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Anthony Leung Shing : «Les recettes fiscales de l’état sont surestimées d’environ Rs 10 millards»

Le Ministre des Finances entend relancer la machinerie économique en tablant sur l’effet multiplicateur découlant d’une solide reprise de la consommation. Est-ce la bonne approche ? Décortiquant le budget 2021-2022, le Country Senior Partner de PwC est d’avis que dans la conjoncture actuelle, il fallait prioriser la relance de l’appareil productif. Anthony Leung Shing se demande par ailleurs si les estimations du Grand Argentier par rapport aux recettes fiscales qui seront collectées lors de l’exercice fiscal 2021-2022 sont réalistes.

 Le ministre des Finances a présenté un Budget qui s’inscrit dans la continuité de la philosophie de ce gouvernement, c’est-àdire se concentrer sur le développement humain pour amener le développement économique. Est-ce que l’exercice est réussi ?

Dans les grands thèmes du Budget, nous retrouvons beaucoup de projets d’infrastructures ainsi que des projets sociaux. Ces thèmes étaient déjà présents dans le précédent Budget et c’est là une continuité. Au total, Rs 65 milliards seront investies dans des projets d’infrastructures, notamment des barrages hydrauliques, des drains, des routes, des complexes sportifs ainsi que des logements sociaux. La philosophie de ce gouvernement est clairement de mettre l’humain au cœur de son Budget, qui a une forte dose sociale, mais je pense qu’il aurait fallu privilégier la croissance. Car sans croissance économique, sans prospérité, nous ne pouvons nous aventurer vers le social. C’est la croissance qui va financer le social et le développement humain, et pas nécessairement l’inverse. Concrètement, la stratégie du ministre des Finances pour dynamiser l’économie s’articule autour de trois axes: stimuler l’investissement, rebâtir la confiance et créer de nouveaux piliers. Toutefois, j’ouvre ici une parenthèse à propos des gaspillages. Je suis d’avis qu’il fallait privilégier l’investissement vers des actifs productifs. Je crois dans une croissance inclusive. Mais estce que nous avons besoin de complexes sportifs en cette période de crise ? Ce sont des projets qui auraient pu être décalés. Il aurait mieux fallu dépenser et canaliser cet argent pour créer de la valeur et des investissements dans des créneaux plus porteurs. Je ne vois pas, non plus, la pertinence de dépenser autant que Rs 100 millions pour sensibiliser le monde entier au détachement illégal des Chagos de la République de Maurice.

Donc, la priorité aurait été de privilégier la relance de l’appareil productif…

Effectivement. Nous essayons de privilégier la consommation, mais celleci est un produit du succès économique. Il ne faut pas se servir de la consommation pour amener la croissance.

Selon certains observateurs, ce Budget a des allures d’un «No tax Budget». Vos commentaires ?

Dans l’ensemble, ce Budget ne fait pas provision pour de nouvelles taxes. De plus, on n’a pratiquement pas annoncé d’augmentation de taxes. Cela peut donner l’impression d’un semblant de No tax Budget. Mais s’il n’y avait pas la taxe, il n’y aurait pas eu ce Budget. Il faut savoir que c’est la hausse des recettes fiscales qui finance les dépenses publiques. Globalement, les recettes fiscales, incluant les contributions sociales collectées par l’État pour le prochain exercice financier, augmenteront de 34%. On relève d’abord une hausse de Rs 6,5 milliards des taxes collectées à travers les sociétés ou l’impôt sur les individus. Cela représente une augmentation de 27 %. Au niveau de l’impôt sur les produits et les services (dont la principale composante est la TVA), une provision additionnelle de Rs 20 milliards est faite dans le Budget, ce qui représente une hausse de 35 %. Quant à la CSG (Contribution sociale généralisée), elle ramènera Rs 3 milliards. Soit 50 % d’augmentation comparé à l’année dernière. Il faut savoir que 2020 était une période de transition et 2021 sera la full year de la CSG. Analysons maintenant la composition de cette hausse de 34 % des recettes fiscales. De prime abord, on constate que la consommation est en train d’être privilégiée. Et derrière, il y aura pas mal de subventions, ainsi que le PRB, qui aideront à cette consommation. En analysant les dépenses courantes du Budget, on peut voir qu’il y a encore beaucoup de fonctionnaires, dont des policiers, qui seront recrutés. De plus, les compensations payées aux fonctionnaires augmenteront de 10 %, ce qui n’est pas négligeable. Là, il faut faire remarquer qu’un meilleur service provenant du secteur public ne passe pas nécessairement par une augmentation du personnel. Une meilleure fonction publique et un meilleur service se traduisent à travers la digitalisation et l’automatisation des services pour des prestations 24/7.

On a le sentiment que le gouvernement base ses projections fiscales sur l’hypothèse que l’inflation va grimper et que les prix des produits de consommation courante vont augmenter, ce qui aura un effet indirect sur la TVA. Partagez-vous cette analyse ?

Il y a certes une partie de cela, mais je crois aussi que le gouvernement a un peu forcé ses estimations. Quand vous faites le calcul du pourcentage des revenus collectés par rapport au PIB, et que vous les comparez à la période préCovid-19, celui-ci était environ de 19 % pour l’année fiscale 2018-2019. Et si vous regardez le pourcentage des recettes fiscales de l’État par rapport au PIB pour l’année 2021-2022, celui-ci s’élève à 22 %. Ce qui veut dire que le ministre des Finances a effectivement forcé les estimations de 19 % à 22 %.

Nous sommes donc dans l’expectative et il est possible que ces projections ne se matérialisent pas dans le temps…

Exactement. En période pré-Covid-19, le ratio des recettes fiscales par rapport au PIB était à peu près de 19 %. Nous étions en période de pleine croissance. Battre ce taux en 2022 me paraît un peu optimiste. Et si nous prenons le taux de 19 %, qui était à peu près la même chose pour la période pré-Covid-19, nous voyons que potentiellement les recettes fiscales de l’État sont surestimées d’environ Rs 10 milliards. Si l’effet multiplicateur de cette consommation ne se matérialise pas, nous aurons un déficit budgétaire plus lourd de ce qui a été anticipé. Sans ce dynamisme économique, sans ce dynamisme en termes de consommation, le risque est gros. Si l’on se base sur le dernier Household survey, on constate que les ménages ont du mal à rembourser leurs dettes. C’est donc un gros challenge.

Le ministre des Finances émet l’hypothèse que nous pourrons accueillir 650 000 touristes. Dans quelle mesure, la réouverture des frontières vat-elle permettre de déverrouiller la croissance ?

Déjà, le Wage Assistance Scheme pour le secteur touristique a été étendu jusqu’en septembre 2021. Si l’on se fonde sur les rapports internationaux, le secteur touristique ne va pas reprendre dans sa forme préCovid-19 jusqu’en 2024. Ce qui fait qu’il y aura une période encore assez longue où il faudra soutenir dans une certaine forme l’industrie touristique qui n’opérera pas nécessairement à 100 %. Il y a donc de grandes questions sur ce qui va se passer après septembre en termes de soutien et aussi sur la façon dont va se faire la reprise. Cela dit, la réouverture des frontières va automatiquement entraîner une certaine flexibilité. Mais est-ce que cela va permettre d’amener 650 000 touristes ? Personne ne le sait. Si on prend l’exemple des Seychelles, les arrivées touristiques pour les derniers mois n’ont pas atteint le niveau pré-Covid-19. Atteindre 650 000 touristes me paraît très optimiste. D’un autre côté, je pense que nous ne pourrons pas éviter les licenciements dans ce secteur. Il est difficile de concevoir que les hôteliers puissent garder tout leur personnel pendant deux ou trois ans jusqu’à une reprise complète de l’industrie. Il faudra donc voir comment ces gens pourront être déployés vers d’autres secteurs en attendant une reprise. Actuellement, leWage Assistance Schemepermet de garder les employés, mais cela a artificiellement masqué le taux de chômage. Aujourd’hui, le gouvernement est effectivement en train de soutenir les hôteliers, mais si la demande ne vient pas et que les touristes n’arrivent pas en nombre, ce sera difficile de soutenir la charge. Il faudra privilégier un marché libre, laisser aux entreprises faire leurs analyses de marché et leurs estimations sur leurs besoins en termes de personnel lors des prochaines années pour pouvoir soutenir la demande et être compétitif. À mon avis, les opérateurs ne seront pas en mesure de continuer à subir les coûts opérationnels, tout en espérant un rétablissement à 100 % dans deux ou trois ans. Il faudra potentiellement alléger le secteur endéployant une partie du personnel surnuméraire vers d’autres créneaux pendant cette période. Je ne crois pas, non plus, que le gouvernement pourra continuer à ce rythme pendant deux ou trois ans. D’un autre côté, il y a une appréhension par rapport au fait que les vaccins que nous avons à Maurice ne soient pas approuvés à l’international. Tout cela va poser une barrière à la rapidité à laquelle les touristes vont venir. Donc, dans un certain sens, le chiffre de 650 000 touristes sera un objectif difficile à atteindre la première année.

“C’est la croissance qui va financer le développement humain”

Le Grand argentier table sur la création de deux nouveaux piliers, le secteur pharmaceutique et l’économie verte. Un capital de départ de Rs 1 milliard sera accordé au Mauritius Institute of Biotechnology pour l’implantation d’une usine de production locale de vaccins contre la Covid-19 et d’autres vaccins. Y croyez-vous ?

Considérons d’abord l’énergie renouvelable. Celle-ci représente pour le moment 24 % de notre consommation d’énergie totale et l’objectif du gouvernement est d’atteindre les 60 % d’ici à 2030. Cet objectif fait sens, car la demande est là. Avec la croissance économique, cette demande va s’amplifier davantage. Maurice a toutes les ressources nécessaires – le soleil, le vent, les vagues – pour fournir cette énergie. En sus de cela, la technologie est beaucoup plus abordable qu’elle ne l’était il y a cinq ans. Aujourd’hui, les panneaux photovoltaïques ont baissé en coût de production et la technologie est devenue beaucoup plus accessible . Même au niveau des foyers , les gens recherchent des sources d ’énergie alternatives. Et le développement économique à long terme devra se faire d’une façon verte, intégrée et soutenable. Continuer avec le charbon ou le carburant sur le long terme va certainement nuire au développement soutenable de l’économie. Les tendances à l’international poussent vers le durable, et le secteur privé en est conscient. Le Green apportera de surcroît une valeur plus distinctive à la destination mauricienne. Pour l’industrie pharmaceutique, les choses sont un peu plus compliquées. Le pays a pu attirer certains groupes internationaux comme Aspen, et je crois qu’avec l’aide de ces multinationales, cela peut se faire plus facilement parce que ces groupes comprennent l’écosystème, les capacités et les compétences mauriciennes et elles peuvent nous aider à lancer cette économie. Mais ce n’est pas une industrie facile. Celle-ci est compétitive et demande une expertise pointue et le gouvernement devra s’appuyer sur la connaissance, lesmultinationales et des experts qui pourront ramener cette compétence ici. À PwC, nous pensons que le rôle du gouvernement est d’agir comme un facilitateur pour mettre en place le système et le cadre afin d’inciter les opérateurs privés et économiques à opérer. C’est au secteur privé d’encourir les investissements.

Dans le cas du projet de création d’une usine de fabrication de vaccins, l’objectif est de mobiliser des investissements assez rapidement car il s’agit de répondre à des impératifs à court et moyen termes. Pourrat-on le faire ?

Essayer de s’engager dans une vision à court terme parce que nous avons besoin de vaccins est trop brusque. Si nous voulons créer une industrie – à moins qu’il y ait déjà des projets –, il faudra une vision à long terme et non pas se focaliser sur une filière de fabrication de vaccins de la Covid-19. Les impératifs sont nombreux. Il y a tout d’abord l’investisseur lui-même; il faut qu’il soit intéressé à venir s’installer ici. Deuxièmement, cela se joue au niveau de l’expertise, des connaissances que nous devrons importer. En outre, il y a le cadre légal qu’il faut mettre en place. À l’heure actuelle, est-ce que notre cadre juridique permet ce genre d’activité ? Cette industrie comporte également la question des essais cliniques très poussés. Je me pose la question : sommes-nous prêts pour tout cela ?

Ce Budget donne-t-il de la visibilité sur l’avenir ?

C’est une bonne question. Je crois que l’avenir reste toujours incertain quant à la reprise. Toutefois, il y a certains éléments qui sont quand même intéressants et qui donnent de l’espoir. Tout d’abord, depuis des années, nous demandions des mesures telles que l’ouverture de l’économie pour attirer les investisseurs et les talents. Il est encourageant de constater que les Occupation permits ont été étendus à dix ans. Alors que les conjoints de détenteurs d’Occupation permits pourront également travailler sans besoin de formuler une demande. Tout cela déjà démontre une ouverture, une volonté de regagner notre attractivité à l’échelle internationale, que nous avions un peu perdue ces dernières années. Je suis conscient que ces mesures avaient été annoncées l’année dernière. Mais elles n’ont pas été mises en œuvre. J’espère que cette fois, les choses vont aboutir avec une législation concrète. Parce que l’année dernière, les mesures annoncées avaient généré pas mal de demandes et d’intérêt, mais par la suite, notre image a pris un coup parce que c’était juste un effet d’annonce. Je trouve aussi intéressant le nouveau Premium Investor Certificate qui vient accorder des exonérations fiscales sur différentes périodes, jusqu’à huit ans dans certains secteurs. Cela ouvre la porte à des discussions où les investisseurs peuvent négocier des incitations qui sont spécifiques à certains besoins. Cela donne surtout une certaine certitude au niveau de la position de ces entreprises dès qu’elles viennent à Maurice, et c’est une bonne chose. Autre mesure qui donne un certain optimisme : les incitations accordées aux étudiants étrangers.

Il y avait toujours un manquement à cette proposition d’économie du savoir où nous voulons attirer les Africains et les étudiants internationaux à Maurice pour leurs études. Dorénavant, après trois ans d’études, ils pourront rester dans l’île jusqu’à une période de dix ans. Cette logique d’aller vers plus d’ouverture est certainement la voie à suivre pour Maurice. Nous sommes une petite île qui n’a pas de ressources, la population est également vieillissante et nous sommes dépendants de cet investissement direct étranger à venir. Quand nous accueillons des personnes avec des talents, il en résulte un effet multiplicateur sur l’économie.

“La consommation est un produit du succès économique

Peut-on dire que le Budget vient redonner confiance au secteur privé et pourrait l’inciter à investir ou à être partie prenante des stratégies de partenariat public-privé ?

La difficulté de ces dernières années a été potentiellement axée sur le nombre de changements au niveau des lois, des charges sociales, de la Solidarity tax. Tout cela a poussé vers une augmentation du coût opérationnel des entreprises. Non seulement les coûts ont augmenté, mais cela a amené une certaine perte de confiance à travers un manque de stabilité et de certitude au niveau de la direction et la philosophie de l’État. Il y avait beaucoup de craintes avant le Budget, par exemple quant à l’éventualité de l’introduction de nouvelles taxes.

Et toutes ces craintes, ces peurs, ces incertitudes ne permettent pas d’avoir confiance dans l’économie. Je crois que le fait qu’il n’y ait pas de grands changements est un bon signe parce que cela vient rebâtir la confiance qui s’était effritée. Maintenant, il faudra voir de quelle manière s’articulera cette coopération entre le gouvernement et le secteur privé. J’ai vu dans ce Budget qu’il y a des éléments de partenariat, notamment, au niveau de l’Urban terminal. C’est un pas dans la bonne direction pour restaurer la confiance.

Dans une déclaration antérieure, Renganaden Padayachy a fait ressortir qu’avec la pandémie, Maurice a perdu cinq ans de ses richesses accumulées. Ce Budget jette-t-il les bases pour une relance de la croissance économique positive et forte ?

La conjoncture économique actuelle est telle que nous ne pouvons nous appuyer sur deux nouveaux piliers de diversification pour un miracle économique. La pandémie est un poids qui pèse lourd sur l’économie. Et si certains secteurs existants, tels que les Tic et le secteur financier, n’ont pas été trop impactés, d’autres secteurs comme la manufacture et le tourisme ne fonctionnent pas à plein régime. De ce fait, ce regain de dynamisme va prendre un certain temps. Aujourd’hui, on ne veut accentuer les efforts que sur seulement deux piliers pour redynamiser l’économie en entier. Je ne pense pas que cela pourra se faire. Il y a d’abord un besoin de redynamiser l’économie existante, soit les piliers existants tout en poussant vers de nouveaux piliers. C’est tout un ensemble qui va ramener ce dynamisme. Tout doit fonctionner pour que la machinerie redémarre. Si on veut s’appuyer sur des piliers en isolation, cela ne marchera pas.

La Banque mondiale, dans son dernier rapport sur Maurice, a souligné la nécessité pour le pays d’initier une nouvelle génération de réformes pour adresser des problèmes structurels auxquels l’économie mauricienne faisait face avant la pandémie. Il semblerait que ces réformes ne soient pas présentes dans ce Budget…

Certains éléments nous montrent qu’il y a une certaine diversification qui est en train de se faire. Par exemple, je suis d’accord que dans le secteur touristique, il n’y a pas vraiment eu cette refonte. Actuellement, la philosophie, c’est de rouvrir les frontières en espérant que les touristes viendront avec la même proposition de Sun, Sea and Sand qu’auparavant. Or, déjà avant la Covid-19, il y avait un besoin de repenser cette valeur et le positionnement de Maurice. Cette réflexion doit encore être poussée au niveau du Green tourism. Et ce côté secteur énergétique n’est pas juste un secteur en lui-même ; il y a un effet parallèle qui va donner potentiellement au secteur touristique une impulsion. Au niveau du secteur financier, on constate qu’il y a eu quand même une certaine croissance durant la période de pandémie, mais la situation est quand même difficile. On connaît les problématiques au niveau du Groupe d’action financière (GAFI) et de la liste noire de l’Union européenne. J’estime que le temps de réaction, ainsi qu’au niveau de l’implémentation pour sortir de cette liste a tardé. La refonte au niveau du secteur financier pour monter en valeur ajoutée tarde à venir. Il y a eu beaucoup d’annonces, beaucoup de plans, mais maintenant, il faut faire bouger les choses.

Le déficit budgétaire s’élèverait à Rs 24,6 milliards, soit l’équivalent de 5,6 % du PIB, alors que le niveau de la dette publique est de 91 %. Fallaitil reléguer au second plan la question d’assainissement des finances publiques au profit de la relance ?

À l’échelle internationale, tous les pays sont confrontés à une dette excessive. Certains ont même dépassé les 100 %. Vu la conjoncture économique actuelle et les mesures extraordinaires qui ont dû être prises par les banques centrales, on ne pouvait que se retrouver dans cette situation aujourd’hui. Mais cela ne veut pas dire que nous devons y rester. Les gouvernements ont dû prendre des actions pour contenir les effets de la pandémie, mais ce qui est plus important, c’est de pouvoir sortir de là. Et il n’y a pas mille façons. Soit nous privilégions la croissance pour permettre une augmentation de recettes  grâce à l’effet multiplicateur de cette croissance – pour payer la dette publique, soit nous devrons contenir les coûts pour pouvoir augmenter le différentiel entre les revenus et les coûts. Nous pouvons réduire les coûts jusqu’à une certaine limite, mais nous ne pourrons réduire les coûts à zéro. Il faut donc un équilibre. Il s’agit de pousser la croissance économique pour pouvoir augmenter les revenus de l’État. Dans le même temps, nous devons prôner une gestion rigoureuse des services publics. C’est ainsi que nous pourrons à long terme réduire la dette publique. Il est important que le taux de croissance soit supérieur au taux d’intérêt. Car la dette publique a un coût. Par exemple, si le taux d’intérêt sur la dette publique est de 2 % et que nous avons une croissance de 1 %, cela veut dire que cette croissance n’est pas suffisante pour payer la dette. Si nous avons une croissance de 5% et que le taux d’intérêt à 2 %, il y a plus de marge de manœuvre pour payer non seulement les 2 % d’intérêt, mais pour payer le capital aussi.

Les choses vont être plus compliquées si les taux d’intérêt commencent à grimper. Il faut aussi gérer le coût des services publics : éviter les gaspillages et donner priorité à certains projets. Il faut arriver à lier ce coût et les investissements à la création de valeur. Est-ce que ces coûts que nous sommes en train d’encourir et ces projets que nous réalisons vont vraiment amener une croissance ? Et est-ce que cette croissance va être plus forte que le taux d’intérêt ? Si la réponse est oui, alors nous pouvons nous lancer. Donc, l’endettement doit contribuer à générer plus de croissance. Je pense que par rapport aux coûts des services publics, nous pouvons commencer à mettre de l’ordre. Il y a certains éléments de gaspillages que nous pouvons déjà résoudre. S’agissant de la consolidation fiscale, il ne s’agit pas d’aller vers une augmentation de la taxe. Je pense qu’elle causerait plus de dommages que de bien à un petit pays comme Maurice. Notre attractivité dépend aussi de cette souplesse. Si nous voulons contenir les coûts avec une croissance économique et qu’on lie tout cela ensemble, nous n’aurons pas besoin de consolidation fiscale ou d’augmentation de la taxe. L’endettement n’est pas nécessairement un problème tant qu’il y a un retour sur l’investissement. Nous n’avons pas besoin d’attendre la fin de la pandémie pour cela.

“Quand nous accueillons des personnes avec des talents, il en résulte tout un effet multiplicateur sur l’économie”

Pour atteindre un revenu par habitant de plus de 12 000 dollars, il faudra une croissance économique de plus de 6 % et avec les secteurs actuellement touchés par la Covid-19, les analystes estiment que nous aurons besoin d’un investissement privé équivalent à environ 43 % du PIB. Avec l’éventuelle création de deux nouveaux piliers économiques comme annoncé dans le Budget, pourra-t-on sur la durée espérer un tel niveau de prospérité économique ?

Je reviens à ce que j’avais dit précédemment, à savoir que la croissance et la prospérité du pays ne seront pas déterminées par un ou deux secteurs. Notre succès a été bâti sur le fait que nous avons été une économie diversifiée. Grâce à cette diversification, nous avons pu soutenir tous les chocs financiers. C’est cette diversification qui va nous aider à continuer à avoir cette prospérité. Mais il ne faut surtout pas laisser tomber les piliers existants. Il faut continuer cette refonte, ce renouvellement et cette évolution afin de se réinventer. C’est le cas pour le tourisme, le secteur financier et même pour le secteur manufacturier. Ce ne sont pas des secteurs qui sont en fin de vie. Il y a des créneaux de niche à exploiter ; il suffit de les trouver.

Donc, tôt ou tard, il faudra repenser notre modèle de développement…

Oui, parce qu’être un pays à revenu élevé veut aussi dire que notre coût de vie augmente. Par conséquent, nous ne pouvons pas continuer avec un modèle économique qui essaie de privilégier l’arbitrage de coût. L’arbitrage de coût devra à un certain moment cesser parce que nous ne serons pas toujours les moins chers alors que notre coût de vie est en hausse. Donc, il faudra une évolution de la valeur ajoutée. C’est cela qui va permettre d’absorber les coûts additionnels.

Ne pensez-vous pas que cette problématique devrait être adressée aujourd’hui alors que nous sommes dans une période de crise ? Et que cela nous amène à nous repenser ?

Je crois surtout que quand quelqu’un est en train de se noyer, il faut avant tout lui tirer la tête hors de l’eau. Et là, on se noie ! Donc, il faut se stabiliser, sortir la tête hors de l’eau ; puis penser plus loin et nager. C’est la seule façon de survivre.

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