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Édito

Loi de finances 2022-2023 : un budget sous le signe de l’inclusion et de la rupture.

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Richard Le Bon

C’est un fait : notre modèle de développement comporte des failles béantes. Et le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, avait l’occasion dans son troisième Budget de corriger certains dysfonctionnements structurels inhérents à notre économie comme l’ont, à maintes reprises, rappelé les Cassandres que sont le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale.

Disons-le franchement, pendant trop longtemps, l’on s’est cru à l’abri en occultant nos vulnérabilités. Mais les crises qui traversent notre économie, aussi implacables soient-elles, sont la preuve que notre petit État insulaire n’est pas si invulnérable que cela. Au plus fort de la tempête, les fondations ont été violemment secouées et n’était-ce la solidité du secteur financier bancaire et non bancaire qui a abreuvé l’économie de liquidités, l’édifice se serait écroulé et on se retrouverait aujourd’hui dans un état comparable à celui du Sri Lanka ou de la Turquie.

Les leçons que nous devons tirer de ce cycle de crise sont multiples. Nous en retenons deux. Primo, l’économie mauricienne n’est pas assez diversifiée. Ainsi, notre trop grande dépendance du secteur touristique, qui, selon Moody’s, contribue directement et indirectement à 23 % de notre PIB, est à l’origine de la contraction historique de 15 % du PIB enregistrée en 2020, un record dans la zone de l’Afrique subsaharienne. Secundo, à trop se concentrer sur le secteur des services, lequel compte à ce jour pour 68 % de la richesse nationale, on a négligé l’essentiel, c’est-à-dire l’agriculture et notre base industrielle. Avec pour conséquence un déficit commercial qui se creuse d’année en année. Si bien que quand la guerre en Ukraine est survenue, l’on a été frappé avec une brutalité sans pareille par l’escalade des prix des produits alimentaires et des hydrocarbures. Aujourd’hui, la population fait les frais d’une inflation persistante qui érode son pouvoir d’achat. Cela se reflète dans les derniers chiffres de Statistics Mauritius publiés, mardi, qui révèlent que l’inflation en glissement annuel était calculée à 10,7 % en mai. Alors que l’inflation globale pour le 12 derniers mois était à 7,7 % contre 7 % à fin avril. De son côté, la Banque de Maurice anticipe un taux d’inflation de 8,6 % en 2022. Alors que la croissance tournera autour de 7 à 8 %. Une performance assujettie à l’hypothèse d’un solide rebond dans le tourisme avec le scénario de 1 million d’arrivées. Outre d’impacter le pouvoir d’achat, cette inflation galopante risque à court terme de déboucher sur une crise de la demande. À plus long terme, elle pose deux problématiques là encore trop longtemps reléguées au second plan : la sécurité alimentaire et la sécurité énergétique.

Cette mise en perspective est essentielle pour comprendre la philosophie de ce Budget 2022- 2023 qui veut marquer une rupture avec un modèle de développement qui, s’il n’est pas sujet à un processus transformationnel, hypothéquera définitivement l’avenir des générations à venir. Au sein de la communauté des affaires d’ailleurs, il y avait unanimité que ce Budget devait à la fois adresser les priorités de court et de long terme. Ce troisième Budget de Renganaden Padayachy a le mérite d’être cohérent avec le projet socio-économique qu’il a présenté dans ses deux premiers exercices budgétaires. C’est un Budget qui est clairement placé sous le signe de l’inclusion. Loin d’être qu’un simple mantra, l’inclusion est pour le ministre des Finances une force qui va amener une prospérité durable et à visage humain. D’ailleurs, dans le discours budgétaire, il insiste avec force que ce Budget a été rédigé «With the people, for the people».

Le Budget en lui-même repose sur trois grands axes : déverrouiller l’accès à la croissance et bâtir la résilience aux chocs futurs ; accélérer la transition vers un modèle de développement plus durable et plus inclusif ; et investir dans l’humain.

Sous le premier axe du Budget, l’accent est d’abord mis sur la consolidation de l’agro-industrie avec un ensemble de mesures incitatives allant de subventions à l’achat de semences et de biofertilisants ou encore des congés fiscaux étalés sur 8 ans pour inciter les planteurs à s’engager dans des pratiques agricoles innovantes. Un coup de boost est également donné au secteur de l’élevage avec notamment la Banque de Développement qui va investir pas moins de Rs 200 millions dans cinq zones consacrées à l’élevage.

«Ce troisième budget de renganaden padayachy

a le mérite d’être cohérent avec le projet socioéconomique

qu’il a présenté dans ses deux premiers exercices budgétaires.

C’est un budget qui est clairement placé sous le signe de l’inclusion.»

Cette stratégie intégrée participe à la réflexion qu’on doit réduire notre dépendance de l’importation des produits alimentaires et accélérer notre stratégie en matière de sécurité alimentaire. Au total, une quarantaine de paragraphes du discours du Budget est consacrée au développement de l’agro-industrie, de l’élevage et du secteur de la pêche, avec un accent sur les projets aquacoles.

Tout en créant les conditions pour permettre une renaissance de l’agro-industrie, le ministre des Finances entend renforcer un autre pilier traditionnel, à savoir le secteur manufacturier. En vue de favoriser la production, une série d’incitations sont annoncées, notamment l’extension du Freight Rebate Scheme et du Trade and Promotion Scheme jusqu’en juin 2023.

Pour réduire notre sur-dépendance des combustibles fossiles, l’État entend accélérer la transition vers une production énergétique plus propre. Il s’agit d’une stratégie qui s’inscrit dans le droit fil de la feuille de route pour le secteur énergétique récemment présenté par le ministre de l’Énergie, Joe Lesjongard, et qui fixe l’objectif d’atteindre la neutralité carbone d’ici à 2030. Pour se donner les moyens de nos ambitions, le Budget encourage aussi bien les producteurs indépendants que les particuliers à se tourner vers les sources d’énergies renouvelables. Une stratégie qui est agglomérée à une refonte du système du système de transport terrestre.

Finalement, l’autre axe majeur de ce Budget, c’est le rétablissement du pouvoir d’achat. Sur ce plan, le ministre des Finances ne fait pas dans la demi-mesure en distribuant des prébendes au plus grand nombre. Que ce soit la classe ouvrière, la classe moyenne, un fort pourcentage de la classe aisée ou encore les personnes âgées, tout le monde ou presque est invité au banquet. Les mesures les plus marquantes sont : l’augmentation de la pension de vieillesse de Rs 1 000 ; l’imposition de l’Income tax à 10 % pour les tranches de salaires oscillant entre Rs 25 000 et Rs 53 846 et à 12,5 % pour les salariés percevant entre Rs 53 846 à Rs 75 000 ; et une allocation de revenu mensuel direct sous la CSG de Rs 1 000 pour ceux touchant des revenus bruts jusqu’à Rs 50 000. Selon le Grand argentier, cette dernière mesure ne concerne pas moins de 350 000 employés et travailleurs indépendants.

D’aucuns diront que c’est un Budget confetti, mais toutes ces mesures participent à une stratégie visant à protéger le pouvoir d’achat contre les effets destructeurs de l’inflation tout en prônant une politique de relance par la consommation. Une stratégie qui était déjà le fil conducteur du précédent Budget. L’on notera également une volonté manifeste du Trésor public d’aligner la politique budgétaire et la politique monétaire. En relevant le taux repo de 25 points de base vendredi dernier, le comité de politique monétaire de la Banque de Maurice donnait déjà une indication claire d’une amorce de changement de cap et que les pouvoirs publics pourraient, à l’avenir, ne plus s’appuyer sur le levier d’une politique de roupie faible pour faire gonfler le PIB.

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