Type to search

Édito

Jetons numériques : fenêtre d’opportunités sur l’Afrique ?

Share
Richard Lebon

Il y a 23 mois, le secteur du global business était quasiment au bord du précipice. Avec l’inclusion du pays sur la liste noire de l’Union européenne, l’on ne donnait pas cher de notre peau. Beaucoup prédisaient l’écroulement du système financier. Mais c’était sous-estimer la résilience du secteur financier. Loin de jeter les armes, les pouvoirs publics et le secteur privé se sont retroussé les manches et, ensemble, ont initié une série de réformes pour adresser les cinq déficiences stratégiques relevées par le Groupe d’action financière (GAFI) dans notre mécanisme de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.

La suite, on la connaît. En octobre 2021, le GAFI nous enlevait de sa liste grise des juridictions à risque élevé. Et en mars dernier, Bruxelles rayait le pays de sa liste noire. Il ne manquait plus qu’une pièce à assembler au puzzle pour que Maurice soit pleinement conforme aux 40 réglementations du GAFI ; c’était la recommandation 15, qui porte sur les actifs virtuels, un domaine extrêmement complexe, car le marché des crypto-actifs et notamment les jetons numériques est perçu comme étant nébuleux. Pour cause : les cas de fraude financière dans la crypto-sphère font qu’elle inspire, peu ou prou, la confiance des investisseurs institutionnels et gestionnaires de fonds.

Toutefois, la promulgation du Virtual Assets and Initial Token Offering Services (VAITOS) Act en février dernier se révélera un véritable «game-changer». Ayant satisfait aux exigences des techniciens de l’Eastern and Southern African Anti-Money Laundering Group (ESAAMLG), la nouvelle loi procure un encadrement solide permettant les transactions transfrontalières dans les actifs virtuels et les opérations d’offre initiale de jetons (Initial token offering – ITO) à partir de notre juridiction. C’est ainsi que depuis le 2 septembre, nous sommes largement conformes à toutes les réglementations du GAFI. Qui plus est, nous faisons désormais partie d’un cercle restreint de six pays ayant acquis ce statut de très haute conformité.

Pour le centre financier international (CFI) de Maurice, c’est une avancée majeure. D’abord, sur le plan réputationnel, le secteur financier, dont l’image a été entachée ces dernières années par des scandales à répétition, se refait une virginité. Outre la question de substance, la pleine conformité à la recommandation 15 ouvre une fenêtre d’opportunités et permet d’envisager notre positionnement sur l’Afrique sous un autre jour. Comment ? C’est ce qu’on essaiera de décortiquer.

On le sait : l’Afrique est une terre d’opportunités. Encore sous-développés, certains pays de ce vaste territoire veulent rattraper leur retard. Pour cela, ils ont besoin de l’apport de capitaux étrangers. Jusqu’ici, la plateforme financière mauricienne a joué un rôle de premier plan dans le développement en Afrique. Comme l’a indiqué Capital Economics, Maurice a négocié 9 % de tous les investissements en Afrique continentale, soit un montant d’environ 82 milliards de dollars. Aujourd’hui, le centre financier vient élargir sa palette de services financiers à l’intention des investisseurs internationaux. D’abord, avec l’offre initiale de jetons, ces derniers disposent d’un véhicule additionnel pour leurs opérations de levée de fonds complémentaire aux produits d’investissement plus classiques comme les fonds de capital-risque. S’il est vrai que les ITO sont considérés comme particulièrement risqués et que les «rug pulls» de la part d’émetteurs véreux ont été largement médiatisés, il n’en demeure pas moins qu’ils représentent un attrait s’ils sont effectués dans un cadre réglementaire solide comme le VAITOS.

Concernant les actifs virtuels (cryptomonnaies) comme le Bitcoin, ils pourront être utilisés à des fins d’investissement. De plus en plus, les gestionnaires de fonds, les conseillers en investissements et les gestionnaires de patrimoine sortent de leur conservatisme et sont davantage ouverts à l’idée d’investir ou d’utiliser des actifs virtuels pour leurs opérations transfrontalières. C’est également une façon pour eux de contribuer à l’inclusion financière en Afrique où l’accès à la finance demeure limité. L’autre atout des actifs virtuels, c’est qu’ils réduisent le coût des transactions du fait qu’il n’y a pas d’intermédiaires.

L’un des secteurs porteurs vers lesquels Maurice peut canaliser des investissements en Afrique en utilisant des ITO, c’est celui des énergies. Valeur du jour, des pays comme l’Éthiopie, le Kenya, la Zambie, le Mozambique et la Tanzanie affichent un taux d’électrification très faible, inférieur à 30 % selon le World Economic Forum. Un rapport publié conjointement par la Banque africaine de développement et l’Agence internationale pour les énergies renouvelables en janvier dernier révèle, par ailleurs, que 570 millions d’Africains n’ont pas accès à l’électricité.

En clair, les pays africains ont besoin de capitaux et de l’expertise étrangère. De tels projets sont susceptibles d’être financés par des émissions de jetons numériques. L’exemple d’Eco Smart Energies est édifiant. En 2019, la start-up a lancé une campagne d’émission de cryptomonnaies pour son projet RENBDO (Renewable Energy Network on Decentralized Organization). L’objectif était de lever des fonds pour la construction de fermes éoliennes à travers son jeton d’énergie renouvelable.

Conscients du potentiel du secteur des énergies renouvelables en Afrique, les Émirats arabes unis ont lancé en début d’année l’initiative Etihad 7. Un programme qui revêt un double objectif : un soutien appuyé aux efforts d’électrification sur le continent et l’accompagnement de l’Afrique vers le processus de décarbonation de l’électricité. La vision d’Abou Dhabi est de fournir de l’électricité à pas moins de 100 millions d’Africains d’ici à 2035.

Grâce aux jetons numériques, Maurice est également susceptible d’apporter sa pierre à l’édifice et de faciliter les investissements dans les projets d’électrification ou d’énergies renouvelables sur le continent. De par leur nature, les jetons numériques encouragent le développement communautaire ; ce sont les futurs bénéficiaires eux-mêmes qui investissent dans ces produits d’investissement. Ainsi, il est tout à fait plausible qu’à l’avenir, l’on voit émerger des projets énergétiques sur une base de partenariat public-privé, avec les États africains acquérant des jetons numériques avec la perspective de tirer avantage des infrastructures qui seront aménagées sur leurs territoires. Quant à la structuration financière, elle pourrait très bien se faire depuis notre juridiction.

Tags:

You Might also Like