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Anthony Leung Shing : «Trouver l’équilibre entre l’économie et le social»

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Anthony Leung Shing : «Trouver l’équilibre entre l’économie et le social» | business-magazine.mu

Les législatives sont derrière nous. Pravind Jugnauth a été reconduit pour un second mandat. D’ores et déjà, le Premier ministre a promis que sa politique s’inscrira dans la continuité. Quelle est votre analyse ?

Il y a deux volets à cela, l’un économique, l’autre politique. Des gens s’attendaient à du changement. Mais il y a beaucoup d’enjeux et on sait ce qui s’est passé. Je ne vais pas commenter l’aspect politique.

Pour revenir à ce gouvernement, il a, dans l’ensemble, été très social dans sa philosophie et son approche. On voit l’augmentation de la pension de vieillesse, le salaire minimum, l’impôt négatif et tout le côté de l’allègement de la fiscalité concernant la classe moyenne.

Si on jette un regard plutôt sur les perspectives économiques et les priorités de ce gouvernement, vu qu’ils ont été réélus, il y a une certaine stabilité et une certitude. Maintenant, il faut valoriser et prioriser une relance de l’économie et la croissance pour relever les défis auxquels ce pays fait face en ce moment.

Le gouvernement a misé sur la consommation et les dépenses au niveau de l’infrastructure pour une relance de l’économie. Et toute l’injection de capital dans l’économie a un effet sur le taux de croissance. Il faut toutefois se demander si cela a un effet soutenable sur le long terme.

On met beaucoup l’accent sur le social, le partage et l’allègement de l’inégalité. Or, si on ne grossit pas le gâteau, c’est-à-dire le produit intérieur brut, si on ne grossit pas la richesse du pays, quel type de partage allons-nous faire? Le social est un aspect non négligeable. Toutefois, il faut maintenant venir soutenir ces mesures sociales. C’est cela mon analyse.

Alors que l’on aborde la prochaine décennie, quel bilan faites-vous de l’économie ?

Pour faire ce bilan, il est important de se référer aux indicateurs. La croissance était stagnante ces dernières années. Un taux de 3,8 % reste honorable quand l’on se compare à d’autres pays. Mais nous avons une ambition très forte d’être un pays à revenu élevé. Nous avons besoin d’un taux de croissance au-delà de 5 % pour pouvoir arriver à cela.

On a entendu plein de commentaires sur la dette publique. J’étais moi-même très critique car on atteignait les 65 %. Si on inclut d’autres dépenses, cela passe à hauteur de 70 %.

Si on regarde le chômage, il y a eu une tendance baissière avec un taux de 6,8 % en 2019. On a peut-être un degré de confort. Mais quand on considère le chômage chez les jeunes, c’est significatif: on est à plus de 20 %! La situation est inquiétante au vu de l’incapacité de l’économie d’absorber ces jeunes.

Si on regarde l’économie dans sa globalité, on constate qu’il y a une érosion de la compétitivité avec le salaire minimal. L’écart entre la production et les salaires continue de se creuser.

Le contexte reste difficile. Il y a un manque de dynamisme dans l’économie. On peut le constater à travers les investissements étrangers qui tournent autour de 20 %. Il y a une tendance à la hausse de l’investissement public. Selon les derniers chiffres, l’investissement privé se situait à 65 %, contre 35 % pour l’investissement public. Alors que l’année dernière, l’investissement privé s’élevait à 75 %.

Il faut peut-être attribuer cette tendance au fait que nous étions en campagne électorale. Une période pendant laquelle l’État a investi massivement dans les infrastructures et où le privé a adopté une posture attentiste…

Oui, c’est la tendance générale. Mais il ne faut pas oublier que l’investissement public sort de l’écosystème et des opportunités qu’il offre. Quant à l’investissement privé, il était surtout canalisé dans l’immobilier. Ainsi, on est en droit de s’interroger sur la qualité des investissements.

À l’approche des élections générales, il y a certes eu de l’attentisme de la part du secteur privé, mais il est important d’avoir une politique de croissance qui puisse dynamiser les secteurs économiques. Ce manque de dynamisme au niveau de l’activité économique freine l’investissement privé.

Au premier semestre, sur les Rs 10,68 milliards d’investissements directs étrangers, l’immobilier s’est taillé la part du lion avec un montant de Rs 9,56 milliards contre seulement Rs 102 millions dans le secteur manufacturier. Quelle est votre lecture ?

L’investissement immobilier est tangible et palpable. Toutefois, ces investissements ne sont pas productifs. Ce sont des investissements ponctuels qui ne vont pas continuer sur le long terme.

Ce gouvernement a vraiment misé sur la consommation pour revigorer la croissance. Ce n’est pas, non plus, une politique soutenable sur la durée. Je pense que dans le cas de certaines économies où il y a une forte base manufacturière, une politique visant à promouvoir la consommation peut faire sens. Car indirectement, cela bénéficie au secteur manufacturier local avec un effet multiplicateur sur l’économie. Mais, à Maurice, vu que notre consommation est axée sur l’importation, les flux de bénéfices ne vont pas forcément vers la multiplication dans notre économie. C’est pour cela qu’avec un investissement majoritairement dirigé vers l’immobilier, la compétitivité de l’économie est impactée ➲ à long terme.

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Lors de votre analyse du Budget 2019-2020, vous évoquiez trois facteurs à améliorer : l’inefficience de la fonction publique, les goulots d’étranglement structurels et l’écart au niveau de la productivité du travail…

Pour le développement économique d’un pays, il est très important de développer tout l’aspect administratif, le fonctionnement des institutions de l’État et la gérance et la bonne gouvernance.

Au niveau des pôles de croissance, il faut souligner la performance du secteur financier qui croîtra d’environ 5 % en 2019. Le fait que Maurice a engagé des réformes fiscales et qu’on a été enlevé de la liste grise de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) est une bonne chose pour le pays.

Mais quand on voit le fonctionnement de certaines institutions comme l’Economic Development Board (EDB) et la Financial Services Commission (FSC), il y a encore une marge d’amélioration. Aujourd’hui, le pays fait face à des difficultés d’image. En dépit des réformes fiscales, on a beaucoup de mal à se détacher de cette image de paradis fiscal. Beaucoup d’investisseurs ou de gens qui ne connaissent pas Maurice ont cette perception. Et cela fait du mal au pays.

La crainte de l’investisseur qui veut venir, c’est ‘comment cela sera-t-il perçu’ par la communauté globale, les autorités fiscales et la communauté des investisseurs. Il y a tout le côté diplomatique à travailler, ainsi que la communication, le branding et la cohérence du positionnement de Maurice comme plateforme d’investissement.

Par ailleurs, concernant le tourisme, notre stratégie de promotion de la destination a été payante. Au-delà de cet aspect, il faut voir la cohérence au niveau des institutions, des organismes et de l’aspect administratif de l’État.

Dans quelle mesure la bonne performance de Maurice dans le classement sur la facilitation des affaires devrait-elle permettre d’attirer les capitaux étrangers ?

Maurice est classé 13e mondialement et se rapproche du Top 10 en matière de facilitation des affaires. C’est une fierté nationale ; quelque chose d’inouï et d’extraordinaire pour un petit pays. Il faut capitaliser sur cet écosystème qu’on a établi et promouvoir et attirer les investisseurs.

Il faut aussi comprendre que l’Ease of Doing Business peut cacher une autre perspective de la réalité. Il y a des indicateurs qu’on prend en considération comme la facilité de mettre en place un nouveau business, d’avoir du crédit, d’avoir les permis de construction et de payer les taxes. Mais on ne mesure pas nécessairement le bon fonctionnement des organisations et des institutions, les délais pour obtenir les licences, les délais de prise de décision et la rapidité d’exécution, entre autres.

Comme je l’ai dit, c’est une fierté. Mais il ne faut pas que ce rang nous donne un faux degré de confort et de sérénité car, à l’arrière, il y a peut-être une réalité pratique qui est cachée, une réalité de terrain à laquelle les opérateurs sont confrontés. Il est important de poursuivre ce travail sur la facilitation des affaires et d’aller au-delà des indicateurs établis par l’Ease of Doing Business. Je fais ici référence au fonctionnement des institutions de l’État, à la digitalisation des services étatiques dans une optique d’efficience.

Certains entrepreneurs estiment qu’il faudrait instaurer un one-stop shop à Maurice. Vos commentaires ?

L’EDB a été créé avec la vision d’être cet one-stop shop. Pour les investisseurs, cela aide d’avoir un point de contact qui facilite les affaires et l’intégration et l’implantation à Maurice. Avant tout, un investisseur recherche la rapidité d’exécution. Peu importe que cela se fasse à travers un onestop shop ou différentes institutions, le plus important, c’est que les permis soient octroyés rapidement. 

Quel regard jetez-vous sur les 15 mesures phares du manifeste de l’Alliance Morisien ?

Il y a beaucoup de mesures sectorielles qui sont dans la continuité. Mais ce qui manque dans le manifeste et qui est pourtant important pour l’économie du pays, c’est une section sur le secteur financier. C’est un pilier de l’économie. 

Depuis des années, on parle souvent de la nécessité de diversifier l’économie. Or, dans les faits, des secteurs comme l’économie bleue tardent à se développer…

Il est vrai que le potentiel de l’économie bleue n’est pas pleinement exploité. Le nouveau gouvernement évoque le développement de cette industrie dans son manifeste. Je pense qu’il y a encore des opportunités à saisir. Si nous n’avons pas les compétences, il faudra conclure des joint-ventures, mais il est nécessaire que le gouvernement retienne les droits d’exploitation.

Comment accueillez-vous la nomination de Renganaden Padayachy aux Finances et de Mahen Seeruttun aux Services financiers ?

Ce sont deux ministères à part entière. Ils doivent travailler ensemble avec une vision commune. Par exemple, la mise en œuvre du blueprint sur le secteur financier nécessitera l’apport des deux ministères. Souvent, la vision est claire. Mais le mal est souvent dans l’exécution du programme, qui est toujours difficile.

Le ministre des Finances aura la responsabilité de mettre en œuvre une politique fortement sociale. Que faut-il attendre de Renganaden Padayachy ?

Le gouvernement a été très social dans son approche. Personnellement, je n’ai pas eu d’interaction directe avec le ministre Padayachy. Mais je crois comprendre, d’après ses interventions publiques et ses entretiens, qu’il partage cette vision sociale du gouvernement. Que ce soit au niveau de l’allègement de l’inégalité sociale, l’amélioration du pouvoir d’achat, il doit avoir des idées et des objectifs. Je crois qu’il faut s’attendre à une politique d’intervention pour pallier les incohérences de l’économie de marché, et ce, dans l’optique de promouvoir l’intégration sociale. On a eu la démonstration avec le salaire minimal et la pension de vieillesse.

Relever la taxe serait-ce la solution pour soutenir ces mesures sociales ?

C’est vers quoi on se dirige. De manière générale, c’est la TVA (taxe sur la valeur ajoutée) qui concentre le gros des recettes fiscales. Je l’ai dit dans le passé : pour alléger la pauvreté, il faut mieux gérer les finances de l’État à travers le ciblage. Le ciblage est compliqué, mais avec la digitalisation des services et l’administration de l’État, c’est possible! Je crois qu’il faut aller dans cette direction.

L’une des solutions serait de relever la Corporate tax…

Si on augmente la taxe corporative, cela débalancera l’équation. Dans les pays développés comme l’Angleterre, il y a une tendance à la baisse de la Corporate tax car on voit l’effet multiplicateur, au niveau de l’innovation et de l’investissement. Il faut avoir un équilibre entre augmenter les recettes fiscales et garder ce dynamisme. Cet équilibre va être compliqué. Car le gouvernement a une forte vocation sociale. Et le ministre des Finances partage plus ou moins cette philosophie. Il aurait fallu équilibrer un peu plus la philosophie politique et économique.

Pravind Jugnauth a fait le choix de constituer un Cabinet élargi avec 24 ministères. Vos commentaires ?

Cela peut rassurer qu’il y a une réflexion profonde et dédiée à ces ministères. Mais autant de ministères peut donner lieu à de l’inefficience et de l’incohérence sur le plan de la stratégie et de la politique économique.

Le progrès du pays, c’est l’affaire de tout le monde. Il y a une mouvance qui se dessine au Rwanda et en Éthiopie. Ainsi, dans le cadre de l’initiative civique Umuganda, les Rwandais consacrent le dernier samedi de chaque mois au nettoyage du pays. Maurice ne gagnerait-il pas à s’en inspirer ?

Nettoyer le pays, faire avancer les choses : tout cela vient de ce sens de patriotisme, de ce sens de désir de faire progresser l’économie. Quand on parle de faire avancer le pays, tout vient de l’envie. Cela part aussi du principe qu’il faut promouvoir le développement durable. À Maurice, que ce soit dans le tourisme et le secteur manufacturier, la notion de d’écologie est de plus en plus présente. Nous devons continuer à promouvoir Maurice comme une île durable. Il faut que chacun sente le désir de garder une île Maurice propre, une île Maurice d’avenir, qui va continuer à progresser. 

L’avenir se trouve en Afrique, dit-on ! Comment se met en place la stratégie africaine ?

L’Afrique compte plus de 1,2 milliard d’habitants. Le continent dispose d’une classe moyenne émergente, ce qui représente un énorme potentiel. Maurice s’est positionné en tant que plateforme en Afrique, non seulement sur l’aspect des affaires, mais aussi en tant que passerelle entre l’Asie et l’Afrique. Nous avons de véritables opportunités sur le continent. Tenant compte des dernières statistiques, il y a la plateforme d’investissement en Afrique qui a pris de l’ampleur. En moyenne, une centaine de compagnies sont incorporées chaque mois à Maurice. Et 60 % d’entre elles sont tournées sur l’Afrique.

Jusqu’ici, l’intégration est la base de notre succès sur le continent. Nous avons signé des conventions fiscales et des conventions sur la protection des investisseurs. Au-delà de cela, je vois l’importance de notre intégration au niveau de la SADC et du COMESA. Cela nous donne accès à un marché de libreéchange. Le développement de Maurice sur le continent se fait en participant et en étant signataire de ces zones de libre-échange. Cela permet de capitaliser sur ces opportunités. Nous pourrons utiliser tout un écosystème : la facilitation des affaires, notre système financier et bancaire et une main-d’œuvre qualifiée.

Qu’est-ce que le contexte international vous inspire ?

Dans ses prévisions, le Fonds monétaire International (FMI) table sur une croissance globale de 3 %, soit le taux le plus bas depuis la crise de 2008. Les frictions et tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine et les incertitudes liées au Brexit ont eu un impact sur la zone euro et provoqué un ralentissement des économies allemande et italienne. Cette conjoncture internationale n’inspire pas confiance. Or, l’économie locale dépend de la performance d’autres économies. Notre marché touristique, de même que nos investissements étrangers en dépendent. Le CEO Survey effectué en début d’année à PwC a permis de voir qu’en général, ces tensions et changements engendrent une baisse de confiance. Cela s’accentue.

Le comité de politique monétaire se réunira le 27 novembre. Faut-il s’attendre à une nouvelle baisse du taux directeur ou au statut quo ?

Le comité s’était rencontré en août dernier. Le taux directeur a été revu à 3,35 %. Nous pouvons comprendre la difficulté du contexte international et anticiper l’impact que cela aura sur l’économie locale. Tenant compte de la conjoncture internationale qui est difficile et de la marge de manœuvre que nous avons par rapport à l’inflation, je pense que cela offre une politique monétaire expansionniste. Dans le court terme, il y aura un effet ou une tendance à revoir le taux repo à la baisse. Est-ce que cela se fera à la prochaine réunion ? Vu l’impact du taux de change sur la roupie, je pense peutêtre que le comité va vouloir attendre un peu pour voir l’effet. Nous avons également un excès de liquidité. L’accès au crédit n’est pas nécessairement problématique pour le dynamisme. 

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