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Édito

La Chine se réveille

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Pour la majeure partie de 2022, la Chine est restée sous cloche alors que le monde s’ouvrait, que la vie reprenait graduellement son cours normal, que Vladimir Poutine s’engageait dans sa croisade folle contre l’Ukraine et que le Qatar accueillait plus de 1 million de visiteurs pour la Coupe du monde. Mais la politique de zéro Covid de Xi Jinping ne pouvait durer ad vitam aeternam. Ayant pu ces derniers mois rattraper son retard sur la vaccination des personnes âgées, Pékin est revenu à de meilleurs sentiments en enlevant les verrous du confinement le 8 janvier. Certes, des milliers de vies ont été sauvées, par contre, la rugosité des mesures sanitaires a coûté à la Chine plus de 2 % de son PIB réel en 2022, avec les prévisions de croissance ramenées de 5,5 % à 3,2 %.

Ce n’est pas tout : le prolongement du confinement, notamment à Shanghai, a eu un effet boule de neige sur l’ensemble de l’économie mondiale, provoquant une escalade du prix des semi-conducteurs et accentuant la pression sur les coûts du fret, suivant un ralentissement des travaux de manutention dans cette zone portuaire hautement stratégique.

Si le conflit russo-ukrainien a bouleversé de manière irrémédiable le système multilatéral mondial et a été le détonateur d’une grave crise alimentaire et énergétique, la réouverture de l’économie chinoise devrait, sans doute, être le principal événement économique en 2023.

Le réveil de la Chine, deuxième puissance mondiale avec un PIB calculé à 16 862 milliards de dollars en 2021, est salutaire, notamment pour les pays qui commercent avec l’Empire du Milieu. Car la Chine achète un cinquième des produits pétroliers et est l’un des principaux consommateurs de cuivre raffiné, de nickel, de zinc et de minerais de fer. Mais, en cette période d’inflation persistante, l’accroissement de la demande chinoise est susceptible de mettre une pression folle sur les prix des commodités. Les analystes craignent qu’au vu de la pression inflationniste, l’on soit reparti pour un nouveau tour de piste avec les banques centrales contraintes de poursuivre leur opération de resserrement monétaire. Bien évidemment, les petits États insulaires comme Maurice, fortement dépendants de l’importation, seront les plus vulnérables aux perturbations qui en résulteront sur le marché des changes.

L’une des craintes, c’est que la reprise de l’économie chinoise fasse flamber une nouvelle fois le prix du pétrole, qui, actuellement autour de 75 dollars le baril, a retrouvé son niveau d’avant la pandémie. Pour Goldman Sachs, un baril à plus de 100 dollars est un scénario tout à fait plausible. Le gestionnaire de fonds spéculatif, Pierre Andurand, dépeint un scénario plus sombre et anticipe que le prix du brut pourrait dépasser 140 dollars du fait qu’on se retrouvera avec une demande additionnelle de pétrole brut de plus de 4 millions par jour cette année, soit une hausse de 4 % par rapport à 2022. Dans le cas de Maurice, c’est une perspective qui donne des sueurs froides quand on sait que notre facture pétrolière crève le plafond avec des importations coûtant la bagatelle de Rs 4,1 milliards en octobre dernier et que le Price Stabilisation Account de la State Trading Corporation est quasiment à sec, ce qui limite sa marge de manœuvre quand il s’agit de répercuter les baisses de carburant aux consommateurs.

Si on exclut ses éventuelles répercussions sur les prix des commodités, la réouverture de la Chine sera très avantageuse pour Maurice puisque les deux pays se sont beaucoup rapprochés et semblent décidés à intensifier leur coopération économique et commerciale. D’abord, sur le plan commercial, nous serons en mesure de jouir pleinement des opportunités découlant de l’accord de libre-échange entre la Chine et Maurice, qui est en vigueur depuis le 1er janvier 2021. Basé sur le principe de réciprocité, cet accord ouvre une véritable fenêtre d’opportunités car il donne un accès immédiat en franchise de douane à 7 504 lignes tarifaires. De plus, les droits de douane sur 723 lignes tarifaires additionnelles seront supprimés graduellement sur une période de 5 à 7 ans. Outre les échanges de marchandises et les échanges de services, l’accord sino-mauricien couvre d’autres volets comme l’investissement et la coopération économique. Depuis son entrée en vigueur, les exportations mauriciennes vers la Chine ont grimpé de 51 %. À noter que Maurice exporte principalement du cuivre, du sucre, des aliments pour animaux, de la graisse végétale et animale, des vêtements et des produits de la mer, entre autres, sur le marché chinois.

L’autre avancée majeure dans la relation Maurice-Chine est l’entrée en opération ce mois-ci de la Chambre de compensation en Renminbi. Grâce à cette structure, qui sera opérée par la Bank of China (Mauritius), Maurice se positionne comme une porte d’entrée pour les investissements chinois à destination de l’Afrique. Il faut savoir que l’objectif de la Chine est de faire du yuan, qui est la cinquième monnaie la plus utilisée dans le monde derrière le dollar, l’euro, la livre sterling et le yen, une devise internationale pour le commerce international, mais aussi pour les investissements transfrontaliers, notamment en Afrique. Concrètement, la plateforme de RMB va rationaliser les paiements transfrontaliers et réduire les coûts des transactions internationales. Dans la perspective d’un investisseur chinois, c’est du pain bénit !

Dans un contexte où la Chine veut intensifier sa présence en Afrique avec des investissements de 250 milliards de dollars en 2021, l’on pourrait très bien dans un proche avenir voir l’émergence d’un axe Chine-Maurice-Afrique.

Par ailleurs, ce rapprochement entre la Chine et Maurice commence à alimenter les fantasmes. Réticent à l’idée d’un retour des Chagos à la République de Maurice, le député conservateur britannique Daniel Kawczynski a récemment jeté un pavé dans la mare en lançant à l’adresse des Américains qu’il est tout à fait possible que les Chinois attendent leur départ pour construire une base militaire dans l’archipel. On ne pense pas qu’il y ait une quelconque vérité dans cette prise de position intempestive. Toujours est-il que la Chine voit en Maurice, non seulement un partenaire économique, mais aussi un pion essentiel dans sa stratégie géopolitique dans cette partie du monde.

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