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Afsar Azize Abdulla Ebrahim (Directeur de Kick Advisory Services) «Un exercice de redressement donne à l’entreprise une chance de survie»

Afsar Azize Abdulla Ebrahim «Un exercice de redressement donne à l’entreprise une chance de survie»

Les campagnes de vaccination dans le monde entier jouent un rôle énorme dans le rétablissement de la confiance dans l’économie mondiale, observe le Directeur et Partenaire Fondateur de Kick Advisory Services. Pour Afsar Ebrahim, au vu de sa petitesse qui limite sa croissance, l’économie mauricienne a cruellement besoin de capitaux et d’investissements étrangers. De même, il nous faut élargir notre marché en nous recentrant sur l’Afrique. Il insiste, par ailleurs, sur la nécessité de renforcer le partenariat entre le secteur public et le privé.

Après une contraction de 15,2 % en 2020, l’économie mauricienne amorcera une lente reprise. Les dernières estimations de MCB Focus font état d’une croissance de 6,3 % cette année. Vous rangez-vous dans la catégorie des optimistes ou des pessimistes ?

Bien sûr que je suis et que je reste optimiste ! Le monde entier est arrivé à un point mort, mais certains signes indiquent maintenant que la crise sanitaire sera quelque peu maîtrisée fort probablement dans les prochains mois. Les campagnes de vaccination lancées dans le monde entier jouent un rôle énorme dans le rétablissement de la confiance dans l’économie mondiale. Concernant Maurice, 25 % de l’économie s’est littéralement arrêtée. Cependant, grâce aux efforts combinés des autorités, du secteur privé et de la population mauricienne, notre pays est resté ‘Covid Safe’ jusqu’à ce jour. Cela est de bon augure pour la reprise. Une fois le protocole de vaccination établi, je pense que la confiance et les touristes reviendront, même si nous sommes loin de nos marchés traditionnels et si notre reprise dépend de la manière dont ces marchés font face à la crise sanitaire ainsi que du désir de leurs citoyens de voyager sur de longues distances. L’autre défi se rapporte à l’accès au transport aérien et à la volonté des compagnies aériennes de venir chez nous. Il n’existe pas de période post-Covid, mais la gestion du risque et le compromis que nous sommes prêts à accepter devraient donner des signes de reprise, mais 2021 semble être une autre année de perdue, bien pire que 2020, qui a connu un premier trimestre agressif. Nos autres secteurs traditionnels, comme l’industrie du textile, devraient connaître une évolution positive et la dépréciation de la roupie donnera un grand coup de fouet au secteur des exportations. Le secteur de la construction restera, je pense, difficile à moins que des investissements massifs ne soient réalisés dans les infrastructures. Les services financiers demeurent notre point positif, même si la liste noire pose un problème majeur. Jusqu’ici, ce secteur a fait preuve de résilience et a continué à persévérer. À mon humble avis, il peut donner l’impulsion nécessaire à l’économie en devenant le moteur de la croissance.

«La Covid-19 a amené toutes les économies à appuyer sur le bouton de réinitialisation» – Afsar Azize Abdulla Ebrahim.

Quelles formes devrait prendre la courbe de la relance : U, L ou en forme de scie ?
 Il est difficile de donner une réponse définitive car il y a tant de choses et de variables qu’il faut considérer en même temps. J’appelle de tout mon vœu pour une croissance en courbe de crosse de hockey au cours des cinq prochaines années, mais en ce moment, la petitesse de notre économie semble bloquer la croissance. Pour une croissance réelle, nous avons besoin de capitaux, d’investissements étrangers et que des investisseurs étrangers s’installent à Maurice. Nous devrions également élargir notre marché en nous recentrant sur l’Afrique et voir comment tirer le meilleur parti d’une nouvelle stratégie. La Covid-19 a amené toutes les économies à appuyer sur le bouton de réinitialisation. Il y a de nombreux avantages que nous devons exploiter pleinement. L’un d’eux est le fait que les secteurs privé et public ont traditionnellement travaillé ensemble pour faire avancer le pays. Nous devons continuer à en tirer parti. Alors que nous avançons vers notre avenir, nous ne pouvons pas faire les choses comme dans le passé. Je pense qu’une vision claire avec une stratégie bien exécutée devrait remettre l’économie sur les rails.

Après dix mois extrêmement tendus, constatez-vous un retour de la confiance au sein de la communauté des affaires ?
Il y a effectivement eu des problèmes, mais il faut se rendre compte que le contexte mondial général est sans précédent. Comme je l’ai dit, depuis notre indépendance, nous avons vu le pays surmonter des défis incroyables lorsque les secteurs public et privé travaillaient en tandem. Cette fois-ci, je crois que c’est à nouveau le facteur clé de la réussite de Maurice. C’est un avantage concurrentiel que nous ne devons pas laisser s’éroder. Nous avons eu, depuis l’Indépendance, tant de nouveaux entrepreneurs, tant de nouvelles entreprises, tant d’emplois à forte valeur ajoutée créés et aujourd’hui, nous avons une classe moyenne croissante. En outre, nous pouvons nous appuyer sur un bassin d’entrepreneurs, de chefs d’entreprise, de professionnels qui travaillent dur ; ce sont des Mauriciens pleinement engagés. La Covid-19 a eu un impact négatif sur tout le monde, mais nous devons nous recentrer, réaligner notre intérêt commun et mettre nos efforts au service d’un objectif commun. Tout ce dont nous avons besoin, c’est de «A few good men», comme dans le film de Tom Cruise du début des années 1990 (je veux dire hommes et femmes).

«Les sites hôteliers sont très bien situés, la gestion est de classe mondiale et le niveau de service reste légendaire» – Afsar Azize Abdulla Ebrahim.

Le début de la campagne de vaccination est synonyme d’espoir et laisse entrevoir l’éventualité de la réouverture des frontières. Partant du principe que les vols aériens reprennent leurs opérations normalement à partir du second semestre, combien de temps cela prendra-t-il pour qu’on puisse à nouveau accueillir en nombre les touristes ?
Je pense que les professionnels du tourisme sont plus qualifiés pour répondre à cette question. Toutefois, je pense que tout dépendra de la réaction du marché touristique de longue distance. Les Maldives réagissent bien. Un groupe de travail réunissant les secteurs public et privé travaille d’arrache-pied pour préparer la réouverture de Maurice aux touristes. Le degré de préparation des touristes à voyager, même vers une destination ‘Covid Safe’, reste un mystère. Le visa Premium est un moyen innovant d’attirer ces professionnels qui sont très mobiles, ce qui contribuera à cimenter la nouvelle demande. Maurice reste une destination de choix, mais avec la crise de la demande, la reprise pourrait être lente car non seulement la demande pourrait mettre du temps à se redresser et à l’accélérer, mais aussi, nous devrions être prêts à accepter un rendement plus faible par chambre.

Les hôteliers sont sous perfusion depuis le début de la crise. Quatre groupes ont déjà conclu un accord avec la Mauritius Investment Corporation et devraient être recapitalisés à hauteur de Rs 8 milliards. D’aucuns craignent un possible écroulement de l’hôtellerie mauricienne du fait que sur le long terme, les opérateurs risquent de ne pas pouvoir soutenir leur niveau d’endettement ?
Les opérateurs renforcent leurs fonds propres grâce à cet exercice de recapitalisation. Ne soyons pas trop négatifs : les sites hôteliers sont très bien situés, la gestion est de classe mondiale et le niveau de service reste légendaire. La direction de ces groupes hôteliers est composée de professionnels chevronnés, qui sont bien équipés pour faire face aux difficultés actuelles. Je pense qu’avec la Mauritius Investment Corporation (MIC), le soutien des banques et l’engagement des actionnaires, la tempête dans ce secteur peut être surmontée. Le défi est de savoir combien de temps la crise va s’aggraver. Les risques commerciaux se sont aggravés avec la Covid-19 à cause d’une crise de la demande qui a augmenté le niveau de risque financier pour les entreprises qui sont fortement endettées. Trouver l’équilibre restera un exercice de jonglage, mais il y a toujours la possibilité d’apport de nouveaux capitaux ou même de cession d’actifs. Toutefois, dans le climat actuel, ces deux options équivaudront à une «distressed transaction» et donc destructrice de valeur. Les opérateurs ont la possibilité d’envisager l’horizon 2021 avec un optimisme prudent.

«Je ne suis pas sûr que nous puissions relancer l’industrie du tourisme sans Air Mauritius» – Afsar Azize Abdulla Ebrahim.

L’État tente coûte que coûte une manœuvre de sauvetage pour Air Mauritius, qui est au bord de l’agonie. Financièrement, jusqu’où pourra tenir la compagnie d’aviation nationale quand on sait qu’on a toujours très peu de visibilité par rapport à la réouverture du ciel ?
Air Mauritius est un cas d’école en soi. C’est la fierté de la nation, mais elle semble s’être développée au fil des ans sans aucune injection de capitaux et elle a continué à tirer parti de son bilan grâce au crédit-bail. Même lorsqu’elle a subi les tristement célèbres pertes sur le hedging, aucun capital n’a été injecté. C’est par le biais des flux de trésorerie d’exploitation que ces pertes ont été remboursées. D’un point de vue comptable, je pense que la situation actuelle était inévitable. Les administrateurs font un bon travail en réduisant les engagements financiers. Je ne suis pas sûr que nous puissions relancer l’industrie du tourisme sans Air Mauritius. Je pense que toute l’île Maurice espère voir les administrateurs sauver notre compagnie nationale.

La décision du gouvernement de repousser le moratoire sur les licenciements économiques jusqu’à juin prochain a permis qu’on ne se retrouve pas avec un véritable drame social. Mais qu’adviendra-t-il après la fin de ce moratoire ? Les entreprises seront-elles suffisamment consolidées pour ne pas avoir à procéder à des opérations de dégraissage ?
Donner la priorité aux personnes est une stratégie louable pour prévenir une tragédie humanitaire. Cela étant dit, certaines entreprises inefficaces et déficitaires sont actuellement maintenues artificiellement en vie au détriment des revenus des contribuables. Il n’existe pas de solution globale, car ces entreprises ne sont pas insolvables à l’heure actuelle. Elles pourraient connaître une pénurie de liquidités à la fin du moratoire, mais cela dépendra de chaque opérateur et du secteur dans lequel ils opèrent. Il est difficile de prévoir comment l’avenir s’annonce lorsqu’il n’y a pas de filet de protection, mais nous devons trouver des moyens de nous restructurer : licencier 20 personnes pour en sauver 80 ou risquer de perdre 100 personnes au total ? C’est le difficile compromis et je pense que la loi devrait être flexible afin de sauver des entreprises plutôt que des emplois. – Afsar Azize Abdulla Ebrahim

Faute de cash-flow, un nombre important d’entreprises sont en situation de détresse financière. Qu’en est-il de la demande pour des exercices de restructuration ? De quelles industries émanent-elles ?
Face à une crise majeure, toutes les entreprises doivent appuyer sur le bouton de réinitialisation. On fait face à deux problèmes : une crise de la demande et un ralentissement de la demande. Dans le premier cas, le bilan (balance sheet) doit être étayé par un rééchelonnement des capitaux propres et de la dette avec conversion du financement à court terme en financement à long terme, en tirant parti du moratoire et de la cession des actifs non essentiels. S’il s’agit d’un ralentissement, le compte de profits et pertes (Profit & loss) doit être analysé ligne par ligne en réévaluant la marge, en révisant le calcul des coûts par activité, en éliminant les déchets et en réorganisant toutes les opérations. En outre, les coûts financiers seront réduits suite à la gestion de la structure du capital. Chez KICK Advisory Services, c’est le type de stratégie que nous aidons les entreprises à mettre en place. De nos jours, les demandes sont nombreuses et proviennent de diverses industries.

Faut-il s’attendre à une hausse de la demande pour des exercices de turnaround dans les mois à venir ?
Les exercices de redressement ne doivent pas être considérés comme une évolution négative. Au contraire, ils donnent aux entreprises une chance de survie. Il existe de nombreux exemples de stratégies de redressement réussies : Apple, Fed EX, Starbucks et même Netflix. Cela dit, oui, chez KICK, nous pensons qu’il y aura une augmentation de la demande pour ce type d’accompagnement des stratégies de redressement.

«Le secteur des services financiers a tous les ingrédients pour sortir le pays de sa situation actuelle» – Afsar Azize Abdulla Ebrahim.

À Kick Advisory Services, quelle est la méthodologie que vous utilisez pour aider les entreprises en difficulté à se remettre à flot ?
Nous apportons une approche entrepreneuriale à notre solution ; ce qui est en soi très pratique. Notre méthodologie commence par la garantie que, avant tout, nous recevons des données pertinentes, opportunes et fiables. Nous mettons à l’épreuve les hypothèses de toute prévision. Nous identifions des partenaires potentiels et préparons un dossier commercial pour négocier avec les banques en vue d’une restructuration. Nous fournissons également des conseils stratégiques si nécessaire. L’évaluation de l’entreprise est un élément essentiel de nos conseils.

Comment se font vos analyses SWOT en cette période si particulière ?
 Le SWOT n’est pas la solution mais seulement un outil d’évaluation de l’entreprise. La clé, de nos jours, est d’appliquer un esprit d’entreprise et d’innovation pour trouver des moyens de remédier aux faiblesses dans le cadre de la restructuration, et de faire de même pour capitaliser sur les forces. Il s’agit de mesures à court terme et à effet rapide, tout en maîtrisant les menaces immédiates. Si l’entreprise survit, nous examinerons les opportunités.

Alors que l’île Maurice entre dans une nouvelle normalité, dans quelle mesure est-il important pour les entreprises de changer de modèle d’affaires ?
Un business model ne peut pas être statique. Souvent, les chefs d’entreprise deviennent complaisants en raison de leur succès et attendent une crise pour entamer le processus de réflexion. La Covid-19 a obligé tous les chefs d’entreprise à appuyer sur le bouton «reset». Ils ont dû s’adapter à une nouvelle norme en rendant leurs entreprises plus agiles, plus réactives aux besoins changeants du marché. Ils ont dû bâtir une main-d’œuvre résiliente, avec un état d’esprit capable de faire face à l’adversité. Le leadership entrepreneurial au niveau du conseil d’administration est primordial en cette période d’incertitude pour conduire les changements.

Dès le 1er octobre dernier, Maurice figure sur la liste noire de l’Union européenne. Jusqu’ici, l’impact sur le secteur financier bancaire et non bancaire a pu tenir le choc. En attendant le «delisting» qui ne se fera pas avant 2022, la solution pour le secteur financier passera-t-elle par sa capacité à monter en gamme et à proposer des produits et services à plus forte valeur ajoutée ?
Ne me lancez pas sur ce sujet ! Compte tenu de toutes les politiques et règles qui ont été mises en œuvre, l’inscription de Maurice sur la liste noire de l’Union européenne dépasse mon entendement. Nous connaissons tous l’hypocrisie entourant la politique de haut niveau autour de cette question particulière de la liste noire. Personne n’osera qualifier les Pays-Bas ou le Delaware de paradis fiscaux, ni même le Royaume-Uni, et je ne ferai aucun commentaire sur les raisons géopolitiques possibles de cette inscription. Mais la vérité est que le Centre international des services financiers de Maurice est bien réglementé, qu’il est géré par des professionnels de premier ordre (sauf, je l’admets, pour une poignée de cow-boys, mais ceux-ci existent dans toutes les juridictions) et qu’il est soutenu par notre système judiciaire indépendant grâce à un cadre juridique favorable aux entreprises. Les nouvelles entreprises du secteur offshore ont été constituées en sociétés pendant la période de fermeture. Cela en dit long sur la résilience de ce secteur. En fait, je crois fermement que le secteur des services financiers reste notre atout. Il dispose de tous les ingrédients nécessaires pour sortir le pays tout entier de sa situation actuelle. Sa capacité à créer des emplois et à apporter une valeur ajoutée à l’économie est phénoménale. Nous avons déjà mis en place la législation adéquate. Tout ce qu’il faut vraiment, c’est une certaine coordination de nos offres sur le marché, une réglementation légère, tout en continuant à nous conformer à toutes les normes sur le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, et une stratégie claire de «Go-to-Market». – Afsar Azize Abdulla Ebrahim

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