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Édito

Stratégie africaine

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Philippe A. Forget

«Le rôle d’intermédiaire sur l’Afrique est, il est vrai, différent, mais le mécanisme est le même : l’investisseur va investir s’il se sent confortable et une structuration à travers Maurice l’aide souvent dans sa démarche»

Le rapport récemment publié par Capital Economics Limited sur le rôle joué par l’île Maurice dans l’investissement qui s’implante en Afrique est un document intéressant et utile à plus d’un titre. Commandité par l’EDB – ce qui suscitait d’ailleurs une tentative du ministre Seeruttun, dans sa note d’introduction, d’expliquer comment un tel rapport pouvait ne pas provenir de SON ministère – ce rapport de 128 pages est certes un outil musclé pour contrer la violente campagne montée contre nous au motif que nous «saignons» l’Afrique, mais est aussi un bréviaire utile de l’Afrique contemporaine et de ses besoins d’investissements et un document de promotion pour Maurice et son secteur financier.

Nous savons désormais que la somme totale d’investissements complétés en pays tiers, à travers Maurice, se monte à 560 milliards de dollars, qu’environ 50 % de cette somme se trouve en Inde et que l’Afrique continentale, avec 82 milliards de dollars, est en 2e position avec 15 % du total. Si la couverture médiatique s’est souvent focalisée sur les investissements en Afrique de fonds souverains, d’institution financières de développement et d’ONG, nous savons aussi désormais que ¾ des fonds provenant de Maurice proviennent d’entreprises. Maurice représente 13 % de l’investissement total en Afrique centrale et au moins 10 % de l’investissement complété tant en Afrique de l’est, du sud et même de l’ouest.

Maurice ayant canalisé 82 milliards de dollars jusqu’ici, le rapport rappelle qu’il est estimé nécessaire pour l’Afrique d’attirer 350 milliards de dollars annuellement pour espérer atteindre les objectifs du développement durable(1). De plus, alors que seulement 55 milliards de dollars d’aide internationale parvenait en Afrique en 2018, avant donc la pandémie – qui va tout ralentir – la moitié de cette somme (175 milliards p.a.) est estimée devoir provenir hors du continent africain. Ces sommes ont souvent besoin d’un cocon protecteur en amont du continent. Maurice s’offre pour jouer cette carte et ce rapport est aussi un outil de PR évident, surtout à un moment où le Rwanda joue ses premières cartes en s’associant à la CDC (à la faveur des nuages sur les Chagos ?) et même Singapour(2), où ils ont une représentation diplomatique, que nous avons, quant à nous, choisi de ne pas avoir, privilégiant d’autres pays moins évidents…

Capital Economics affirme que 47 % de l’investissement concrétisé en Afrique (hors RSA) sont articulés à travers un DTA (double taxation agreement) et, qu’à l’évidence, il y a un «trade off» entre un manque à gagner partiel de taxes locales d’un côté et des investissements étrangers qui, d’autre part, sont ainsi stimulés, produisant des emplois, de l’activité économique et donc des opportunités fiscales qui n’existeraient pas autrement. Le rapport ne peut démontrer que ce «trade off» est positif, mais faut-il rappeler à nouveau que depuis notre zone franche, en passant par le secteur hôtelier et tant d’autres secteurs où nos gouvernements ont souhaité des investissements, Maurice a, de son propre chef, fait de nombreuses concessions fiscales pour «attirer des capitaux» ?

En signant un DTA avec Maurice, c’est aussi l’ambition du pays signataire. Le rôle d’intermédiaire sur l’Afrique est, il est vrai, différent, mais le mécanisme est le même : l’investisseur va investir s’il se sent confortable et une structuration à travers Maurice l’aide souvent dans sa démarche. 53 % des capitaux investis en Afrique à partir de Maurice ne sont d’ailleurs pas couverts par un DTA ! Il faut aussi souligner que d’importantes institutions de développement comme la CDC britannique et le KfW d’Allemagne n’ont pas attendu ce rapport pour structurer, chez nous, certains de leurs apports en Afrique de manière efficiente, sécurisée et à relativement pas cher. Il faut quand même aussi se rappeler que la prime de risque facturée pour un investissement en Afrique est à 4,6 %, alors que l’Asie est à 2,4 % et l’Europe de l’ouest est à 0,4 % (figure 18, page 34).

Pertinemment, Capital Economics rappelle que Maurice adhère à toutes les conventions standards contre le blanchiment et le financement du terrorisme et, qu’au dernier pointage, nous satisfaisions, largement ou complètement, 36 des 40 recommandations de la FATF, ce qui est apparemment un meilleur score que celui du Canada, de Malte, de l’Irlande, de la Suisse, des îles Cayman et des États-Unis… et explique même (pp. 19-21) pourquoi ce qui est parfois perçu comme du «round tripping» est souvent légitime ! Maurice est aussi «fully compliant» sur 26 de ces 40 critères, ce qui est mieux que les 105 juridictions surveillées, à l’exception de l’Espagne et des Bermudes (voir figure 27) ! Clairement, le problème est ailleurs. Dans la concrétisation des actions promises, par exemple…

26 des 82 milliards de dollars investis en Afrique (32 %) le sont dans la République sud-africaine (RSA) qui est à distinguer de la région sud-africaine –, c.-à-d. essentiellement les six pays coincés entre le Congo et la Tanzanie au Nord et la RSA au sud qui émargent, quant à eux, pour 14 % du total, après les 25 % de l’Afrique de l’est et les 20 % de l’Afrique de l’ouest. La RSA utilise, à son tour, Maurice pour investir ailleurs en Afrique, étant elle-même sous un strict contrôle des changes.

Capital Economics extrapole les stocks de capitaux existants, par emploi, dans divers pays pour parvenir à une estimation de 4,2 millions d’emplois soutenus par les 82 milliards de dollars d’investissement. C’est de la grosse cuisine, mais il est sans doute possible de faire pire… Capital Economics a aussi le courage d’estimer que le revenu fiscal ainsi généré se situe à environ 6 milliards $ par an, mais n’explique pas son calcul au-delà de dire qu’il se base sur le FMI et le résultat de son sondage de 2020, des compagnies de management dans l’offshore. On aurait intérêt à être un peu prudent en utilisant ces chiffres. D’autant que l’inspiration n’est pas toujours au rendez-vous, comme illustré par le Box2 (page 31), qui évoque le montage de l’OPIC américain et du Norfund norvégien pour investir dans une usine de… plastique, ce qui pourrait finalement n’arranger personne au Malawi, en Zambie, au Mozambique et au Zimbabwe, où ce plastique va se fabriquer et se consommer ! À chacun sa perception de ce qui constitue du «développement» soutenable, je suppose.

Par contre, Capital Economics nous rappelle qu’il y a déjà 3 000 DTA de par la planète et que Maurice n’en gère que 45, tous largement construits sur les modèles des Nations unies et de l’OCDE. Les 17 DTA d’Afrique offrent un intérêt particulier aux investisseurs du point de vue de la transparence, de la simplicité et de la certitude des traitements fiscaux. Ce n’est pas à négliger. Les Management companies implantées à Maurice pensent d’ailleurs, à travers le sondage, qu’environ 50 % des investissements concrétisés ne se seraient pas faits hors de l’existence de la juridiction mauricienne. C’est évidemment un point de vue plutôt subjectif, mais il est au moins ce nombre de Management companies qui pensent être en mesure de convaincre des clients–investisseurs que cela est vrai ? Ça compte !

La section 3.1 (pp. 36 à 44) est une tentative assez réussie de démonter une étude du FMI de 2018 qui ne trouvait aucune corrélation positive des DTA sur l’investissement généré, confirmant par contre que les revenus fiscaux baissaient de manière «statistiquement significative». Si la baisse de taxe est prévisible (c’est un des effets prévus d’une DTA, après tout), Capital Economics mine l’approche de l’étude du FMI vigoureusement et va jusqu’à indiquer trois autres études qui démontrent… le contraire. D’évidence, «the jury is out» et n’a pas encore statué sur cette question.

Les quatre derniers chapitres sont de nature plus générale et font un résumé promotionnel, réussi d’ailleurs, des attraits de Maurice (pp. 54-70), des atouts de notre centre financier (pp. 71-99), des besoins d’investissement en Afrique (pp. 100-116) et du financement de ceux-ci. Trois diagrammes établissant la corrélation entre le développement économique (par PIB/PPP interposé) et l’État de droit (fig. 71), la qualité des infrastructures (fig. 72) et (un peu moins) notre score de «Ease of doing business» (fig. 83), font plaisir. Par contre, la figure 58 (p. 96), en démontrant comment Maurice est 11 fois classé 1er en Afrique selon nombre d’indices mondiaux, fait bien le contraste avec notre 5e place sur l’indice de la liberté de la presse…

Somme toute, un bon document de soutien aux ambitions du pays, même si parfois un peu tiré par les cheveux. Quant à savoir si c’est du «value for money», il faudra connaître la facture de cette firme plutôt bien outillée.

Philippe A. Forget

(1) https://www.africa.undp.org/content/rba/en/home/sustainable-development-goals.html

(2) https://www.incegd.com/en/news-insights/singapore-rwanda-special-relationship

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