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Édito

Le voile se déchire

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Richard Lebon

Après avoir adopté une posture conservatrice et laissé la roupie se glisser, la Banque de Maurice a fait un virage à 180 degrés en relevant le taux repo de 175 points de base en l’espace de six semaines. Une posture qui n’a pas manqué de surprendre les analystes, parmi les faucons qui n’ont eu de cesse de tirer la sonnette d’alarme, arguant qu’on avait pris du retard sur le processus de normalisation des taux et qu’il est urgent de casser l’inflation et de défendre la roupie.

Au sortir de la pandémie, il est clair que le Trésor public et la Banque de Maurice ont décidé de changer de stratégie économique et de ne plus s’entêter à générer de la croissance à la faveur d’une monnaie fortement dépréciée. On le sait, depuis l’éclatement de la crise, la roupie s’est disloquée, perdant plus de 20 % de sa valeur face aux principales devises. Or, depuis la mi-août, elle amorce son redressement, s’appréciant de 2,20 % face au dollar, de 5,37 % vis-à-vis de l’euro et de 10,29 % par rapport à la livre sterling.

Pendant des mois, l’on a vécu derrière un voile qui obscurcissait notre vision. S’il est indéniable qu’il y a une reprise de l’activité économique avec le redémarrage de l’industrie du tourisme et du secteur manufacturier tourné vers l’exportation, il est aussi vrai que la roupie faible a fait gonfler artificiellement le produit intérieur brut (PIB). Quand on mesure la croissance du PIB en dollars, l’on se rend compte que notre modèle de croissance n’est pas soutenable dans le temps et qu’en finalité, le pays s’appauvrit. En se basant sur les chiffres actualisés du dernier MCB Focus publié le 4 novembre, l’on constate que le PIB par tête d’habitant a, dans les faits, baissé d’une année à l’autre, passant successivement de $ 11 559 en 2018 (le PIB était alors de Rs 500 milliards), à $ 11 361 en 2019 (PIB : Rs 512 milliards), à $ 9 046 (PIB : Rs 449 milliards) et à $ 9 157 (PIB : Rs 481 milliards). Pour 2022 et 2023, les analystes de MCB Focus anticipent une croissance de 6,2 % et 5 %. Quant au PIB aux prix du marché, il est calculé à Rs 539 milliards et Rs 593 milliards. S’agissant du PIB par tête d’habitant, il est estimé à $ 9 687 en 2022 et $ 10 303 l’année prochaine.

Ces chiffres sont édifiants : ils nous renvoient une image fidèle de l’ampleur de la régression de l’économie mauricienne. En assumant que les tensions géopolitiques finiront par s’apaiser et que la roupie se stabilisera, il faudra sans doute attendre jusqu’en 2026 pour que le PIB par tête d’habitant retrouve le niveau d’avant la pandémie.

Revenons à la décision du comité de politique monétaire (CPM) de relever le taux directeur de 100 points de base. Elle est le reflet d’une prise de conscience collective de la Banque de Maurice, mais aussi des pouvoirs publics qu’il est primordial qu’on suive la tendance internationale. Initialement, la réunion du CPM était programmée pour le mois de décembre. Il semble que la décision de la Réserve fédérale et de la Banque d’Angleterre de relever leurs taux de référence de 75 points chacune quelques jours plus tôt a poussé la Banque de Maurice à réagir avec célérité. On ne pouvait plus se mentir, vivre dans un mirage et se laisser gagner par la douce euphorie de la reprise. Il était grand temps qu’on sorte la tête du trou. Car les dégâts causés à notre tissu économique sont profonds. Étant un petit État insulaire n’ayant a fortiori pas de ressources naturelles et avec le poids de l’industrie touristique dans notre économie (sa contribution directe et indirecte représente environ 23 % du PIB selon Moody’s), la crise nous a mis sur les rotules. Sans compter qu’en pleine pandémie, le pays a été placé sur la liste noire de l’Union européenne. Certes, nous avons pu rectifier le tir et sortir de cette liste honnie en moins de deux ans grâce à une belle collaboration entre le secteur public et le privé, mais cette succession de chocs a drainé l’économie de sa substance, avec une destruction de valeur de plus de Rs 100 milliards.

Il est aujourd’hui primordial de replacer l’économie au centre des priorités. Il y a des challenges qu’on aura à relever dans les prochains mois. Fortement dépendant de l’importation pour ses besoins en produits alimentaires et en carburant, Maurice est dans une situation de vulnérabilité extrême en raison de la guerre en Ukraine. C’est la raison pour laquelle il fallait prendre des décisions courageuses. La stratégie de resserrement monétaire aura un lourd impact sur la trésorerie, surtout quand on sait que la dette des entreprises (en excluant celle du secteur du global business) s’élevait à Rs 226,5 milliards à fin septembre. Un relèvement des taux à l’emprunt de 2 % en huit mois va certainement affecter la compétitivité des entreprises, leur capacité de production, d’investissement et de recrutement. Or, c’est un mal nécessaire, et les acteurs économiques l’ont certainement compris.

L’environnement de stagflation est néfaste, que ce soit du point de vue de la demande ou de l’offre. Quand est-ce que ce cycle de crise sera rompu ? Nul ne le sait. Selon MCB Focus, l’on aura droit à une inflation à deux chiffres cette année, soit un taux de 10,4 %. Alors que pour 2023, l’inflation reculera à 5 %. Une prévision plus optimiste que celle du Fonds monétaire international qui table sur une inflation de 6,1 % pour l’économie mauricienne en 2023.

Le dysfonctionnement structurel inhérent à notre système économique affectera pendant encore un certain temps notre tissu macroéconomique. Cela se voit quand on analyse notre balance courante. Celle-ci affichait un déficit de -5 % du PIB en 2019. Avec la crise, le déficit s’est creusé à -8,8 % en 2020 et -13,2 % en 2021. Pour 2022, MCB Focus s’attend à un déficit de -14,4 %. Le taux devrait chuter à -11 % l’année prochaine.

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