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Édito

Si seulement…

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"Imaginez" par Philippe A Forget

À l’inauguration du tronçon du métro de Phoenix/ Quatre-Bornes, le Premier ministre s’est insurgé, avec raison, contre le vandalisme à la nouvelle station de Barkly. Manifester contre les augmentations de prix et la précarité économique qui en résulte pour de nombreuses familles est, entendons-nous, un droit démocratique. Casser, piller ou endommager des facilités, qu’elles soient publiques ou privées, n’est, par contre, ni un droit, ni un devoir, ni même nécessaire et relève tout bonnement d’une atteinte à l’ordre public et d’une infraction à la loi. Cela aussi est clair.

À cette même inauguration, selon le quotidian Le Mauricien, le PM, se référant à ses détracteurs qui demandent, vu la conjoncture économique très difficile, l’arrêt de la mise en chantier de projets de développement, fait la leçon que «certains projets don’t les contrats ont déjà été signés ne peuvent être changés», en citant l’exemple du métro et de préciser que «nous ne pouvons pas résilier un contrat. Réalise-t-on quelles en seraient les conséquences, sinon ?».

À la bonne heure ! Si seulement le gouvernement Lepep de 2015 avait été aussi sage pour ne pas désavouer le contrat de la STC avec Betamax, pour les services du Red Eagle, par exemple ! Si seulement le gouvernement avait alors eu l’humilité de reconnaître qu’un mandat électoral n’est pas une licence pour pouvoir tout faire et «qu’un contrat est un contrat !»

Le pays aurait alors fait l’économie des Rs 5,6 milliards finalement payées à Betamax pour rupture abusive de son contrat avec la STC et le pays aurait en plus fait des économies matérielles de fret sur le transport pétrolier en ces jours difficiles ; le principe du contrat du Red Eagle étant d’assurer un taux de fret prévisible et à l’abri de hausses spectaculaires du marché mondial ! Il est ainsi estimé que la STC, si elle signe pour du fret aujourd’hui, paiera environ 10$ de plus par tonne métrique, c’est-à-dire entre 20 et 25 % de plus que n’aurait coûté le Red Eagle…

C’est de l’argent qui sortira des caisses de la STC et éventuellement de la poche des consommateurs, bien sûr ! Si seulement… En effet…

Pritish Behuria est un nom qui n’est pas familier. Mais ce PhD de l’université de Londres, qui enseigne à l’université de Manchester, a beaucoup bourlingué et beaucoup publié.

Il s’est intéressé à l’existence de nos services offshore et vient de publier The political economy of a tax haven: the case of Mauritius en ce début de mai. Remarquons d’abord son utilisation peu diplomatique du label «tax haven» ! Il était au pays au début de 2019 et lors de son passage, il aurait réalisé 47 interviews de divers intervenants y compris de hauts officiels du gouvernement, dont trois anciens ministres des Finances et un ministre actuel, des banquiers, des politiciens, des consultants, des hommes de loi, des firmes comptables, des membres du secteur privé. Son étude, qui n’est pas parfaite, mérite cependant attention d’autant plus que c’est l’une des rares études qui s’attardent sur les effets de l’offshore sur l’économie locale. Un seul des intervenants semble avoir donné la permission d’être nommé explicitement ; il s’agit de Rama Sithanen. Bravo !

Que notre secteur offshore soit surtout spécialisé en gestion de fonds plutôt que diversifié comme les plus grands centres financiers ne nous apprend rien de nouveau. N’étant pas ou peu dans les marches de capitaux, les mergers & acquisitions, les marches des changes, de la dette et des commodités, ou même, à un moindre degré, la gestion de fortune fait que Maurice se retrouve quelque peu coincé dans une activité à valeur ajoutée relativement faible. La FSC reconnaît cela (Tableau 1, page 6) et la seule tentative de diversification réussie se retrouve dans l’investissement transfrontalier, notamment vers l’Inde ou l’Afrique, selon Behuria, qui cite le constat un peu cruel d’un banquier que Maurice «basically stores wealth. You go to more established centers like Singapore for real wealth management». Même en Afrique, un centre comme Casablanca est bien plus diversifié que le nôtre, Maurice ayant surtout une réputation d’être un centre pour du «back office work», ce qui souligne notre équation de précarité et de dépendance sur les autres.

Néanmoins, Behuria rappelle combien l’offshore est crucial comme source de devises pour le pays, les actifs offshore s’établissant à quelque 700 millions de dollars, soit 50 fois le PIB local mauricien ! Ces sommes imposantes ont été utiles pour afficher une balance des paiements positive et ont servi d’amortisseur face à une balance commerciale chroniquement déficitaire. La figure 8 (page 18) montre clairement comment le global business est, depuis 2018-19, la composante positive la plus importante au sein de la balance des comptes courants pour contrer notre déficit commercial (estimé maintenant à un colossal -31 % du PIB en 2022 !). Un économiste renommé (mais anonyme) dit fort justement que ces sommes nous auront acheté du temps pour diversifier l’économie réelle, mais que l’on s’est endormi et qu’elles ont plutôt créé une dépendance artificielle qui est devenue sûrement dangereuse à terme.

Behuria souligne que l’entendement local est que cette activité engendre de la croissance, des emplois et de la redistribution des richesses et va jusqu’à indiquer que le fait de présenter la redistribution des richesses comme découlant de la croissance de l’offshore permet un argument politique fort, surtout quand agrémenté de l’affirmation que cette activité est aussi une forme de «résistance postcoloniale» ! L’auteur concède volontiers que la croissance du secteur a contribué à l’autonomie fiscale du pays, du moins à court terme, ce qui a permis à l’État de maintenir un État providence important. Mais ce faisant, le pays est vulnérable aux changements multilatéraux qui surgissent fréquemment dans les chaînes de richesse mondiales, au fur et à mesure que les autorités fiscales des pays riches veulent tirer le drap vers eux. Les pays riches ne voulant rien perdre dans ce que The Economist appelait, dès 2009, «Haven hypocrisy», se sont d’ailleurs assuré de l’existence du Delaware, des British Virgin Islands, de Hong Kong et d’autres. Le Gujarat a les mêmes ambitions pour l’Inde. On apprend, en passant, (page 12), grâce à une interview du Haut-commissariat indien, que le DTAA signé avec l’Inde en 1983 n’était pas seulement pour éviter la double taxation entre les deux pays, mais aussi pour agir comme un conduit pour des investissements indiens en Afrique du Sud, alors bloquée d’accès par sa politique d’apartheid !

À signaler aussi l’étonnement positif de l’auteur face au consensus général du leadership politique local pour favoriser le développement de l’offshore, un consensus clairement salutaire pour avancer ! De larges tranches d’analyses ethnocentriques sont sans doute intéressantes pour certains, mais paraissent plutôt déplacées dans une analyse qui se veut économique…

Behuria cite des experts de l’offshore comme prédisant que Maurice sera le «offshore back office of the future» et cite la récente vente de trois Offshore Management Companies (IFS, Abax et CIM) à trois multinationales (Ocorian, SGG, Sanne) comme un indicateur probant de ce scénario. Avec ces ventes, certains pensent même que toute velléité de diversification et de sophistication doit être désormais rangée au placard ; ces trois OMC, importantes et dynamiques, étant, selon lui, les seules capables de s’y essayer significativement…

Si seulement ces conclusions étaient à côté de la plaque…

Malheureusement ! Le Global Financial Centres Index de mars 2022 déclasse notre centre financier de la 73e place à la 84e. Nous étions 40e en 2019 ! Il ne semble pas que sortir des listes grise ou noire suffise donc. Il faut aussi être compétitif, innover, éviter l’arbitraire et la corruption, projeter une image de solidité et de sérieux, ne pas voir sa note et sa réputation chez Moody’s, chez le FMI, à la Banque mondiale se dégrader dans le sillage de nos faux coups de barre, de nos fausses prétentions, de notre hubris déplacée.

Il faut changer de partition, parler vrai, se retrousser les manches, éliminer les gaspillages, arrêter de tout politiser, se débarrasser du népotisme, être plus productif, cesser de diviser le pays, abandonner les projets de prestige qui apportent peu ou… rien, être professionnel, revoir l’État providence ‘universel’, dynamiser la production et exporter…

On va répéter tout ça, sans résultat, jusqu’à quand? Jusqu’à ce que Moody’s nous déclare être «non-investment grade» et qu’il faudra, obligatoirement et non plus volontairement, écouter les prescriptions du FMI, notamment à propos de la MIC et de la dette?

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