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Édito

Le pragmatisme politique va-t-il dicter le Budget ?

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Richard Lebon

La préparation d’un budget est semblable à un marathon. C’est un exercice fastidieux qui démarre avec les consultations pré-budgétaires, suivies du dialogue public avec les ministres, de l’analyse des propositions soumises lors des consultations avant de clore avec l’étape de rédaction du document du budget. C’est également une formidable occasion pour nos gouvernants de marquer les esprits et de présenter un programme socio-économique qui insufflera la confiance aux agents économiques.

Le ministre des Finances a enfin la chance de montrer sa capacité à maîtriser les dossiers économiques et à s’affirmer en tant que gestionnaire et homme de vision. Pour ses trois premiers budgets, Renganaden Padayachy a été bridé dans son action en raison de la crise. Face à la paralysie partielle de tout un pan de l’économie et l’érosion des recettes fiscales, il s’est retrouvé dans l’obligation de recourir à des pratiques non conventionnelles, comme le recours à la Banque de Maurice pour financer les dépenses courantes à hauteur de Rs 60 milliards lors de l’exercice 2020-2021.

Trois ans après la survenance de la pandémie et l’inclusion momentanée de Maurice sur la liste noire de l’Union européenne, notre économie garde toujours les séquelles de ces terribles chocs. Mais nous ne sommes plus aux soins intensifs. Et malgré les répercussions de la guerre en Ukraine et ses conséquences sur les prix de l’alimentaire et de l’énergie, l’on peut aujourd’hui entrevoir les premiers signes de la reprise. En témoigne, la bonne performance financière des sociétés cotées en Bourse, la résurrection de l’industrie touristique qui aspire à retrouver son niveau d’avant la pandémie, la croissance du secteur d’exportation, dont les recettes étaient calculées à plus de Rs 100 milliards en 2022, le foisonnement des activités dans le secteur du global business et les chiffres encourageants concernant les investissements directs étrangers, lesquelles totalisaient Rs 27,6 milliards l’année dernière.

Relativement discret, le Grand argentier reste néanmoins confiant, estimant, selon ses proches collaborateurs, que la politique économique est sur la bonne voie et qu’on a définitivement tourné la page de la Covid-19. Une certitude d’abord : sa philosophie économique ne changera pas. Il s’agira de promouvoir un modèle de développement inclusif calqué sur le principe d’économie de la vie. Côté objectif, il place la barre haut. Ainsi, le Budget 2022-2023 aura des allures d’une feuille de route, avec une stratégie économique qui permettra de créer les conditions pour maintenir la croissance autour de 5 % du PIB lors des prochaines années. Ce alors que le Fonds monétaire international a récemment abaissé ses prévisions de croissance pour Maurice de 5,4 % à 4,6 % en 2023. Un tel objectif s’inscrivant sur le moyen et le long termes implique qu’il faut s’attendre à un alignement de la politique budgétaire et de la politique monétaire. Selon cette hypothèse, la Banque de Maurice devrait mettre une pause à sa politique de resserrement monétaire ou ne revoir que très marginalement son Key Rate. Mais ce serait alors prendre le risque de voir se déprécier un peu plus la roupie et de garder l’inflation à un niveau proche des 10 %.

Sans doute pétri de bonnes intentions, le ministre des Finances aura-t-il pour autant les coudées franches lors de la préparation de la loi de finances ? Pourra-t-il se hisser au-dessus de la mêlée politicienne et ne pas basculer dans le populisme ? Ces questions sont tout à fait légitimes et ne participent pas à une simple rhétorique surtout quand on sait que le début des consultations pr­é-budgétaires (c’est peut-être là un simple hasard) a coïncidé avec l’annonce du Judicial Committee du Privy Council à l’effet que le procès en appel de Suren Dayal contestant l’élection du Premier ministre, Pravind Jugnauth, et de ses colistiers Leela Devi Dookun-Luchoomun et Yogida Sawmynaden, sera entendu lors du Trinity Term, plus précisément le 10 juillet.

Pour rappel, dans sa pétition électorale rejetée par les juges David Chan et Karuna Gunesh-Balaghee, Suren Dayal avait allégué qu’il y avait eu plusieurs actes de corruption pendant la campagne électorale, insistant notamment sur le fait que l’annonce de l’augmentation de la pension de vieillesse par le Premier ministre a été faite seulement un mois avant les élections générales de novembre 2019.

Certes, le chef du gouvernement se dit confiant que les Law Lords débouteront Suren Dayal, mais il n’en demeure pas moins que le risque, aussi infime soit-il, que ce dernier obtienne gain de cause est réel. Si ce scénario se concrétise, l’élection de Pravind Jugnauth dans la circonscription No 8 (Moka/Quartier Militaire) sera invalidée et lui-même et ses deux colistiers perdront alors leurs sièges.

Il est difficilement envisageable de penser que le Premier ministre et son ministre des Finances ne prendront pas en compte cette éventualité au moment de l’élaboration de la loi de finances. À Maurice, à l’approche des élections générales, le Budget est un instrument puissant qu’utilisent ceux qui tiennent les rênes du pouvoir pour doper leur cote de popularité et gagner l’électorat à leur cause. Tous les partis au pouvoir ont abusé de l’arme budgétaire pour adopter des mesures populistes qui ne servent pas forcément l’intérêt supérieur du pays. Et c’est sans doute de bonne guerre, diront les plus pragmatiques.

La question se pose : le calendrier judiciaire n’influera-t-il pas sur le contenu du Budget ? Vu sous l’angle de la realpolitik, l’on peut se demander si le ministre des Finances considérera ce budget comme le pénultième ou le dernier budget pour la présente mandature.

S’il prend en compte le calendrier judiciaire et ce que cela comporte comme risque pour l’avenir du gouvernement, alors il pourrait être tenté de verser dans le populisme et de précipiter la concrétisation de promesses électorales comme la majoration de la pension de vieillesse à Rs 13 500. À un moment où il faut assainir les finances publiques, résoudre les problèmes structurels inhérents à notre économie, instiller la confiance chez les entrepreneurs en encourageant l’investissement dans les nouvelles technologies et le développement durable et s’attaquer à des problématiques comme la pénurie de main-d’œuvre, il est souhaitable que ce prochain budget envoie les bons signaux.

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