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Édito

Risques et opportunités dans un monde multipolaire

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Richard Le Bon

«Il est légitime de se demander s’il n’y a pas de lien direct entre la décision de la Grande-Bretagne de nous placer sur sa liste des pays à haut risque et nos revendications sur les Chagos»

Il est vrai que depuis la Seconde Guerre mondiale, le General Agreement on Tariffs and Trade (GATT), puis l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ont mené le monde sur la voie de la prospérité. Cela, en fédérant les nations et en fluidifiant les échanges commerciaux via le libre-échange. Il est aussi vrai que l’ancienne Communauté économique européenne (CEE) a joué un rôle majeur dans le développement de ses anciennes colonies en adoptant les conventions de Lomé et en usant du système généralisé des préférences (SPG). Ainsi, sans le Protocole sucre, il est évident que des petits États insulaires comme Maurice auraient été engloutis dans le flot de la mondialisation. Grâce au SPG, les États-Unis ont, pour leur part, été en mesure d’accompagner le développement de l’Afrique subsaharienne à travers le mécanisme de l’African Growth and Opportunity Act (AGOA).

Oui, les 79 pays du bloc ACP (Afrique-Caraïbes-Pacifique) doivent une fière chandelle aux grandes puissances de l’hémisphère Nord. Mais le temps des préférences commerciales est pratiquement révolu. Et l’Union européenne nous fait moins de cadeaux. L’heure n’est plus au biberonnage et à l’indulgence. On en a eu la démonstration avec l’inclusion de Maurice sur la liste noire, alors que nous étions en pleine pandémie et fragilisés sur le plan économique. Un coup terrible qui nous rappelle que nous sommes pleinement intégrés dans un système mondialisé régi par des règles parfois implacables.

Il est d’ailleurs légitime de se demander s’il n’y a pas de lien direct entre la récente décision de la Grande-Bretagne de nous sanctionner en nous plaçant sur sa liste des juridictions à haut risque et nos revendications sur les Chagos.

Tout cela nous amène à penser que si la mondialisation a unifié les nations, elle les prive quelque part de leur souveraineté, car c’est le marché qui dicte tout ou presque. De même, les enjeux géopolitiques peuvent peser dans la balance. Dans ces jeux de pouvoir, les petits États comme Maurice sont souvent forcés de rentrer dans le rang.

Dans le même ordre d’idées, la guerre commerciale sur les vaccins que l’on vit ces jours-ci démontre que la préoccupation majeure de l’Union européenne ou encore du Royaume-Uni est, avant tout, de faire vacciner leurs populations locales. Il est permis de questionner les discours rassurants d’il y a quelques mois des politiques qui voulaient que les vaccins anti-Covid-19 soient considérés comme un bien commun pour l’humanité. En cette période critique où les vaccins sont acheminés au compte-gouttes, Maurice essaie de s’en sortir en traitant directement avec des pays amis comme l’Inde, la Chine et la Russie. Ou encore en négociant sur le plan bilatéral au sein de l’Union africaine. Ainsi, dans les mois à venir, les 55 pays africains membres de la communauté régionale, y compris Maurice, recevront 220 millions de doses du vaccin Johnson & Johnson et pourront commander encore 180 millions de vaccins sur les 18 prochains mois par le biais de l’African Vaccination Acquisition Trust.

Clairement, la belle solidarité mondiale est en train de s’effriter. Quand viendra le moment de la reconstruction, il faudra sans doute s’attendre à plus de protectionnisme de la part des grandes puissances. Une politique certes en contradiction avec le libre-échange que prône l’OMC, mais quand ce sont les puissants qui s’engagent dans cette voie, les risques de sanctions ne se posent pas. Toutefois, gageons que l’Union européenne restera un partenaire privilégié des États ACP. D’ailleurs, le nouvel accord de Cotonou pourrait entrer en vigueur dès novembre prochain. Mais il sera basé davantage sur le principe de réciprocité. Car le Fonds européen de développement, instrument dédié aux ACP, sera vidé de sa substance. Outre les aspects commerciaux, le nouvel accord répondra surtout aux besoins globaux et particuliers des ACP. Les axes de ce partenariat international concerneront notamment la transition verte et l’accès à l’énergie, la transformation numérique, la croissance et les emplois durables, la paix et la sécurité, la gouvernance et la migration, notamment.

Une nouvelle configuration se dessine sur le plan du commerce international. Dans ce contexte, Maurice doit apprendre à jouer sur plusieurs tableaux et se positionner dans ce monde multipolaire où l’axe de la croissance se déplace progressivement de l’Ouest à l’Est. Il s’agira qu’on en prenne compte et tire pleinement avantage des accords bilatéraux qu’on a signés récemment avec l’Inde (le Comprehensive Economic Cooperation and Partnership Agreement) et la Chine et qu’on utilise la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA) comme un levier pour accélérer notre repositionnement sur l’Afrique. Les chiffres sont éloquents : en 2019, les exportations vers l’Inde et la Chine s’élevaient à Rs 848 millions et Rs 1,13 milliard respectivement. Ce qui est tout à fait dérisoire. Alors que les exportations vers l’Afrique totalisaient Rs 17,9 milliards. Là encore, on peut faire mieux quand on sait que l’objectif de la ZLECA est de dynamiser les exportations intra-africaines qui ne représentaient que 16,6 % en 2017, selon l’United Nations Conference on Trade and Development. Un niveau d’échanges relativement faible par rapport à la zone Euro, avec les exportations intra-européennes calculées à 59,4 % en 2017. Trop longtemps euro-centrique dans sa politique commerciale, Maurice doit être plus fine dans son approche et accélérer son repositionnement en Afrique. Il est temps que le gouvernement et le secteur privé s’asseyent autour d’une table pour développer une feuille de route sur l’intégration de Maurice dans le cadre d’une stratégie de développement Sud-Sud.

Dans le même temps, il est primordial de renforcer notre industrie locale. Car il faudra qu’on pense glocal. C’est une nouvelle fois aux politiques qu’incombe la responsabilité d’adopter des mesures structurelles fortes pour inciter nos industriels – qui, au passage, tirent le diable par la queue en ces temps de crise – à produire à la fois pour les marchés local et régional. À ce sujet, il convient de faire ressortir que l’Economic Development Board planche déjà sur une stratégie de glocalisation.

Si l’environnement commercial se durcit, il n’empêche qu’il y a des opportunités à saisir. Tout dépendra de notre capacité à prendre les bonnes décisions.

 

Par Richard LE BON

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