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Édito

Distractions politiques

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Les marchés financiers n’affectionnent pas l’incertitude. Et manifestent une aversion non dissimulée pour les risques. Ce sentiment est amplifié quand ces risques sont de nature politique. Un petit État insulaire comme Maurice, qui aspire à de grandes ambitions et entend se positionner comme une plateforme financière et commerciale à mi-chemin entre l’Asie et l’Afrique, se doit de faire preuve de discrétion. Mais, depuis la nouvelle mandature, l’on est constamment propulsé au-devant de la scène internationale et, trop souvent, pour de mauvaises raisons.

Parmi les événements les plus notables, l’on relève l’inclusion du pays sur la liste noire de l’Union européenne, l’épisode de la marée noire suivant l’échouement du MV Wakashio, le reportage d’Al Jazeera sur ce qui s’apparente à l’aménagement d’infrastructures militaires par des Indiens sur Agalega ou encore la diffusion de vidéos dévoilant des scènes de tortures policières. Tous ces événements ont, tour à tour, fait se soulever des questions par rapport à la fiabilité du centre financier, à la capacité de nos gouvernants à répondre efficacement à des situations de crise sécuritaire, à notre statut de nation souveraine et au respect de l’État de droit dans notre société. De même, cette situation de crise politique quasi permanente touche à la crédibilité des gouvernants et est loin de rassurer les marchés et les investisseurs qui, dans leur perception, ont pendant longtemps gardé de Maurice l’image d’une île pacifique, sans histoires, et bien notée sur le plan de la facilitation des affaires.

Depuis le début de juillet, tout est parti en vrille avec l’éclatement de l’affaire de sniffing, un scandale au relent d’espionnage international dans lequel le pays se trouve mêlé. Une nouvelle fois, Maurice est placé sous les feux des projecteurs. Loin d’être discrets, nous avons trouvé le moyen d’entraîner avec nous dans la fosse l’Inde et la Chine. La mauvaise gestion de cette crise a failli déboucher sur un incident diplomatique majeur entre Pékin et Port-Louis. Ce scandale intervient à un moment où l’entrée en vigueur de l’accord de libre-échange sino-mauricien augure une nouvelle ère de coopération économique et commerciale entre les deux territoires et où le gouvernement annonce son intention de créer un centre régional de compensation en renminbi, avec ce que cela représente comme incitations pour les investisseurs chinois qui sont à la recherche d’un centre financier pour structurer leurs opérations en Afrique.

Cette surexposition malvenue nous a d’ailleurs valu une sanction quasi immédiate de Moody’s qui, lors de sa dernière évaluation, le 28 juillet dernier, a décidé d’abaisser la note souveraine du pays de Baa2 à Baa3, soit à seulement un cran de la catégorie des obligations spéculatives (junk bonds). Justifiant sa décision, l’agence internationale évoque l’affaiblissement de la qualité et de l’efficacité des institutions et de l’élaboration des politiques et juge que ces facteurs sont susceptibles d’amoindrir la résilience économique du pays et sa capacité à absorber les futurs chocs économiques. Pour certains observateurs avisés, la posture de Moody’s est bel et bien un carton rouge visant à sanctionner les maladresses de l’Hôtel du gouvernement.

Il faut savoir qu’au même titre que Standard & Poor’s et de Fitch Ratings, les deux autres plus puissantes agences de notation au monde, ainsi que des sociétés d’assurance-crédit comme Coface, Moody’s accorde une valeur primordiale à la notion de risque pays dans son évaluation de la cote de crédit souveraine. Ainsi, conformément à sa méthodologie, l’évaluation se fait sur la base de la qualité des institutions, qui représente 40 % des scores. Celle-ci englobe la qualité des institutions législatives et exécutives, la force de la société civile et du système judiciaire.

Quelles sont les leçons à tirer de cette déconfiture ? D’abord, c’est que quand on prétend vouloir jouer dans la cour des grands, il faut savoir se plier aux règles du jeu, a fortiori, quand on est une petite nation. D’autant plus que nous vivons dans un monde implacable. En cette nouvelle décennie, aucun pays ne se fait de cadeau. Et quand on parle de mondialisation financière, c’est un environnement extrêmement compétitif et rude. Cela, on le sait fort bien, ayant été placé sur la liste noire de l’Union européenne en pleine pandémie. Quant aux investisseurs internationaux, notamment les Occidentaux, ils sont plus vigilants que jamais et, outre les indicateurs macro-économiques et l’écosystème d’affaires, scrutent des paramètres non financiers comme le risque pays et se fieront à l’évaluation des agences de notation avant de décider quelle juridiction choisir pour structurer leurs opérations.

Depuis 2006, l’année des grandes réformes économiques initiées par Rama Sithanen, le pays a réalisé d’énormes progrès au niveau du climat des affaires. Nos principaux atouts demeurent une fiscalité légère et un cadre juridique et réglementaire moderne et une volonté affichée de pratiquer une politique d’ouverture. Malheureusement, les politiques se sont trop insinuées dans la vie économique. Le démantèlement du Groupe BAI en 2015 a été le premier mauvais signal envoyé à la communauté internationale. Du jour au lendemain, la question du respect du droit sacro-saint de la propriété privée, le socle même d’un État libéral et démocratique et qui semblait être un acquis sur le territoire mauricien, s’est posée avec force.

Avec la survenance de la pandémie, l’État a dû se montrer plus interventionniste. Mais cela a desservi le gouvernement qui, au lieu de se cantonner à un rôle de facilitateur, est devenu beaucoup trop présent dans la vie économique. Dans la gestion de cette crise, il y a eu des faux pas, des décisions non conventionnelles comme la création de la Mauritius Investment Corporation ou le transfert unique de Rs 60 milliards des fonds de la Banque de Maurice vers le Trésor public. Parallèlement, des événements imprévus comme la guerre en Ukraine sont venus accentuer le climat de nervosité. Sans compter les distractions politiques à la pelle et le sentiment que ce gouvernement règne dans l’opacité qui ajoutent à l’insécurité des agents économiques.

Il n’est certainement pas trop tard pour mettre bon ordre dans tout ce tohu-bohu. Aux politiques de savoir se tenir en retrait, de prendre les bonnes résolutions et d’éviter d’occuper trop le devant de la scène. Et surtout de comprendre que toutes ces distractions politiques nuisent à notre image et impactent directement le progrès. Mais, quand on voit les abus langagiers de certains de nos politiques à l’approche des prochaines élections municipales, il est difficile de chasser au loin le pessimisme.

 

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