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Édito

Cryptomonnaie

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Philippe A. Forget

«Pour les Américains, il est temps de contrôler la cryptomonnaie, qui est de plus en plus utilisée par les ‘ennemis’ des États-Unis, 61 % des monnaies virtuelles étant ‘minées’ en Chine et 5 % en Iran»

Au 31 mai dernier, un Bitcoin, la cryptomonnaie la plus connue de la planète, valait 1 526 577,33 roupies. Ce jour-là, il fallait donc déjà être millionnaire en roupies pour posséder un seul Bitcoin ! Qui est d’ailleurs virtuel !

Une monnaie totalement artificielle et ne reposant sur rien de tangible, sauf pour sa rareté relative (l’offre) et l’appétit grandissant des spéculateurs en tout genre (la demande). Ça ne vous rappelle pas un peu l’or ? Encore que l’or soit beaucoup plus tangible qu’une cryptomonnaie, l’or étant, en effet, utilisé principalement dans la bijouterie, qui représente 78 % de son usage total. Étant, par ailleurs, un conducteur de signaux électriques efficient et de longue vie, l’or est aussi utilisé dans les circuits électroniques (les téléphones mobiles, les GPS, les téléviseurs grand écran, où chaque item produit utilise environ un demi-dollar d’or) et dans les ordinateurs. Il y a même, de nos jours, des industries entières qui recyclent ces items pour, entre autres, récupérer l’or ou d’autres métaux précieux.

C’est le 21 avril dernier que le Bitcoin affichait sa plus grande valeur jamais atteinte, soit 63 558 dollars US (ou Rs 2,5 millions) l’unité. À la veille de l’annonce d’Elon Musk, le 8 février dernier sur Twitter, que sa compagnie Tesla avait acheté pour 1,5 milliard de dollars de Bitcoin, la valeur de ce dernier s’envolait déjà du niveau des 33 143 dollars US atteints fin janvier. Le Bitcoin avait longtemps navigué sous la barre des 10 000 dollars pendant les trois années précédentes. Environ 15 jours après le ‘shopping’ spectaculaire de Tesla, la compagnie affichait, sur papier, plus d’un milliard de dollars de profits…, ce qui est bien plus que les profits annuels que pourrait générer Tesla en commercialisant ses véhicules électriques…

Mais c’est là où les affaires se corsent, car pour «cash in» sur ce profit, faut-il encore pouvoir vendre autant de Bitcoins, sans que cela n’ait trop d’effet sur les prix ! Il fallait donc trouver suffisamment d’acheteurs en face, c’est-à-dire des contreparties suffisamment naïves pour souhaiter remplir les poches de Musk en achetant du Bitcoin à son apogée illusoire ! Il n’en a pas beaucoup trouvé, semble-t-il, puisque, ayant déjà vendu 10 % de ce qu’il avait acheté (Bloomberg), il avait engrangé un profit – sous forme de Bitcoins, malheureusement ? – équivalent à 101 millions de dollars, menant, ce faisant, le prix du Bitcoin dans son portefeuille à glisser à 35 715 dollars, ce qui n’était plus qu’à 8 % au-dessus du prix de fin janvier…

Je ne sais pas si cet achat a été fait par Tesla avec l’accord de ses banquiers, mais voilà 90 % de ses achats bloqués pour au moins un temps dans un marché pas très liquide. Espérons pour M. Musk, créateur de génie, qu’il pourra payer ses fournisseurs ou ses employés avec du Bitcoin, sinon c’est sa marge de manœuvre sur son fonds de roulement qui aura été sérieusement charcutée…

«Plus de 50 banques centrales du monde s’organisent pour émettre leurs cryptomonnaies… Elles ne souhaitent pas perdre de leur influence et sont prêtes à concurrencer les cryptomonnaies privées»

Il y a d’autres nuages à l’horizon pour ceux qui ne jurent que par la cryptomonnaie, puisqu’après la Chine, ce sont les États-Unis maintenant qui veulent réglementer toutes les cryptomonnaies (Financial Times). Le plan de la Chine est de favoriser sa propre monnaie virtuelle, l’e-yuan, pour être éventuellement moins dépendant du dollar. Pour les Américains, il est temps de contrôler la cryptomonnaie, qui est de plus en plus utilisée par les ‘ennemis’ des États-Unis, 61 % des monnaies virtuelles étant ‘minées’ en Chine et 5 % en Iran, avec, à ce stade, un nombre grandissant de transactions louches et illicites pouvant être discrètement blanchies par les algorithmes opaques des cryptomonnaies…

Dernier élément qui n’augure rien de bon pour les spéculateurs que sont les détenteurs de cryptomonnaies. Plus de 50 banques centrales du monde font actuellement des études et s’organisent (selon The Economist) pour émettre, elles-mêmes, leurs cryptomonnaies. Les Bahamas l’ont déjà fait. La Chine a un projet pilote avec 500 000 individus. Une des idées maîtresses motivant ces banques centrales, c’est que si les paiements et même les déposants et les emprunteurs migrent éventuellement trop vers les cryptomonnaies privées, les banques centrales de par le monde verraient alors s’affaiblir un de leurs leviers importants dans la gestion des cycles économiques : les circuits bancaires. Autrement dit, les banques centrales (et les gouvernements) ne souhaitent pas perdre de leur influence et, pour cela, sont prêtes à réglementer ET concurrencer les cryptomonnaies privées.

Le mot de la fin est pour Bill Maher, l’humoriste cérébral, qui évoque le cas de Dogecoin, une cryptomonnaie lancée ‘pour rire’ selon ses géniteurs et qui vaut aujourd’hui… 50 milliards de dollars en Bourse, c’est-à-dire plus que Ford ou Kraft ! Or, cette valeur ne représente absolument rien de tangible, repose sur du vent et ne peut survivre que s’il y a suffisamment d’individus crédules, à tout moment, qui CROIENT qu’ils peuvent devenir des millionnaires grâce au Bitcoin, à l’Ethereum ou au Dogecoin…

Il faut donc croire et avoir la foi ? On aura tout compris !

 

Philippe A. FORGET

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