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Édito

IL N’Y A PAS QUE LES POLITICIENS !

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IL N’Y A PAS QUE LES POLITICIENS ! | business-magazine.mu

Les politiciens ont leurs torts. Ces torts sont évidents. Ils s’accumulent depuis longtemps déjà, parfois par petites touches, par petits compromis à peine visibles, un peu comme dans un tableau d’impressionniste. Parfois le politicien est moins subtil et sort son pinceau de huit pouces de large ! Ou alors, carrément, son rouleau à peinture grande surface ! Le résultat après 52 ans d’indépendance ? Tentation totalitaire plus évidente, démocratie fatiguée, népotisme criard plus affiché, corruption de toutes sortes, interventionnisme politique généralisé qui paralyse les institutions, gêne les professionnels, mine le service bien fait et équitable !

Mais il n’y a pas que les politiciens. Les politiciens donnent le ‘la’ et expriment leurs préférences, motivés comme ils le sont souvent pour marquer des points politiques et maximiser leurs chances d’un maintien ou d’un retour au pouvoir. Cependant, le service civil, le secteur privé et la société civile (l’électorat !) ont, dans ces circonstances, le libre choix de défendre les principes souhaités immuables, mais qui glissent pourtant ; de s’opposer aux dérapages qui peuvent devenir des précédents coûteux ; de bloquer, s’il le faut, les initiatives qui ne peuvent faire du bien au pays. Il fut une époque où ces trois balises de l’action politicienne prospéraient et faisaient leur boulot au vu et au su des citoyens. Aujourd’hui, la situation est plus fragmentée, puisque bien moins souvent motivée par le bien général que par l’intérêt particulier, mais la gouvernance reste, pour autant, l’affaire de tous !

La marche du 29 août de même que les «private prosecutions» de Bruno Laurette contre deux ministres ainsi que le Director of Shipping pour négligence et «omission coupable» à leurs responsabilités sonnent sans détour le réveil d’une société civile jusque-là plutôt somnolente. Pour ne pas dire rendue craintive, puisque vivant souvent cachée, au mieux, derrière des pseudonymes assurant du confort et de la sécurité, du moins jusqu’à la clause 46 de l’ICTA, qui a fait déborder au moins un vase !

Où le grand commis de l’État honnête n’hésitait pas, à l’époque, à remettre son ministre sur les rails, on le sent aujourd’hui beaucoup plus effacé, plus désireux de plaire, hésitant à confronter. Insidieusement, quand certains des principaux dirigeants du service civil peuvent aujourd’hui revendiquer des liens directs avec la politique, le service civil, qui doit pourtant d’abord servir la population plutôt que le parti au pouvoir, prend des allures de chambre d’écho plutôt que d’endosser son manteau de bon conseiller. Parfois, elle fait même pire, en prenant l’initiative de suggérer ce qu’elle croit qui fera plaisir aux princes… Même si mesquin ou illogique !

Les consultants personnels de toutes sortes (Senior Advisor, Special Advisor, Advisor) ont définitivement aidé à brouiller les cartes plus récemment. Puisqu’ils ont, de facto, l’oreille du ministre qui les a choisis, les plus hauts représentants de l’État se retrouvent souvent coincés en compétition directe et se sentent, de fait, marginalisés. Ils doivent alors se démener comme ils peuvent pour retrouver, ou asseoir, leur position d’influence. Or, les motivations des consultants sont plus souvent politiques au départ, ce qui entraîne inévitablement le fonctionnaire de l’État à considérer compromettre sa propre posture de neutralité au service du bien commun. Ce faisant, il devient encore plus l’exécutant d’une volonté politique plutôt que l’architecte d’un devenir national…

Comment s’étonner, en ces circonstances, que l’absurdité d’une taxe sur le chiffre d’affaires puisse faire autant de chemin jusqu’à se retrouver aux paragraphes 228 à 231 du discours du Budget, si personne ne s’y oppose en interne ? Comment être surpris que la CSG, dont personne au gouvernement, ni même le ministre, ne souhaite expliquer jusqu’ici la fiabilité financière, est mise en œuvre alors qu’il est patent, dès maintenant, qu’elle ne tiendra pas la route sans augmentation majeure des contributions à plus ou moins brève échéance ! La politique, dont la nécessité parfois absolue de respecter une promesse électorale, aussi fiscalement irresponsable soit-elle, est passée par là ! Quelqu’un, en interne, a-t-il osé questionner l’argent dépensé par la Safe City ? Côte d’Or ? Le métro léger ? La BoM va apparemment faire encore un prêt de Rs 10 milliards pour les victimes du Wakashio, en attendant l’argent de l’assurance : encore une «one-off exceptional contribution» ; dont la première, pour rappel, avait été les Rs 4 milliards consenties en 2015 pour repayer des clients de la BAI… en attendant la vente d’actifs ?

Le secteur privé, en d’autres temps, se serait fait entendre, solidement et publiquement, à travers ses institutions collégiales comme le JEC ou à travers des déclarations de ses ténors. Aujourd’hui, ce sont plutôt des conversations feutrées qui se tiennent en privé et il n’est plus clair du tout si l’intérêt corporatif ou personnel ne déplace pas l’intérêt commun et national. Ce n’est plus clair parce que l’on ne SAIT plus ce qui se passe ! Dans l’opacité et le glauque de conversations intimes, de nombreux citoyens s’imaginent que bien des choses peuvent se dire et se négocier, et qu’elles ne sont pas toutes nécessairement au bénéfice de la nation. Ça aussi ça aide à consacrer une image, surtout sur la toile de fond du financement actuel des partis politiques…

Les principaux protagonistes engagés dans le décisionnel de ce pays auraient intérêt à prendre le temps de bien réfléchir à la manière dont les décisions d’intérêt national se prennent désormais et à étudier s’il ne faut pas délibérément créer plus d’espace pour les contre-arguments publics aux gros chantiers ou aux décisions purement politiques. S’il est vrai que la décision finale reviendra au gouvernement, et en particulier au Cabinet, il est clair que la prise de décision sur le long terme sera meilleure si tous les points de vue sont écoutés avec un esprit ouvert, plutôt que d’être court-circuités au départ.

Il nous faut grandir. Expliquer nos idées. Écouter le point de vue de l’autre, librement et sans a priori. Il nous faut devenir des adultes. Les chefs trancheront alors et assumeront leurs décisions. Nous sommes en démocratie, pardi !


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