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Édito

SAJ L’héritage qu’il nous lègue

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Le gouvernement

Richard Lebon

Il avait un tempérament de feu. Et s’arrogeait volontiers le droit à l’excès. Au fond de lui brûlait une flamme    qu’on croyait éternelle. Leader  charismatique, il était de la trempe de ces chefs de gouvernement destinés à marquer l’histoire d’une nation.

Sir Anerood Jugnauth avait la politique chevillée au corps. Homme de conviction doté d’une rigueur, d’une discipline et d’un sens du devoir que nul ne peut lui ôter, il tranchait toujours dans le vif quand il fallait prendre des décisions majeures. Selon les circonstances, sir Anerood Jugnauth pouvait être un peu brut de décoffrage. Son franc-parler légendaire passera sans doute à la postérité.

Qui d’autre que SAJ pouvait éconduire le Fonds monétaire international et la Banque mondiale en se prononçant contre un ajustement structurel de l’économie mauricienne après que le gouvernement eut profité des aides versées par ces organisations internationales ? Ou encore se permettre de révoquer Paul Bérenger en août 1993 après un dîner où était convié Navin Ramgoolam ?

Cette exubérance qui habitait SAJ, l’audace qu’il a su faire preuve tout au long de sa carrière politique l’ont parfois desservi, mais elle aura permis de changer le destin du pays, le plaçant sur la voie de la modernité après la grave crise de 1979 à 1982 qui avait contraint l’ancien ministre des Finances, sir Veerasamy Ringadoo, à procéder à deux dévaluations de la roupie de 30 % et 20 % en octobre 1979 et septembre 1981 respectivement. Avec pour conséquence une flambée de l’inflation jusqu’à 42 % en 1980.

Après le 60-0 du scrutin de juin 1982, SAJ accédera au poste de Premier ministre. Le gouvernement MMM – PSM inexpérimenté et prônant une idéologie marxiste-léniniste n’était sans doute pas ce dont le pays avait besoin. Neuf mois plus tard, ce sera la cassure. Et aux législatives d’août 1983, Jugnauth sera une nouvelle fois plébiscité comme chef du gouvernement, cette fois-ci au sein d’une coalition MSMPTr-PMSD. C’est aux côtés de sir Gaëtan Duval et de Vishnu Lutchmeenaraidoo qu’il entamera la transformation de l’économie et inaugurera une nouvelle ère de prospérité connue comme le miracle économique mauricien. Certes, l’on avait passé le cap de la crise mondiale et une reprise était attendue, mais il fallait s’en donner les moyens. En 1983, les indicateurs économiques étaient au rouge. Le pays comptait alors pas moins de 72 000 sansemploi, soit un taux de chômage de 19,2 %. La croissance était molle, à peine de 0,4 %, alors que l’inflation était calculée à 5,6 %. Quant au revenu par tête d’habitant, il était calculé à Rs 12 257.

«LE GOUVERNEMENT MMM – PSM INEXPÉRIMENTÉ ET PRÔNANT UNE IDÉOLOGIE MARXISTE-LÉNINISTE N’ÉTAIT SANS DOUTE PAS CE DONT LE PAYS AVAIT BESOIN»

Le revival de l’économie mauricienne est partiellement le résultat d’une conjoncture favorable, notamment d’un cycle vertueux suivant une sortie de crise, mais il a aussi été rendu possible par le pragmatisme de SAJ épaulé par ses lieutenants, sir Gaëtan Duval et Vishnu Lutchmeenaraidoo. Dans les années qui suivirent, le secteur du textile connaîtra ses plus beaux jours et l’on assistera à l’émergence d’un troisième pilier, à savoir le tourisme. En 1987, le Festival international de la mer organisé pendant deux mois aura un succès retentissant. C’est à ce jour l’une des plus grandes manifestations promotionnelles que le pays aura connues. De 1987 à 1991, le pays enregistrera plus de 100 000 arrivées touristiques additionnelles.

Ce foisonnement de l’activité économique fera que Maurice connaîtra une situation de plein-emploi lors de la prochaine mandature de Jugnauth (1987-1991) avec un taux de chômage inférieur à 3 %. C’est la période de boom économique avec l’économie mauricienne réalisant des taux de croissance de 8,3 % en 1987, 6,2 % (1988), 4,6 % (1989), 7,3 % (1990) et 4,4 % (1991). Concernant le revenu par tête d’habitant, il s’établissait à Rs 41 870 en 1991.

Le miracle économique se situe aussi au niveau du développement humain. Pendant cette période de prospérité, les Mauriciens ont expérimenté une amélioration de leur niveau de vie, grâce d’abord à la détaxe sur une série de produits électroménagers. Une mesure adoptée à la suite du fameux «No tax Budget» de Lutchmeenaraidoo lors de l’exercice fiscal 1986-1987. L’impact est national. C’est la période bénie où la plupart des ménages ont pu se permettre d’acquérir un téléviseur couleurs et un magnétoscope.

Aujourd’hui encore, SAJ est reconnu à juste titre comme étant l’architecte du miracle économique et celui qui a jeté les bases de l’île Maurice moderne. Certes, il y a eu des faux-pas dans son parcours, mais l’héritage qu’il a légué sera transmis aux générations à venir. Ce natif de Palma a forgé son caractère et bâti sa carrière politique en s’investissant à 100 % dans toutes les actions qu’il a initiées. La verve avec laquelle il a défendu la souveraineté de Maurice sur les Chagos devant la Cour de justice internationale est l’une des images qu’on devrait garder de lui et, pourquoi pas, inspirer les acteurs économiques qui, aujourd’hui, luttent pour se relever de la crise. Dans le dernier entretien qu’il a accordé à la presse, il adresse un message fort à la population : «Il faut travailler pour produire. J’ai toujours dit cela dans ma carrière. Si on ne travaille pas, on ne peut pas produire ; le gâteau va rester petit. Pour avoir sa part, il faut d’abord créer (la richesse)». Des paroles lourdes de sens qui méritent une profonde réflexion.

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