Business Magazine

L’économie, théâtre de guerre

«L’économie mondiale, avec le poids de la Chine, deviendrait-elle un champ de bataille permanent ou un théâtre de guerre de plus en plus violent, où les petites économies insulaires vulnérables au changement climatique seront marginalisées… ?»

Certes la guerre de Poutine en Ukraine et l’arrêt quasi total des exportations de pétrole russe viennent compliquer la donne, notamment avec le prix du baril de Brent qui frôle les $ 140, soit pas loin de son record absolu, mais le fait demeure que l’économie mondiale était déjà en convalescence à cause du Covid-19, ses variants biologiques et ses complications géoéconomiques.

En raison de la sérieuse menace nucléaire, l’Ouest ne va probablement pas affronter la Russie au théâtre ukrainien. Cependant, si, en dépit des sanctions économiques, le conflit s’aggrave entre l’Occident et l’Est, sous la pression des faucons internationaux qui vivent de l’économie de la guerre (quelque peu en pause depuis le retrait massif des soldats en Afghanistan), de nouvelles questions par rapport à l’ordre mondial vont se poser. Quel sera l’avenir du capitalisme après le conflit ukrainien ? Comment le libre-échange va-t-il évoluer avec la Chine et l’Inde qui refusent de condamner la Russie ? En d’autres mots, est-ce que l’ordre mondial issu de la disparition de l’empire soviétique (dont Poutine est nostalgique) et dominé depuis lors par les États-Unis peut-il être durablement stable ? L’ordre mondial sera-t-il confronté à des tensions et à des contestations susceptibles de déboucher sur le retour de conflits majeurs ? Ou est-ce que l’économie mondiale, avec le poids de la Chine, deviendrait-elle un champ de bataille permanent ou un théâtre de guerre de plus en plus violent, où les petites économies insulaires vulnérables au changement climatique seront marginalisées… ?

En attendant, la toile de fond n’est déjà pas simple avec l’inflation internationale, soit des prix à la consommation en hausse de 7 % aux États-Unis, et de 5,1 % dans la zone euro, des niveaux inédits depuis plusieurs décennies. Comme la guerre, beaucoup pensaient que cela n’allait jamais se produire, estimant que dans une économie mondialisée, l’inflation ne pouvait pas grimper de la sorte. Et pourtant ! Au-delà des causes conjoncturelles comme la pandémie ou la guerre en Ukraine, l’on devrait tenir compte des facteurs structurels : le coût exorbitant de la transition énergétique (d’où la dépendance sur les énergies fossiles malgré les belles paroles tenues à la COP26), les niveaux record d’endettement public (malgré les artifices de certaines banques centrales; la nôtre a tellement baissé le Repo Rate qu’elle ne peut plus faire grand-chose pour les consommateurs) ou encore le vieillissement de la population mondiale.

Ces facteurs vont porter durablement les pressions inflationnistes et se font d’ailleurs sentir aux Finances. Qui tente de grappiller le moindre sou (même si les largesses sont toujours tolérées) afin d’honorer la facture de la pension de vieillesse qui avoisine les Rs 30 milliards pour l’année 2020-2021. Entre-temps, nombre des 242 367 bénéficiaires (hormis évidemment les riches qui touchent cette pension universelle) sont en colère de toucher leur dû 7 jours après la fin du mois – contrairement aux ministres, fonctionnaires et conseillers qui, eux, sont payés rondement avant la fin du mois. La colère de la rue est à la hauteur des mesures populistes annoncées en 2019 pour reconquérir le pouvoir.

Dans un langage diplomatique mais ferme, la délégation virtuelle du Fonds monétaire international (FMI), qui s’est penchée sur l’économie mauricienne du 9-17 février dernier, conseille au gouvernement d’entreprendre des mesures “crédibles” sur le plan de la consolidation fiscale. Le FMI tire aussi la sonnette d’alarme sur la situation de la Banque centrale qui pourrait se retrouver avec un énorme trou si la roupie est réévaluée.

Les analystes du FMI prévoient que la croissance de 2021 serait de l’ordre de 4 % contre une projection initiale de 5,4 %. Pour 2022, même si le FMI a prévu un taux de croissance de 7 %, il évoque la “significant uncertainty” par rapport au tourisme, qui n’arrivait pas à décoller même avant que les premières bombes de Poutine n’éclatent. Pour arriver au taux de 7 %, le nombre de touristes en 2022 devrait tourner autour d’un million de visiteurs. Si l’économie se remet sur pied, “the outlook remains sensitive to the recovery in tourism”.

Autre remarque pertinente : la dette publique a décliné en raison des opérations quasi fiscales de la “BoM-owned Mauritius Investment Corporation”. Les analystes craignent que la BoM ne soit ainsi incapable de jouer son rôle “to steer interest rates” dans le contexte économique actuel dominé par la roupie faible, l’inflation, la hausse des carburants, du fret et des produits de consommation.

Si on se la jouait plus ou moins cigale jusqu’ici, le prochain exercice budgétaire devrait nous faire réaliser que nous ne sommes que des fourmis et qu’il est grand temps de vivre en tant que telles.

 

Nad SIVARAMEN

Exit mobile version