % à 4,6 %, alors que l’inflation, qui est essentiellement importée et découle d’une roupie exsangue, devrait être de 9,5 % cette année. Des perspectives beaucoup moins reluisantes que celles de la Banque de Maurice (une croissance de 5 % et une inflation de 5 % à 6 %) et de SBM Insights (une croissance de 5,2 % et une inflation de 6 %).

Chez nos principaux partenaires économiques, hormis la Chine (+5,2 %) et l’Inde (+5,9 %), la croissance va battre de l’aile cette année avec des performances comme suit : les États-Unis (+1,6 %), la France (+0,7 %), le Royaume-Uni (+0,3 %) et l’Afrique du Sud (+0,1 %).

Dans sa réflexion dans le cadre du Budget, le ministre des Finances devra trouver la bonne formule pour répondre à ces priorités de court terme. Il a d’ores et déjà annoncé que 2023 serait l’année de la stabilisation de la roupie, mais on sait que l’instrument monétaire demeure à ce jour l’outil le plus adapté pour rééquilibrer la roupie face aux principales devises et combattre l’inflation. Or, relever une nouvelle fois les taux d’intérêt, c’est prendre le risque de casser les ressorts de la croissance et d’alourdir le niveau d’endettement des entreprises. Dans ce jeu de go, quelle stratégie va prendre Renganaden Padayachy, sachant que le succès de la politique budgétaire dépend en grande partie de son alignement avec la politique monétaire ?

Les priorités du prochain Budget doivent également s’inscrire sur le long terme. Surtout dans ce contexte post-pandémie, il est nécessaire qu’il prenne des allures de feuille de route. D’ailleurs, dans son mémoire budgétaire, Business Mauritius s’appesantit sur le fait que le Budget doit répondre aux priorités nationales en matière de reprise économique ; dynamiser le secteur financier ; créer les conditions pour favoriser l’investissement dans des pratiques durables qui permettront d’assurer notre résilience alimentaire et énergétique ; réformer le marché du travail en vue de restaurer la compétitivité et de réintégrer une main-d’œuvre inactive dans l’économie productive ; adopter une stratégie de diversification par le biais des marchés, des secteurs émergents comme la santé et la pharmaceutique et en encourageant une économie axée sur la recherche et l’innovation ; et promouvoir un écosystème favorable à l’épanouissement des PME.

Sur la question de la politique monétaire, l’organisation patronale reconnaît que le Key Rate devrait rester élevé car la Banque de Maurice a fixé un objectif d’inflation de 5 à 6 % pour 2023 et un objectif à moyen terme de 3,5 %. Quant aux taux d’intérêt, ils devraient également réagir aux taux internationaux, en particulier le taux de la Réserve fédérale, afin de maintenir l’attractivité des flux de capitaux vers Maurice. Mais elle prévient que la hausse des taux d’intérêt a un impact à la fois sur l’investissement et sur l’attractivité du pays.

Au vu de la conjoncture fortement volatile, il sera difficile de trouver la bonne formule pour jeter les bases pour une économie prospère.

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