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Les risques de l’industrie pharmaceutique

Personne ne connaît les raisons qui auront mené le ministre des Finances à choisir l’industrie pharmaceutique, parmi tant d’autres, comme un nouveau secteur pivot pour l’avenir du pays, au-delà du fait mentionné que la pandémie en avait démontré «le besoin». Aucune étude d’avantages comparés, des risques et des bénéfices ou de marché n’a été rendue publique, par exemple, ce qui mène à la conclusion que, soit ces études n’existent pas, soit encore qu’elles existent mais que le public mauricien est jugé ne pas y avoir droit, puisque considéré, (nous sommes pourtant bien en ‘démocratie’ !), comme autant de ploucs. Le manque total de visibilité sur le projet CSG, un projet somme toute potentiellement mortel aussi pour le pays, est d’ailleurs du même acabit et a généré la même opacité…

«Un des dangers pour le pays serait que l’on approuve trop généreusement le financement de projets qui ne tiendraient pas la route ailleurs et que nous ayons alors affaire à des ‘tricheurs’»

Ce secteur de la pharmaceutique, solidement mentionné dans le discours du Budget 2020-21 l’an dernier, l’est à nouveau cette année-ci. L’an dernier, le ministre Jagutpal se félicitait même de l’intérêt porté à ce secteur par la MIC et jugeait que «cette entreprise pourrait même être leader dans le secteur pharmaceutique dans la région». Qui avait-il alors en tête, nous ne le savons pas. Nous savons, par contre, qu’il affirmait que cette industrie serait «well regulated».

Cependant, il est important de parler des risques qu’une telle industrie pourrait représenter pour notre pays, tant pour ses habitants que pour l’image du pays, si nous finissions par exporter. Il n’est pas question de dire que notre éventuelle industrie pharmaceutique sera inévitablement de mauvais niveau ou même dangereuse, mais il convient de souligner la complexité relative des produits pharmaceutiques, d’être conscient des risques possibles et d’être lucide sur ce qui constituerait probablement un régulateur fiable, dans un pays où aucun régulateur ne semble échapper au désir de contrôle de l’État central !

Si demain une entreprise fabriquant des médicaments devait être sanctionnée par son régulateur ou dénoncée par un journal, la démarche serait-elle jugée «antipatriotique», par exemple ? La question est fondamentale et elle se pose au vu de certains de nos mœurs établies…

«Nous ne pouvons prendre de risques avec la production de médicaments ; nous avons intérêt à bien choisir nos investisseurs et nous assurer que nos régulateurs sont tous compétents, indépendants et intègres»

Cela étonnerait beaucoup les spécialistes du domaine que des industries pharmaceutiques connues viennent s’installer à Maurice et produire leur produit de marque ‘sous licence’. Il est donc plus probable que l’on soit visité par des industriels souhaitant produire des génériques. Qu’est-ce qui pourrait les attirer ici n’est pas très évident, pour le moment. Ça ne pourrait pas être le coût de la main-d’œuvre ou sa formation de qualité supérieure, ni même sa productivité, semble-t-il. Même le coût de l’argent de la MIC pourrait ne pas être suffisant à l’ère des taux d’intérêt bas partout sur la planète. Le marché intérieur est bien trop faible. Le marché régional ou africain souffre de pouvoir d’achat a priori limité. Quoi qu’il en soit, un des dangers pour le pays serait que l’on approuve trop généreusement le financement de projets qui ne tiendraient pas la route ailleurs et que nous ayons alors affaire à des «tricheurs».

Rappelons-nous, à cet effet, ce qui s’est passé avec le lancement de l’industrie du savoir sur la base «d’au moins un gradué par famille», qui menait à l’accréditation de bien trop nombreuses opérations d’éducation tertiaire douteuses…

Quand on triche sur les règles d’origine d’une chemise ou sur la qualité des cours dispensés à des jeunes, c’est grave certes, mais on ne joue pas avec la vie du client. Avec un médicament, si ! Et les dégâts sur l’image du pays peuvent alors être dévastateurs !

Un long article du New York Times ce mois-ci, signé par Mme Farah Stockman de l’Editorial Board, illustre certains des dangers qui pourraient nous guetter.

La loi Hatch-Waxman date de 1984 aux États-Unis. Elle permet la fabrication de génériques par des compagnies pharmaceutiques, une fois terminée la période d’exclusivité provenant de la patente. Aucun test clinique n’est dès lors requis par la FDA, si le générique est «bio équivalent», ce qui permet des variations de jusqu’à 20 % des ingrédients clés du médicament d’origine. Cette loi a été un vaste succès, 90 % des prescriptions américaines étant maintenant satisfaites par des génériques et menant à des économies par… trillions de dollars.

Cependant, si les médicaments de marque sont parfois chers au point que l’on ne puisse les acheter, les génériques, en compétition entre eux-mêmes, sont si peu coûteux que certaines compagnies finissent parfois par cesser d’en fabriquer (ce qui déclenche des occasions d’augmentation de prix pour ceux qui restent) ou doivent tripoter les ingrédients chers de leurs produits pour pouvoir générer un profit. Les génériques se produisent aujourd’hui majoritairement à l’étranger, au Pakistan, en Inde et en Chine principalement, où l’équivalent de la FDA n’a pas nécessairement les mêmes moyens standards, où le même rayonnement et où toutes les compagnies n’ont pas nécessairement le sérieux voulu. En juillet 2007, par exemple, le directeur d’alors de la State Food and Drug Administration de Chine, M. Zheng Xiaoyu, fut mis à mort pour avoir pris des pots de vin de compagnies requérant des licences certifiant la sécurité de leurs produits (*). La tentation est malheureusement partout ! Et le NYT de citer un cas en 2008 où un fluidifiant de sang, l’Heparin, utilisé par des dialysés et fabriqué en Chine, avait tué 81 personnes aux États-Unis, ainsi que le générique Valsartan, qui traite les fortes tensions et qui contenait des impuretés, dont un probable carcinogène.

Les génériques dont les composantes sont différentes au point que la pilule n’a pas autant d’efficacité que l’original deviennent aussi plus fréquents. On triche, dans ce cas, sur les ingrédients pour baisser le prix en fonction du pouvoir d’achat faible, tout en assurant un profit. L’Afrique est ici particulièrement vulnérable, les fabricants de faux médicaments soignant plus l’apparence du conditionnement et même le marketing aux dépens des ingrédients les plus coûteux constituant les médicaments. Radio France International indique que 120 000 enfants africains en meurent par an et parle d’un trafic estimé à 200 milliards de dollars pour la seule Afrique de l’Ouest. Selon l’OMS, un médicament sur dix est déjà une contrefaçon qui peut être mal dosée ou, pire, contenir d’autres ingrédients que ceux requis. 42 % des saisies de faux médicaments se font en Afrique où ce trafic attirerait de plus en plus ceux souhaitant financer le terrorisme (**). L’OECD, l’UN Office on Drugs and Crime, Interpol, s’inquiètent tous des développements concernant les faux médicaments, d’autant que ceux-ci se propagent de manière accélérée depuis la pandémie de Covid-19.

Personne ne sait où nous en sommes avec notre ambitieux projet local. Ce qui est certain, c’est que nous ne pouvons prendre de risques avec la production de médicaments, que nous avons intérêt à bien choisir nos investisseurs et aussi à nous assurer que nos régulateurs sont tous (tiens !) compétents, indépendants et intègres. C’est le minimum syndical.

Faute de quoi, il faudra peut-être un jour faire une conférence de presse pour répondre à un journal citant la désolation causée quelque part par quelque médicament adultéré ‘Made in Mauritius’ ?

Situation catastrophique que les patriotes de ce pays ne souhaitent évidemment pas !

 

Philippe A. FORGET

(*) https://www.nytimes.com/2007/07/13/business/worldbusiness/13corrupt.html

(**) https://www.franceculture.fr/emissions/grand-reportage/faux-medicaments-la-plaie-de-l-afrique

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