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Édito

Introspection patriotique pour nos 55 ans d’Indépendance

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Nad Sivaramen

Chaque 12 mars devrait être l’occasion de retracer notre histoire riche et plurielle, sans la renier, mais en s’interrogeant : devrait-on uniquement regarder dans le rétroviseur alors que le monde post-Covid-19 est assez différent ?

On les entendra, encore cette année, tous ces discours dithyrambiques, répétés ad nauseam. Version historique : Maurice, découverte par des navigateurs arabes avant le XVIe siècle, devenue ensuite carrefour des civilisations européenne, africaine et asiatique. Version économie de développement : Maurice, succès économique qui a fait taire des prix Nobel. Version gouvernance politique : Maurice, exemple démocratique de cohabitation pacifique, où les élections générales se tiennent chaque cinq ans et où les journalistes ne croupissent pas en prison. Version culturelle et touristique : Maurice, visitée hier par l’écrivain Bernardin de St-Pierre (1768), le cartographe britannique Matthew Flinders (1803), le biologiste Charles Darwin (1836), le poète Charles Baudelaire (1841), l’écrivain-marin Joseph Conrad (1888), le romancier américain Mark Twain (1896) et l’avocat indien Mohandas Karamchand Gandhi (1901), après l’Indépendance : Indira Gandhi (1970), Mère Teresa (1970), la Reine Élisabeth II (1972), Léopold Sedar Senghor (1973), Lee Kwan Yew (1979), Jean-Paul II (1989), François Mitterrand (1990) et Nelson Mandela (1998), entre autres, distingués invités. Et Maurice qui accueille aujourd’hui plus d’un million de touristes venant des cinq continents. Les récits élogieux d’antan ne manquent pas.

Statu quo. Plus d’un demi-siècle après le 12 mars 1968, notre histoire reste contenue dans quatre silos ethniques. Regardez autour de vous ; nous sommes évidemment bien plus nombreux que ces quatre cellules qui nous emprisonnent et qui datent de l’ère britannique. Nous avons évolué depuis… Mais le multiculturalisme, brandi hier comme modèle, est aujourd’hui un frein à notre épanouissement. Pris en otage par des politiciens-chefs-de-tribus, le modèle multiculturel et ses représentations (dont le Best Loser System) empêche l’interculturel de prendre son envol. Notre passé colonial nous refuse de rentrer dans l’ère moderne, où le mérite de l’individu est prioritaire. C’est pour cela que ce n’est pas demain la veille que nous aurons notre Obama mauricien.

De Dina Arobi à Maurice, en passant par Mauritzius et Isle de France, notre petite île a toujours fait l’objet de grande convoitise en raison de sa position géostratégique dans le sud-ouest de l’océan Indien, sur la route des épices, des esclaves et du pétrole. Aujourd’hui, elle est sous la domination de quelques patronymes dynastiques et de lobbies sectaires. Ceux au pouvoir refusent de changer les règles du jeu démocratique.

Ainsi, le pays va bien et mal. Cela dépend en fait de l’échelle sur laquelle l’on se place. Sur celle du continent africain, nous sommes peut-être en avance. Mais face à Singapour, par exemple, nous sommes sacrément en retard, sur bien des aspects. Tout est relatif. Derrière la carte postale multiculturelle que nous aimons célébrer, surtout lorsqu’on se trouve à l’étranger, le pays sombre, en fait, en termes de «nation building» : on n’arrive pas à transcender le multiculturalisme.

L’arc-en-ciel reste par nature éphémère, voire une juxtaposition de cultures. Le melting pot demeure un mythe à bien des égards. Les casseroles des politiciens qui dépendent du divide and rule sont en ébullition. Mais le pays ne progresse pas. Retour en arrière, survol et prospective…

***

Pourquoi sommes-nous perçus comme une «démocratie parfaite», alors que la rue maudit ses politiciens ? Sommes-nous, à ce point, aveugles ou antipatriotes pour ne pas voir ce que des organisations internationales voient de bien chez nous et érigent en modèle ? Ou sommes-nous des éternels insatisfaits à la recherche d’un impossible système de gouvernance qui garantirait une utopique égalité des chances à tout un chacun ? Sommes-nous des ingrats qui ne reconnaissent pas la valeur de nos politiciens et/ou de nos partis politiques (37 % d’indécis) ?

Doit-on s’enorgueillir d’être le meilleur élève de la classe africaine ?

Nous estimons qu’il est de notre devoir de nuancer les indices démocratiques (tels que ceux de Mo Ibrahim, Doing Business de la Banque mondiale, Freedom House, Democracy Index de la Business Intelligence Unit de The Economist) qui reposent, essentiellement, sur une analyse quantitative et une appréciation qualitative, avec nos yeux de journalistes. C’est, nous pensons, en croisant des perspectives qu’on dégage des résultats plus justes et proches de la réalité, si tant que celle-ci puisse être «captured» à l’échelle internationale, tellement le monde est complexe…

Effectivement, en testant le questionnaire de la filiale de The Economist (qui nous classe parmi les 19 «full démocraties» du monde entier), nous constatons qu’on peut facilement cocher les bonnes cases sans pour autant répondre aux questions soulevées – en d’autres mots, les questions et les (minces) possibilités de réponse sont rédigées de telle sorte qu’on peut facilement passer à côté de la plaque. Par exemple, pour la question 2 de la section Electoral Process and Pluralism qui se lit : «Are elections for the national legislature and head of government fair?», on n’a que trois choix :«no major irregularities» – 1 point ; ou «no significant irregularities» – 0,5 point ; ou encore «major irregularities (intimidation, fraud)» – 0 point. Il y a en tout 60 questions – toutes avec des options de réponse limitées et strictement quantitatives. Et c’est là le problème principal.

Les études en sciences sociales le démontrent clairement : la recherche quantitative génère des données numériques ou des informations qui peuvent être converties en chiffres. Alors que la recherche qualitative, de nature plus exploratoire, permet de saisir les nuances entre le bon et le moins bon. Dans les indices internationaux, on ne parle pas de la caste nécessaire pour accéder au poste suprême, encore moins des liens de parenté de ceux qui ont investi les partis politiques. On ne parle pas des «papa-piti deals» (au pluriel) et les miettes que l’on jette aux cousins, neveux, tantes, petits mignons et petites mignonnes. On ne parle pas de la MBC qui, bientôt 50 ans après notre Indépendance, a le monopole des ondes télé… On ne parle pas de plein de choses qui portent atteinte quotidiennement à notre démocratie — qui se déconstruit…

Nad Sivaramen

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