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Édito

ÇA FAIT VRAIMENT BEAUCOUP TROP !

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Dans le premier éditorial de Business Magazine de 2022, ayant souligné, après lecture du rapport annuel de la Banque de Maurice au 30 juin 2021, la pudeur coupable de celle-ci à propos des effets inflationnistes d’une roupie qu’on laisse glisser, il était affirmé que «l’inflation… sera le défi principal de ceux qui nous dirigent cette année».

C’était évidemment avant «l’initiative de l’année» de M. Poutine, qui est venu diablement compliquer les choses…

Le ministre des Finances ne s’est pas trompé de problème lors du Budget, même si sa solution majeure, c’est-à-dire un billet de Rs 1 000 à 650 000 citoyens et un billet de Rs 2 000 à 169 000 pensionnaires de 65 ans+ n’ira pas loin face à l’envergure du problème. Il fallait le dire, mais on a choisi de masquer la VÉRITÉ… Comme toujours !

On ne le répétera jamais assez : ce gouvernement n’est pas responsable de nombreux aspects de la montée des prix qui afflige maintenant le panier de nos ménagères et dans une large mesure, le problème est mondial. L’inflation mondiale actuelle trouve, en effet, ses racines dans la pandémie de coronavirus et ses conséquences sur les chaînes de production mondiales, dans la montée des prix des commodités en amont de la guerre déclenchée par Poutine et, plus récemment, dans les conséquences de cette guerre elle-même depuis février 2022.

Cependant, ce gouvernement refuse toujours d’assumer ses responsabilités et il n’en fait qu’une mention imprécise et à la sauvette au paragraphe 35 du discours du Budget ! Sa responsabilité première se trouve, en effet, dans la dévaluation de la roupie ! Si le dollar a oscillé autour de Rs 36,50 entre mars 2015 et le 1er janvier 2020, il a explosé depuis, passant de Rs 36,71 à Rs 45,30 le 1er juillet 2022 (+ 23,4 % !). L’euro ne jette pas sa part aux chiens. Il fallait Rs 40,37 pour acheter un euro le 1er janvier 2020. Au 1er juillet 2022, il en faut Rs 46,58 (+ 15,4 %), l’euro faiblissant face au dollar depuis des mois. Et comme nous importons tellement de ce que nous consommons, cette érosion de la roupie dope évidemment le coût des marchandises.

Pourquoi cet affaiblissement de notre roupie ? Il découle, rappelons-le, de décisions gouvernementales délibérées : la fermeture du pays pendant 18 mois, soit beaucoup plus longtemps que raisonnable ; une réponse fiscale parmi les plus élevées au monde – ce dont le ministre des Finances se vante, sans en mentionner les coûts qui vont avec – et l’hypothèque que le gouvernement a mise sur la politique monétaire de la Banque centrale en pompant jusqu’ici Rs 103 milliards des réserves de celle-ci !

J’ai déjà argué que la faute politique de ce gouvernement a été de faire croire, systématiquement, que tout est sous contrôle et que les grands manitous au pouvoir vont toujours pouvoir agir comme le bouclier permanent de la population contre les réalités économiques. Cette fausseté, cette illusion criminelle on l’a vu venir de loin – notre basse productivité, l’endettement national en croissance constante, les déficits de la balance commerciale et des comptes courants, le déni de méritocratie, les gaspillages honteux, l’érosion systématique de la démocratie et de la transparence étaient annonciateurs de difficultés à venir, d’autant plus que la croissance était de plus en plus axée sur la consommation ! La pandémie n’aura fait qu’avancer le jour du jugement. «The chickens have come home to roost», aurait dit l’Anglais…

Le tableau ci-dessous est une tentative de suivre l’évolution du prix de certains items depuis février dernier, mois au cours duquel M. Poutine décidait de transformer ce qu’il jurait être des ‘exercices militaires’ en opérations ‘spéciales’, qui étaient pourtant, ni plus ni moins, une invasion en règle du voisin. Une courte visite à une grande surface ne put repérer que 18 items par rapport aux 35 du tableau initialement publié le 9 mars dernier (*). Statistiquement, ce tableau n’a aucune prétention d’être représentatif d’un mois de dépenses régulières. Mais il indique, tout de même, la sévérité des hausses, soit +13,9 % en moyenne depuis février, même quand l’item est produit localement, car les intrants sont très largement importés avec des roupies dévaluées, bien sûr. Ainsi, le poulet doit manger et les ingrédients constituant sa nourriture sont importés et coûtent plus cher. On ‘fabrique’ bien du yaourt ou de l’eau de javel localement, mais avec du lait ou des produits chimiques importés, dans des conditionnements importés qui auront d’ailleurs tous besoin d’être distribués avec une essence qui coûte (et qui coûtera ?) plus cher… C’est mathématique.

La relativité principale qu’il faut souligner, c’est que Rs 1 000 sur un salaire de Rs 10 000, c’est 10 % d’augmentation de pouvoir d’achat, ce qui équivaut grosso modo à l’inflation actuelle, mais que ces Rs 1 000 ne représentent plus que 5 % sur un salaire de Rs 20 000 et seulement 2 % sur des revenus de Rs 50 000 ! Face à une inflation à deux chiffres, la somme de Rs 1 000 fait que beaucoup de monde est inévitablement «left behind», selon l’expression même du ministre des Finances. On a eu tort de ne pas le dire et on a eu tort de ne pas dire que la situation devant nous va empirer, même si l’accalmie sur le prix des légumes, grâce à l’hiver, va aider momentanément…

Si l’inflation va rester le problème No 1 du pays pour les mois à venir, il faut comprendre que ce problème ne doit pas être isolé. Nous avons déjà défié le FMI et la Banque mondiale sur les ponctions massives de fonds à la Banque centrale et celle-ci ne peut véritablement respirer que si on la recapitalise ou si on laisse se déprécier la roupie encore plus. L’essence et le KWh ne reflètent pas encore les prix réels. Les dépenses gouvernementales ne sont toujours pas ramenées à la baisse, (c’est même le contraire !) et le tourbillon à venir des pensions menace toujours nos horizons communs. Le prochain Country Report du FMI et la prochaine annotation de Moody’s seront donc probablement difficiles à digérer. Le dollar qui se renforce au fur et à mesure que les taux directeurs américains se revoient à la hausse, ne va pas aider notre situation. Le taux de couverture de nos importations continue (et continuera !) à se détériorer et tous les espoirs du pays reposent désormais sur le tourisme dont la performance se situait encore récemment à environ 75 % de son niveau pré-pandémie, loin derrière la situation de nos concurrents directs aux Seychelles et aux Maldives. Les deux vols quotidiens d’Emirates sont, dans ce contexte, de nature vitale pour nos recettes de devises touristiques qui, lueur d’espoir bienvenue, sont dopées par des dépenses par touriste en augmentation de 36 %, à 1 765 $ ; un résultat qui découle sans doute d’un profil de touriste plus cossu qui, lui, peut se permettre les nouveaux prix de billets d’avions et qui favorise alors les hôtels de luxe plutôt que les trois-étoiles ou les maisons d’hôte…

Comme si tout cela ne suffisait pas, surgissent maintenant les accusations de Sherry Singh, longtemps très proche du régime et en position d’affirmer que le PM lui a demandé de laisser espionner le trafic Internet, ce qui est évidemment extrêmement dommageable pour le pays. Mais pas seulement puisque M. Singh a aussi expliqué, de première main, comment les apparatchiks interviennent pour s’assurer que les petits mignons du pouvoir soient les seuls à bénéficier de recrutements, de promotions ou de contrats – pressions auxquelles il dit avoir résisté – et que le pays a ainsi été ‘divisé’ au-delà de la raison. Il a aussi ajouté que le ministre des Finances agit comme trésorier de la kwizin. Alors qu’il a déjà tant de pain sur la planche !

Autant de points où le gouvernement doit faire des déclarations claires et nettes si seulement il souhaite que la confiance, pierre angulaire de l’économie, reçoive une perfusion ne serait-ce que partielle ou temporaire ! Le début de réponse du PM qu’il s’agissait d’un ‘Survey’ des Indiens pour assurer la sécurité d’État (serions-nous menacés par quelqu’un ?) et que la permission d’abord refusée a été par la suite accordée, soulève bien d’autres questions ! Dont celle de savoir – si nous le savons – ce que les Indiens ont trouvé (ou laissé traîner depuis…) au centre névralgique du câble SAFE !

La machine à rumeur comme solution économique et éventuellement comme réponse à la crise des prix, vous y croyez, vous ?

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