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Édito

L’Afrique face à la permacrise

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Nad Sivaramen

L’Afrique serait le continent le plus résilient du reste du monde par rapport à la récession annoncée. Le rapport Performances et perspectives macroéconomiques de l’Afrique de la Banque africaine de développement (BAD), rendu public vers la fin de janvier 2023, souligne que la croissance moyenne estimée du PIB réel en Afrique a ralenti à 3,8 % en 2022, contre 4,8 % en 2021, «dans un contexte de défis majeurs consécutifs au choc du Covid-19 et à l’invasion de l’Ukraine par la Russie». Cependant, en dépit de ce ralentissement économique, «53 des 54 pays d’Afrique affichent une croissance positive».

Le Top 5 des économies africaines les plus dynamiques de la période pré-pandémique devrait connaître une croissance de plus de 5,5 % en moyenne en 2023-2024. Ce qui leur fera regagner leur place parmi les dix économies les plus performantes du monde. Le Top 5 comprend le Rwanda (7,9 %), la Côte d’Ivoire (7,1 %), le Bénin (6,4 %), l’Éthiopie (6,0 %) et la Tanzanie (5,6 %).

À noter que la République démocratique du Congo (6,8 %), la Gambie (6,4 %), la Libye (12,9 %), le Mozambique (6,5 %), le Niger (9,6 %), le Sénégal (9,4 %) et le Togo (6,3 %) vont également connaître une croissance supérieure à 5,5 % au cours de la période 2023-24.

Cependant, il y a un bémol. Le rapport explique qu’il y a des risques tant mondiaux que régionaux. «Ces risques comprennent la flambée des prix des denrées alimentaires et de l’énergie, le durcissement des conditions financières mondiales et l’augmentation connexe des coûts du service de la dette intérieure», précise le document. Ces risques sont particulièrement présents dans le contexte mauricien, où la croissance du PIB réel est estimée à 7,8 % en 2022, alors qu’une bonne partie du monde est dans un cycle de crise ou de récession, notamment la zone euro.

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L’économie africaine, en raison de la particularité du ‘Big Man’, reste trop souvent tributaire des politiciens au pouvoir. 2023 verra sept présidentielles sur le continent. Ces rendez-vous polarisent les populations concernées. La sur-ethnicisation du profil des candidats sera au rendez-vous, tout comme les accusations ou allégations de fraude, qui sont devenues légion, quand la violence n’éclate pas.

Le coup d’envoi de cette année a été donné le 8 janvier au Bénin. Si d’aucuns espéraient un retour aux urnes avec la participation de l’opposition (après quatre ans d’absence), le pourcentage de votants a été largement en deçà des attentes : plus de 60 % de Béninois ne se sont pas exprimés, et le gouvernement a été reconduit aux affaires. Pour expliquer le faible taux de participation, les partis de l’opposition avancent que nombre d’électeurs n’ont pas su où il fallait aller voter. D’autres ont pris peur car ils ont toujours en mémoire les violences de 2019. Plusieurs abstentionnistes ont confié avoir douté «de la fiabilité et du sort qui sera réservé à leur suffrage». Au manque de confiance, vient aussi se greffer la désaffection pour la politique et les politiciens : «Les élections ne changent pas notre quotidien ; ils sont tous les mêmes, ces politiciens».

Un peu plus loin, les débats sont bien plus chauds. Principalement à cause de l’imprévisibilité des urnes qui domine les débats politiques au Nigeria (25 février), puis plus près de chez nous, à Madagascar (octobre-novembre) et en République démocratique du Congo (20 décembre). Au Nigeria, le pays le plus peuplé d’Afrique, quelque 95 millions d’électeurs doivent choisir un successeur au président octogénaire Muhammadu Buhari, qui devra, conformément à la Constitution, se retirer après son second mandat. Dans la Grande île, où la famine sévit toujours, on tourne en rond, avec les mêmes acteurs depuis deux décennies. Les candidats à la présidentielle seront les mêmes qu’en 2018. Andry Rajoelina tentera de conserver son fauteuil face aux anciens présidents Marc Ravalomanana (2002-2009) et Hery Rajaonarimampianina (2014-2018). En RDC, le président Félix Tshisekedi briguera un second mandat face à plusieurs candidats, dont l’opposant Martin Fayulu (qui croit toujours avoir remporté la présidentielle de 2018), l’ancien Premier ministre Matata Ponyo Mapon. Mais personne ne sait encore qui représentera le puissant clan de Joseph Kabila, qui contrôle pas mal de ressources qui impactent directement les résultats électoraux.

Au Gabon, l’on réfléchit sur la façon d’éviter les crises postélectorales qui avaient enflammé le pays en 2009 et 2016. La cour constitutionnelle inclut l’opposition pour trouver la bonne formule ; et l’opposition milite pour le renouvellement du personnel affecté au centre gabonais des élections et pour davantage de transparence par rapport à la liste électorale.

Scrutin intéressant également en Côte d’Ivoire : en octobre-novembre, on saura si Laurent Gbagbo et son nouveau parti, Parti des peuples africains, bénéficient du soutien de l’électorat ou pas. Au Mali, la révision de la Constitution sera enfin soumise au vote. Mais le plus grand défi sera d’organiser les élections sur tout le territoire, alors qu’une bonne partie du pays échappe au contrôle de l’État. Au Liberia, la présidentielle, en octobre, confirmera si l’ancien Ballon d’Or George Weah a toujours autant de succès comme président ; son bilan n’est pas flatteur principalement à cause de plusieurs affaires de corruption qui ont fait grand bruit.

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Le terme permacrise est passé dans la langue courante. Certains pensent même que c’est le mot qui résumerait le mieux l’année 2022. Les éditeurs du dictionnaire anglais Collins définissent «permacrisis» comme «an extended period of instability and insecurity».

L’économie mondiale qui ralentit et l’inquiétant fait que plusieurs pays, non africains !, rentreront, dans les prochains mois, en récession poussent bien des analystes à conclure que la crise plurielle que traverse le monde sera universelle et durable. Plusieurs causes vont prolonger l’actuelle situation. En voici six, sans ordre hiérarchique de gravité : 1) le conflit en Ukraine dont on ne connaît ni l’impact ni l’issue ; 2) la lutte pour contenir l’inflation sur les plans international et national ; 3) le chaos qui se profile sur le marché énergétique ; 4) la feuille de route encore incertaine de l’après-pandémie en Chine et ailleurs ; 5) le déclin progressif de la démocratie d’une part et, d’autre part, la poussée de l’autocratisation et du populisme qui vont chambouler l’ordre mondial et bousculer les relations internationales ; et 6) la crise climatique et ses conséquences inégales sur différentes parties du globe ; ce qui rend difficile l’élaboration des politiques de lutte et d’adaptation, sans compter les promesses d’aide des pays riches aux pays pauvres qui restent des promesses. En Afrique, l’on souffre déjà de la famine doublement, à cause du climat et de la guerre en Ukraine. Selon Jacques Attali, «une éventuelle famine pourrait entraîner la mort de millions de gens, sinon plus, et d’énormes mouvements de population, qu’aucune barrière populiste ne pourra retenir si on ne prend pas les devants pour aider ces populations à disposer des moyens autonomes de se nourrir».

L’historien Yuval Noah Harari rappelle souvent que le Covid-19 n’est pas seulement une crise sanitaire, mais qu’elle est aussi à l’origine d’une crise économique et politique majeure. «J’ai moins peur du virus que des démons intérieurs de l’humanité : la haine, l’avidité et l’ignorance. Si les gens accusent les étrangers et les minorités d’être responsables de l’épidémie, si les entreprises avides de profits ne se soucient que de leurs bénéfices et si nous croyons à toutes sortes de théories du complot, il sera bien plus difficile de surmonter la permacrise…» Au fond, où qu’il se trouve dans le monde, chaque citoyen aura à choisir s’il lui faut soutenir la montée des dictatures ou réaffirmer sa confiance en la démocratie face à la permacrise.

 

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