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Édito

Repositionnement dans le tourisme

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Richard Lebon

La traversée du désert a été extrêmement longue pour les acteurs du tourisme. Dans l’incapacité d’opérer pendant une éternité en raison de la fermeture des frontières, ils ont assisté impuissants à l’écroulement de l’édifice.

Aujourd’hui, c’est tout un pan de notre économie qui revit. Le secteur touristique, c’est non seulement une contribution indirecte de 23 % à notre produit intérieur brut, mais aussi un apport considérable de devises étrangères, soit l’équivalent de 1,78 milliard de dollars en 2019, et des dizaines de milliers d’emplois. C’est l’une des mamelles nourricières de l’économie nationale. Sa paralysie a coïncidé avec la contraction historique de 15 % du PIB enregistrée en 2020, soit l’une des pires performances à l’échelle de l’Afrique subsaharienne. Son redémarrage a contribué à accélérer la reprise de l’économie mauricienne au second semestre de 2022. Les derniers chiffres officiels font état de 997 290 arrivées en 2022 contre 1 383 488 en 2019 et de recettes de Rs 64,8 milliards.

Pour avoir été au bord du précipice pendant si longtemps, il est naturel que les opérateurs soient satisfaits de voir à nouveau prospérer leurs activités, mais cette euphorie légitime ne doit pas leur obscurcir la vision. Car, si Maurice a pratiquement atteint la barre du million d’arrivées touristiques, comme l’avait prédit le ministre du Tourisme, Steven Obeegadoo, nos principaux concurrents dans la région, à savoir les Maldives et les Seychelles, n’ont pas chômé, et se positionnent désormais comme des destinations incontournables dans la région, comme l’a d’ailleurs rappelé le leader de l’Opposition, Xavier-Luc Duval, à l’Assemblée nationale la semaine dernière.

Certes, ces pays ont pris des risques en rouvrant leurs frontières relativement tôt, pour ne pas dire prématurément, mais cette stratégie offensive a permis aux Maldives de réaliser une croissance de 8 % par rapport à la période pré-pandémique, alors que les Seychelles ont réussi un véritable tour de force avec une performance de 32 %. Mais ces risques les placent dans une position privilégiée pour tirer pleinement avantage de la solide reprise dans le tourisme mondial qui, selon le secrétaire général de la World Tourism Organisation, Zurab Pololikashvili, va retrouver son niveau d’avant la pandémie d’ici à la fin de l’année.

Les conclusions du World Travel Monitor d’IPK International, cabinet de conseil en tourisme, présentées récemment lors du salon ITB Berlin sont édifiantes. Ce sont les Maldives qui obtiennent la palme de la destination de voyage la plus populaire au monde, devant Dubaï et Chypre.

L’autre enseignement de cette étude, c’est que les vacances demeurent le principal motif de voyage en 2022, avec une part de marché de 73 %. Concernant les voyages d’affaires, ils représentent une part de 13 %. L’étude révèle que les vacances au soleil et à la plage en Turquie et en Espagne ont été particulièrement populaires, retrouvant presque les niveaux de 2019.

Tout cela amène à plusieurs constats. D’abord, en tant que destination touristique, Maurice aurait pu mieux faire. Ensuite, il y a des opportunités pour des destinations proposant une offre classique Sun, sea and sand. Tout l’enjeu sera donc de conserver cette clientèle et de ne pas lui donner des raisons de céder à l’appel des sirènes maldiviennes et seychelloises. Tout en consolidant nos acquis, nous devons diversifier notre offre touristique en considérant les attentes nouvelles des voyageurs. Dans le même temps, il s’agit d’être moins euro-centrique et d’explorer des marchés émergents et porteurs. C’est d’ailleurs ce qui a fait le succès des Maldives et des Seychelles. Une étude réalisée par Axys en juillet 2021 révèle que depuis la fin des années 90, les dépenses des touristes lors de leur séjour à Maurice sont en moyenne inférieures à 1 200 euros. Alors qu’aux Maldives et aux Seychelles, l’on approche les 1 900 et 1 500 euros par séjour respectivement.

La réponse à ce constat implacable se trouve forcément dans la qualité des prestations hôtelières chez nos concurrents, mais aussi dans leurs marchés émetteurs. Ainsi, dans le cas de Maurice, 58 % de notre clientèle vient de l’Europe, puis de l’Afrique (25 %), de l’Asie-Pacifique (15 %) et autres (2 %). Pour les Maldives, la composition du marché touristique est comme suit : Europe (49 %), Asie-Pacifique (41 %) et autres (10 %). Alors que les marchés émetteurs pour les Seychelles se répartissent de la sorte : Europe (66 %), Afrique (19 %), Asie-Pacifique (11 %) et autres (2 %).

Sachant que les dépenses des touristes varient en fonction des marchés émetteurs, les autorités mauriciennes doivent prendre des décisions stratégiques en vue de cibler les marchés plus porteurs. Dans cette réflexion, il faut bien garder à l’esprit que les Russes, puis les Suisses, les Chinois, les Américains, les Australiens et les Émiratis s’imposent comme les plus gros dépensiers. Et que, par conséquent, on a tout intérêt à diversifier nos marchés émetteurs, sans pour autant négliger nos marchés traditionnels.

Au niveau des autorités, l’on est conscient qu’il n’y a pas une stratégie unique pour le tourisme. Si l’on veut améliorer la compétitivité de la destination, il s’agira d’abord de tabler sur les marchés porteurs comme le Moyen-Orient (l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis), l’Inde ou encore la Russie.

Les Russes, qui voient en Maurice une destination abordable, sont également dans le collimateur. Du reste, la compagnie aérienne russe Aeroflot devrait bientôt opérer des vols directs vers Maurice. Les discussions sont à un stade avancé. Actuellement, pour venir à Maurice, les Russes doivent transiter par Dubaï (Emirates) ou Istanbul (Turkish Airlines). L’amélioration de la connectivité aérienne devrait doper le marché russe qui est largement sous-exploité. En 2019, on avait accueilli 11 191 touristes russes, soit environ 0,8 % de nos arrivées. Une performance nettement en deçà de celle des Maldives, qui avaient accueilli 83 369 Russes, ce qui représentait 4,9 % des arrivées du pays.

L’autre stratégie consiste à dynamiser le tourisme pendant la basse saison en tablant sur l’offre hors plage. Une telle stratégie nécessite d’attirer ces visiteurs qui préfèrent voyager pendant les mois creux en leur faisant découvrir des activités de découvertes de l’île et de sa vie culturelle. L’écotourisme est définitivement un créneau qu’il faudra exploiter. Pour ce faire, un partenariat public-privé pour la gestion des sites culturels serait la bienvenue.

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