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Édito

Le test de Moody’s

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Richard Le Bon

«L’heure n’est plus aux largesses, mais à la consolidation fiscale et à la rigueur, pour ne pas dire à l’austérité, dans le processus d’assainissement des finances publiques»

Moody’s démarre en ce mois de février les consultations avec l’État et la Banque de Maurice en vue de disséquer la performance des finances publiques avant l’attribution de sa note souveraine.

Après l’abaissement de sa notation de Baa1 à Baa2, l’année dernière, Maurice court le risque d’un nouveau déclassement à Baa3. Ce qui signifie qu’on sera alors à seulement un cran de perdre notre Investment grade et que les obligations d’État seront considérées comme des titres spéculatifs (junk bonds)*. Avec pour conséquence une augmentation du coût auquel le gouvernement empruntera. De même, dans une telle éventualité, les taux d’intérêt seront appelés à grimper. Alors que les investisseurs internationaux exigeront une prime de risque plus élevée du fait que les risques de défaut associés aux obligations gouvernementales seront perçus comme étant plus élevés.

Dans le cadre de l’évaluation du risque souverain de Maurice, les analystes de Moody’s passeront en revue une série de paramètres, dont la dette publique, le service de la dette, les perspectives budgétaires, la visibilité sur le plan économique et la croissance.

Concernant la dette publique, celle-ci a flambé avec l’éclatement de la crise puisque le gouvernement a dû emprunter massivement auprès d’institutions multilatérales et de pays amis autant pour répondre à l’augmentation des dépenses publiques que pour combler la baisse des recettes fiscales. Tout comme les espèces sonnantes et trébuchantes provenant des réserves de change de la Banque de Maurice, la dette a été utilisée abondamment pour soutenir l’économie réelle au plus fort de la crise. Si bien que la dette publique était calculée à 96,3 % en juin 2021. Un calcul qui ne prend pas en considération les sommes mobilisées dans les Special Purpose Vehicles et les fonds spéciaux qui sont considérés comme des dépenses hors-Budget. Car autrement, le taux réel dépasse certainement les 100 %. Mais, suite à une opération de toilettage du Trésor public et au repaiement anticipé des obligations gouvernementales détenues par le National Pension Fund d’un montant de Rs 11 milliards, la dette publique a été ramenée à 89,2 % du PIB en décembre 2021. Soit une valeur de Rs 412,1 milliards.

Toujours est-il que l’abaissement du taux de la dette publique est un argument que les autorités feront valoir auprès de Moody’s pour obtenir un sursis et éviter un déclassement. D’ailleurs, selon les analystes, l’on se dirige fort probablement vers ce scénario car le gouvernement donnera certainement des garanties à Moody’s selon lesquelles il procédera à un assainissement de ses finances publiques ou encore appliquera avec rigueur sa politique de gestion de la dette. De plus, l’effet conjugué du redémarrage de l’industrie touristique et de la sortie de Maurice de la liste noire de l’Union européenne va se matérialiser en des points de croissance pour l’économie mauricienne avec un PIB projeté à Rs 508 milliards en 2022 contre Rs 461 milliards en 2021, selon les dernières projections de MCB Focus. Cela aura pour effet un abaissement du ratio dette publique/PIB.

L’autre aspect qui sera considéré par les analystes de Moody’s, c’est le service de la dette. Selon les projections du ministère des Finances, une enveloppe de Rs 10,3 milliards a été affectée au service de la dette pour l’exercice financier 2021-2022, soit un ratio du service de la dette de 7,3 %. Cette somme grimpera à Rs 15,8 milliards en 2022-2023 (ratio de 9,3 %) avant de chuter à Rs 10 milliards en 2023-2024 (ratio de 5,2 %). Si la dette publique reste excessivement élevée, en revanche, du point de vue du service de la dette, la situation devrait être gérable. Cela tient en partie du fait que la grosse partie des dettes gouvernementales est étalée sur le long terme. Celles-ci représentent 42,6 % de la dette domestique. Alors que les dettes sur le court terme, le moyen terme et les obligations gouvernementales arrivant à échéance dans 5 ans comptent pour 10 %, 17,9 % et 29,6 % de la structure de la dette locale.

Par ailleurs, l’environnement de faible taux d’intérêt a permis au gouvernement d’emprunter à un taux très bas. Ainsi, dans le cas du prêt de Rs 11,5 milliards accordé par le Japon à Maurice en février 2021, celui-ci est frappé d’un taux d’intérêt de 0,01 % avec une période de remboursement sur 15 ans. Cela explique également pourquoi le service de la dette n’est pas en train d’asphyxier les finances publiques.

Lors des discussions avec Moody’s, le ministère des Finances et la Banque de Maurice devront se montrer convaincants. Les techniciens de l’agence de notation voudront notamment des garanties fermes de la part des autorités à l’effet qu’elles sont résolues à ne plus laisser filer la dette. Dans l’éventualité où Maurice obtienne un sursis de Moody’s, il faudra qu’on respecte nos engagements en évitant de nouveaux emprunts en dépit de la tentation des taux d’intérêt avantageux et en dynamisant la croissance. Dans ce contexte, le Comité de soutenabilité des finances publiques placé sous la présidence du Secrétaire financier devra donner des résultats concrets. L’heure n’est plus aux largesses, mais à la consolidation fiscale et à la rigueur, pour ne pas dire à l’austérité, dans le processus d’assainissement des finances publiques.

Un second déclassement de Moody’s en moins de 12 mois pourrait avoir de lourdes conséquences. Déjà, suivant l’abaissement de la note souveraine de Baa1 à Baa2, les acteurs du monde de la finance ont noté que certains investisseurs ont délaissé Maurice au profit d’autres juridictions comme la Malaisie ou Singapour car jugeant que le pays est devenu moins sûr en tant que destination d’investissement. À nous de corriger cette perception.

 

Richard LE BON

* L’échelle de notation de Moody’s se compose de 21 crans et de deux catégories : la catégorie d’investissement (sociétés financièrement solides) et la catégorie spéculative (sociétés à risque). La note Aaa est la plus forte et confère un statut de sécurité maximale aux titres de l’État. Les notes Aa1, Aa2 et Aa3 équivalent à un statut de haute qualité. Les pays obtenant les notes A1, A2 et A3 jouissent d’un statut de qualité moyenne supérieure. Pour les notes Baa1, Baa2 et Baa3, on attribue le statut de qualité moyenne inférieure. Les pays obtenant des notes de Ba1, Ba2 et Ba3 perdent leur Investment grade et se voient attribuer le statut de dette spéculative. Puis, on retrouve les notes B1, B2 et B3, ayant un statut de dette hautement spéculative. Pour les notes Caa1, Caa2 et Caa3, on attribue le statut de risque substantiel ; en mauvaise condition. La note Ca implique une dette souveraine extrêmement spéculative. Et finalement, la note C représente le niveau de risque le plus élevé avec un statut de défaut potentiel.

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