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Arif Currimjee (Président de la Mexa) : «La productivité du secteur manufacturier stagne depuis 10 ans»

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Arif Currimjee Mexa

Élu à la présidence de la Mauritius Export Association (MEXA) en juillet dernier, Arif Currimjee entend, sous mon mandat, donner une nouvelle impulsion à l’industrie manufacturière. Celle-ci fait ces jours-ci face à des enjeux majeurs comme les perturbations à la chaîne logistique ayant entraîné des coûts de fret menaçant la marge des entreprises, observe Arif Currimjee. Le secteur doit également composer avec des défis structurels comme une baisse de la productivité multifactorielle sur ces dix dernières années et un déclin des investissements dans le secteur d’exportation.

Vous venez de prendre vos fonctions en tant que président de la MEXA. Sous quel signe placezvous cette mandature ?

En anglais, j’aurais dit une «rebirth» industrielle. La traduction littérale française est une renaissance qui est, en fait, une meilleure définition de ma vision pour ce mandat.

Au cours des 18 derniers mois, la pandémie nous a obligés à remettre en question nombre de nos notions traditionnelles. Nous réalisons maintenant la résilience économique des secteurs dits en déclin, tels que l’agriculture et l’industrie, et comment la technologie peut agir comme un facteur de transformation pour tous les secteurs. L’explosion d’initiatives digitales couplée à la vente directe aux consommateurs permettant aux agriculteurs d’ajouter de la valeur en livrant leurs produits à domicile pendant le confinement en est un exemple. Cette définition de secteurs dits en déclin n’est donc plus valable.

Je crois que dans l’ère post-Covid-19, nous avons une opportunité unique d’attirer des investissements locaux et étrangers pour ajouter de la complexité au secteur manufacturier, à la fois en termes des dernières techniques de fabrication, mais aussi en utilisant le numérique pour générer une nouvelle valeur en aval dans les chaînes d’approvisionnement.

Quelles seront les priorités de votre action, surtout dans le contexte économique actuel ?

À court terme, nous devons assurer la continuité de nos activités. Cela passe par la définition des protocoles sanitaires, assurant que nos membres puissent continuer à opérer dans des situations assez compliquées, mais aussi la reprise du recrutement du personnel expatrié dont ils ont tant besoin d’ici le 1er octobre. Il y a un gros souci à ce niveau car des travailleurs étrangers ont dû repartir chez eux au terme de leur contrat au cours de ces derniers 18 mois. De plus, beaucoup d’usines font face à une situation inacceptable : des travailleurs qui disparaissent à mi-contrat pour aller travailler illégalement pour des employeurs peu scrupuleux. De ce fait, la plupart des usines sont en manque aigu de main-d’œuvre et doivent, en conséquence, refuser des commandes. Pour le moment, le nombre de travailleurs étrangers à recruter tourne autour de 2 000 personnes. On a essayé de compenser ce déficit de ressources humaines localement en prenant contact, par exemple, avec les anciens employés d’Esquel, usine qui a fermé fin 2020. Malheureusement, nos tentatives de recrutement à l’échelle locale ont été négligeables. Nous n’avons pu engager que quelques personnes intéressées à venir travailler dans l’industrie.

La troisième priorité de cette présidence serait à court terme de trouver de nouvelles solutions de fonds de roulement pour répondre à la demande croissante. Quelque 18 mois depuis l’éclatement de la pandémie, beaucoup d’entreprises ont pu rebondir avec le soutien du gouvernement, notamment à travers le prêt alloué pour payer les salaires. Cependant, étant un prêt, et non une subvention, le montant avancé apparaît sur le bilan des entreprises comme un emprunt, et la plupart des bilans ont été négativement affectés au cours de cette période. Comme les banques basent leurs décisions sur les bilans, beaucoup de nos entreprises ont du mal à avoir de nouvelles facilités pour financer les nouvelles commandes qu’elles reçoivent. Donc, le fonds de roulement est devenu un gros souci, et au niveau de la MEXA, on explore de nouvelles options hors du circuit bancaire traditionnel pour aider nos membres.

À plus long terme, nous nous concentrerons sur l’attraction d’investissements durables (à la fois en termes temporels qu’environnementaux) dans le secteur manufacturier, l’amélioration des liens régionaux avec Madagascar où pas mal de nos membres sont déjà implantés, mais aussi avec le continent africain où pour l’instant les liens maritimes et aériennes sont limités.

Nous envisageons également l’exploitation de nos nouveaux FTA (accords de libreéchange) avec l’Inde, la Chine et l’Afrique, et l’amélioration de la visibilité et de l’image du secteur tant au niveau local qu’international. Sur le plan local, il y a cette perception que travailler pour l’industrie n’est pas intéressant. Il faut réaliser un travail de terrain pour comprendre les fondements de cette perception, sa genèse, et ensuite venir de l’avant avec une campagne d’information et d’explication sur les différents sous-secteurs de l’industrie exportatrice, les corps de métier qui y évoluent, les compétences recherchées, les conditions de travail, entre autres. À ce jour, un peu moins de la moitié des employés de l’industrie exportatrice, qui tourne autour d’une population de 36 000, sont des expatriés.

Dans quelle mesure la réouverture complète de nos frontières en octobre devrait-elle accélérer la relance de l’économie ?

Compte tenu de son importance économique, la relance de l’industrie touristique est un élément essentiel de toute relance socio-économique nationale à court terme. Il n’y a aucun secteur d’activité pour l’instant qui va pouvoir prendre le relais, même partiellement, de son apport socio-économique. Quel sera le poids du tourisme dans l’économie à plus long terme ? Cela reste à être déterminé, et dépendra des stratégies individuelles des opérateurs pour pouvoir se réinventer et se repositionner pour répondre aux nouveaux besoins des clients.

Par rapport aux facteurs externes, l’impact de la Covid-19 sur le comportement des voyageurs à moyen ou à long termes n’est pas encore clair. Les voyages d’affaires ne reviendront certainement pas aux niveaux d’avant la Covid-19 dans un avenir prévisible.

Comment les voyageurs de loisirs se comporteront en 2022 et au-delà ? C’est la grande question. J’ai l’impression que les gens voudront toujours voyager mais pour des raisons différentes. Nous devons comprendre ces raisons et positionner Maurice comme une destination incontournable répondant à ces nouveaux besoins. Cela nécessitera des efforts individuels des entreprises, mais aussi des efforts du gouvernement. Et j’espère que nous pourrons très rapidement travailler ensemble pour identifier et opérationnaliser les mesures clés à court terme. Je voudrais aussi juste ajouter une petite note au débat sur l’ouverture du pays. Ce débat est posé comme un choix entre la santé et l’économie. Cela est insoluble car nous ne pouvons pas mettre une valeur monétaire à la vie humaine. Nos actions doivent être guidées par d’autres considérations.

En tant que nation, comment souhaitons-nous vivre notre vie aujourd’hui et quelle est notre responsabilité envers la prochaine génération ? Je pense que nous devons être guidés par la science, agir de manière responsable et solidaire et maintenir notre dignité personnelle, ce qui signifie également lutter pour assurer une indépendance économique à long terme. Ne pas ouvrir notre pays détruira le tissu de notre société.

Le rebranding de la destination mauricienne est à l’ordre du jour. Quels doivent être les axes du Country branding ?

C’est une question que nous débattons depuis un certain temps, comme en témoigne la succession de campagnes nationales inefficaces et vite oubliées ces dernières années.

J’espère que la Covid-19 nous aidera à nous concentrer sur les nouvelles Unique selling propositions de Maurice ! Je ne suis pas un expert du secteur, mais je peux apporter un point de vue extérieur. Notre principale différence par rapport aux destinations insulaires concurrentes, comme les Maldives et les Seychelles dans l’océan Indien, est notre diversité culturelle et économique. Nous avons beaucoup à offrir en dehors des stations balnéaires mais est-ce que suffisamment de nos visiteurs sont sensibilisés – ou encouragés – à goûter à cette diversité ? Nos hôteliers devraient peut-être développer de nouvelles relations créatives et innovatrices avec des «fournisseurs d’expérience» locaux, beaucoup plus importants dans notre île par rapport aux destinations concurrentes, pour faire de l’expérience touristique mauricienne une expérience plus multidimensionnelle et plus riche. Mais cela demande une vraie coopération entre les hôteliers et ces fournisseurs car Maurice a beaucoup plus à offrir en dehors des hôtels.

Cette approche devrait être ancrée dans un nouvel exercice de branding qui met en évidence cette diversité au-delà des messages traditionnels que nous avons l’habitude d’entendre.

Sur la même note, je pense que les futurs investissements importants que notre gouvernement fera pour améliorer la visibilité du tourisme peuvent être mis à profit et être mutualisés en communiquant également sur le fait que Maurice est aussi un lieu de fabrication de niche et en mettant en évidence nos divers accords commerciaux. Cela viendra ajouter de la valeur au label «Made in Mauritius» et donner un avantage compétitif à nos exportateurs. Je pense qu’en manœuvrant intelligemment, et avec très peu d’investissements additionnels, nous pouvons rehausser le branding du secteur manufacturier mauricien.

Comment voyez-vous l’apport d’Air Mauritius dans la relance du secteur touristique et dans la desserte des marchés d’exportation ?

Air Mauritius devrait continuer à jouer un rôle très important. Je crois que cela est nécessaire d’avoir un acteur national sur lequel on peut dépendre si d’autres lignes aériennes habituées à desservir la destination cessent leurs vols pour des raisons qui sont hors de notre contrôle. Maintenant, quelles destinations spécifiques devrat-elle continuer à desservir ? Cela est encore une stratégie interne à Air Mauritius. J’espère que d’ici le mois d’octobre, on aura plus de visibilité sur la question. Je pense qu’Air Mauritius a aussi un rôle important à jouer comme fournisseur de cargo. On a eu beaucoup de soucis durant la dernière année au niveau du cargo aérien.

Au niveau de la MEXA, on a pu trouver des solutions en partenariat avec Air Mauritius, mais étant donné leur situation, cela n’a pas été possible de discuter de solutions à long terme. Mais, à l’avenir, il y aura de grosses opportunités avec le cargo. D’où la nécessité pour Air Mauritius d’avoir une stratégie cargo à part entière. Surtout qu’au niveau de la desserte de la région, Corsair et Air Austral ont noué des partenariats. Pour beaucoup de compagnies d’aviation africaines, le cargo est passé de 10 % de leurs activités à 30 % durant le confinement.

C’est en tablant sur les nouvelles arrivées touristiques que le gouvernement s’attend à réaliser une croissance de 9 % pour l’année. Cet objectif est-il réalisable ?

Les effets multidimensionnels de cette pandémie ne nous permettent pas d’analyser et de prévoir avec la même certitude qu’auparavant le nombre de touristes que nous accueillerons dans les six prochains mois. Peut-être qu’il y a une visibilité aujourd’hui sur la période s’étendant jusqu’à la fin de l’année ou de janvier, mais je pense qu’au-delà, c’est difficile de prévoir.

Par contre, dans le secteur d’exportation, nous pensons que ce chiffre est réalisable. Nous pouvons même envisager d’aller au-delà des 9 % de croissance si les conditions restent positives.

On sait que la valeur d’exportation est en hausse, notamment grâce à la dépréciation de la roupie. Mais qu’en est-il du volume des produits manufacturés exportés ?

Si on regarde les chiffres en roupies pour le premier semestre de 2021, par rapport au premier semestre de 2020, on est en augmentation de plus de 35 % mais ce n’est pas comparable car en 2020, on était en pleine pandémie. Par contre, il y a un élément important à tenir en compte et il s’agit de la fermeture d’Esquel, qui représentait presque 10 % de nos exportations avant sa fermeture fin 2020. Si l’on prend l’année 2019 par exemple, Esquel représentait environ Rs 4 milliards de la totalité des exportations du secteur. En 2021, si on retire Esquel de l’équation, nos exportations ont augmenté de 51% par rapport à 2020. Environ 10 % de cette hausse est imputée à la dévaluation de la roupie mais, en termes réels, on est toujours en augmentation. Si on projette les exportations mauriciennes jusqu’à fin 2021, je pense qu’on va faire mieux que 2020 pendant les troisième et quatrième trimestres ; disons environ 5 % de plus que 2020 où beaucoup de nos marchés étaient toujours confinés. Sur cette base, nos exportations seront 17 % plus élevées qu’en 2020, et légèrement plus élevées qu’en 2019 sans l’apport d’Esquel.

Pour répondre de manière courte à votre question, je dirais que oui, la dépréciation aide, mais même en enlevant les revenus générés par la dépréciation de la roupie, on est toujours en progression réelle.

Selon Statistics Mauritius, il y a eu une hausse de 7,2 % des exportations au deuxième trimestre par rapport au trimestre précédent. Quels sont les marqueurs de cette embellie ?

La demande dans le segment seafood a été peu affectée par la pandémie, bien que la propagation du virus cette année ait un impact certain sur les chiffres avec la fermeture pendant au moins six semaines de Princes Tuna pour cause de cas de contaminations.

Le secteur du textile est également en progression. Ces deux secteurs représentent environ 75 % de nos exportations. Les 25 % restantes comprennent le segment des dispositifs médicaux qui se porte très bien, le segment bijouterie-horlogerie qui a souffert de la pandémie en 2020, mais fait beaucoup mieux cette année. Donc, l’embellie est généralisée dans tous les segments du secteur de l’exportation.

Quels sont les défis non structurels qui impactent la compétitivité de nos produits d’exportation ?

Les défis non structurels, je les ai mentionnés dans les priorités envisagées par la MEXA : la gestion du protocole sanitaire afin d’assurer la continuité des affaires et de protéger les travailleurs, le recrutement aussi tôt que possible des expatriés, et l’accent sur le capital humain.

L’autre défi important se rapporte à la logistique. On sait que les coûts ont beaucoup augmenté. Ces hausses sont hors de notre contrôle. Mais on voit qu’aujourd’hui, Maurice est tributaire de seulement deux lignes maritimes, ce qui est une vraie préoccupation. Les fréquences maritimes sont beaucoup plus limitées qu’avant et on a très peu de capacité tampon. On a eu des cas en mai et en juin où Maersk, l’une des deux lignes maritimes, a carrément évité Maurice pendant quelques semaines, ce qui a causé de gros problèmes au niveau de l’import, mais aussi à l’export car ses bateaux assurent aussi le trajet Maurice-Afrique du Sud qui est aujourd’hui le plus gros marché pour notre secteur du textile.

À la MEXA, nous travaillons pour conscientiser le gouvernement et échangeons avec les lignes maritimes et la Mauritius Ports Authority pour trouver des solutions. C’est en bonne voie mais cette situation démontre la fragilité de notre chaîne logistique.

Justement, le coût du fret a augmenté d’environ 400 %, ce qui impacte les importateurs et les exportateurs…

C’est vrai. Au niveau de l’import, la hausse du fret dépasse même dans certains cas les 400 %. Comme fabricant, nous importons nos matières premières, et les prix ont pris l’ascenseur, mais cela impacte toute l’économie mauricienne. Nous dépendons beaucoup de l’importation pour nos biens de consommation, et cette situation génère une inflation significative. Au niveau de notre compétitivité à l’export, je dois dire que ce n’est pas un facteur très important car tout le monde est affecté car il s’agit d’un phénomène global et nos compétiteurs dans les autres pays rencontrent le même problème.

Récemment, le ministère du Développement industriel et SME Mauritius ont annoncé la relance de la fabrication du cuir comme un secteur d’avenir, grâce à l’adoption des nouvelles technologies. Cela dit, y a-t-il une réflexion sur les nouveaux produits de niche ou à valeur ajoutée à développer pour l’exportation ?

Il y a deux choses : premièrement, il s’agit de développer de nouveaux produits dans des sous-segments des secteurs d’activités existants, comme le textile et l’habillement. Cette pratique est une constante de la stratégie interne de développement de produits de tout producteur-exportateur soucieux d’assurer sa pérennité. Bien sûr, avec des investissements dans de nouveaux équipements, cela permet d’étendre le développement de nouveaux produits.

Vient ensuite le développement de nouveaux secteurs comme le cuir, la pharmaceutique. Là-dessus, je suis partagé sur cette stratégie de «sélectionner de nouveaux piliers». Tous les gouvernements successifs annoncent dans leurs discours-budgets de nouveaux piliers économiques qu’ils entendent mettre sur pied. On voit que la réussite de cette stratégie n’a pas vraiment été au rendez-vous. Cela a peut-être fonctionné il y a 40 ans, lorsqu’un secteur comme l’habillement ou le tourisme avait clairement le potentiel de créer des milliers d’emplois. C’était clair qu’en lançant des plans d’incitations pour attirer l’investissement dans certains secteurs comme le secteur du textile, on pouvait créer 40 000, 50 000, voire 60 000 emplois. Dans le monde d’aujourd’hui où de nombreuses opportunités ne sont probablement même pas sur notre radar, il est plus logique d’assurer une plate-forme ouverte, accueillante et compétitive qui soit attrayante pour tous les secteurs.

À titre d’exemple, l’émergence du secteur des dispositifs médicaux ne s’est pas produite parce que les autorités ont choisi ce secteur parce que des entrepreneurs étrangers avaient plébiscité Maurice en raison de ses avantages compétitifs. Nous devons cependant être très vigilants à ne pas laisser éroder notre compétitivité – et cela inclut notre compétitivité fiscale – car aucune mesure ponctuelle ne compensera une perception (réelle ou autre) que Maurice n’est plus un endroit intéressant pour investir.

Le gouvernement a annoncé son intention de faire du secteur des biotechnologies un nouveau pilier. Dans cette optique, Rs 1 milliard seront consacrées à la création du Mauritius Institute of Biotechnology. Que pensez-vous de cette initiative ?

Concernant l’industrie pharmaceutique, je ne connais pas suffisamment ce secteur pour évaluer si nous avons des atouts concurrentiels spécifiques. Cependant, nos avantages génériques de stabilité politique, de sophistication financière et de FTA doivent sûrement faire de nous un endroit à considérer, en particulier pour le marché africain. Maintenant, si un investisseur entend créer des emplois à haute valeur ajoutée dans des filières d’activités qui n’ont jamais été identifiées, la proposition d’incitations sur mesure devrait bien sûr être considérée.

Le récent rapport de la Banque mondiale et du NPCC s’attarde sur le retard de Maurice en matière de productivité par rapport aux pays à revenu élevé. En tant qu’ancien président du Joint Economic Council, quel regard jetez-vous sur le niveau d’innovation et de productivité à Maurice ?

Malheureusement, je ne suis pas très positif. Quand on regarde le secteur des entreprises exportatrices, la productivité multifactorielle n’a pratiquement pas augmenté au cours des 10 dernières années et notre valeur ajoutée n’a cessé de baisser. Une explication peut résider dans les très faibles niveaux d’investissement dans le secteur après la crise financière de 2008 ou encore dans une roupie forte de 2010 jusqu’en 2019 (hormis une baisse de 10 % en 2015). Ces facteurs ont impacté la rentabilité du secteur.

Je pense qu’il est urgent d’aborder la question de la productivité. Une solution évidente à court terme est d’encourager l’investissement dans le secteur. Nous espérons que la création prochaine de l’Industrial Financial Institution suscitera des investissements car les entreprises trouveront des options en dehors du secteur bancaire traditionnel.

Concernant l’innovation, j’ai des remarques plus générales. Nous devons démocratiser l’innovation car nous ne pouvons pas compter que sur les grandes entreprises pour le faire. Dans beaucoup de cas, leurs structures d’entreprise et de gouvernance sont intrinsèquement anti-risque et les nouvelles idées ont du mal à émerger et d’être financées. Malheureusement, la solution n’est pas que financière. Il y a plus qu’assez de liquidités. Le défi est de les mettre entre les bonnes mains.

Nos banques traditionnelles sont très averses au risque pour diverses raisons, comme les restrictions comptables avec l’IFRS. Mais je pense qu’elles comprennent mal aussi les besoins des nouveaux entrepreneurs. Les entreprises modernes qui n’ont pas beaucoup d’actifs et ne peuvent apporter du collatéral n’ont aucune chance d’être financées. Cependant, il y a quelques signes encourageants de nouveaux développements dans les initiatives peer-to-peer, à l’exemple de FundKiss qui assure un ‘matching’ entre la demande et l’offre pour le capital sans passer par des intermédiaires. C’est une solution très intéressante, et au vu du succès depuis leur lancement, cela démontre le besoin pour des sources de financement alternatives. Nous avons un écosystème local très limité de capital-risque et de capital-investissement sur lequel les nouveaux entrepreneurs en dehors des réseaux de soutien traditionnels peuvent compter. Heureusement, nous ne sommes pas complètement isolés des développements internationaux et nous assistons à une lente émergence d’incubateurs, de fonds de capital-risque et d’initiatives Fintech. Espérons que cela s’accélérera.

Enfin, un des problèmes les plus importants dont personne ne parle est qu’il existe toujours localement une aversion sociale et culturelle au risque. L’échec est considéré comme condamnable et non comme une expérience d’apprentissage menant à un succès futur potentiel. À la Silicon Valley, qui est considérée comme le temple de l’innovation, il est commun de rencontrer des entrepreneurs et innovateurs qui ont été confrontés à un, deux ou plusieurs projets d’entreprises infructueux avant de réussir. C’est vu comme un processus normal. Si on ne prend pas de risque, on ne va jamais échouer, mais on ne va pas, non plus, apprendre ni créer.

Il ne faut pas sous-estimer cette dimension d’aversion au risque à Maurice car elle influence les choix et trajectoires de carrière de la prochaine génération ainsi que les décisions des investisseurs. Nous devons certainement revoir nos programmes d’enseignement et encourager toutes les initiatives qui soutiennent l’entrepreneuriat et l’innovation. Tout le monde n’a pas les moyens de prendre des risques, mais même ceux qui l’ont ne le font que trop rarement. Dans cette période post-Covid-19, beaucoup de personnes n’auront malheureusement d’autre choix pour avoir des revenus que de créer leurs propres entreprises et il est important et urgent de les accompagner. Le gouvernement a également un rôle à jouer, pas seulement à travers des aides financières, mais aussi en termes d’accessibilité prioritaire à des marchés ou clients.

Selon le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), le réchauffement climatique est une priorité absolue. Comment l’industrie du textile est-elle en train de repenser la réduction de son impact sur l’environnement et son empreinte carbone ?

En effet, l’industrie de la mode a une forte empreinte environnementale, et c’est particulièrement le cas pour les produits de fast-fashion qui ont tendance à avoir une durée de vie très courte. La plupart des entreprises de mode doivent intégrer une composante de durabilité dans leurs modèles et cela prend différentes formes.

Cela peut inclure l’utilisation de matériaux écologiques, recyclés ou «dead-stock», une plus grande transparence et visibilité sur les processus de production dans le but de réduire les émissions de carbone, mais aussi l’upcycling, le rental et d’autres solutions innovantes.

Dans tous les cas, cet élément environnemental est devenu une exigence essentielle de toute marque et les fournisseurs pouvant apporter des solutions créatives dans ce domaine disposent d’un avantage concurrentiel certain.

Avec ABANA, vitrine virtuelle de l’offre multi-pays, multi-produits et multi-compétences de l’Afrique dans les filières du textile et d’habillement, vous vous positionnez comme un acteur vertueux dans la durabilité avec la proposition de collections ‘Drops’. Huit mois après le lancement d’ABANA, pouvez-vous faire un bilan de cette aventure entrepreneuriale ?

Lancer une nouvelle entreprise et surtout un nouveau concept en pleine Covid-19 a certainement été un défi ! Ne pas pouvoir se déplacer pour rencontrer nos clients, même localement, a ralenti notre progression. Mais nous avons eu de nombreuses réunions virtuelles très positives avec nos différents clients et partenaires qui confirment le bien-fondé de notre vision.

Les acheteurs internationaux ont un réel besoin de trouver de nouvelles options d’approvisionnement avec le contentieux entre les États-Unis et la Chine autour de l’approvisionnement en provenance de Xinjiang. Il y a un intérêt croissant pour l’Afrique comme en témoigne l’augmentation des commandes pour nos usines locales. La visibilité apportée par ABANA, en premier lieu sur la région de l’océan indien, est donc précieuse. Au fur et à mesure que nous développerons notre base de données, cette valeur augmentera. Nos services non digitaux prennent aussi de l’ampleur, et nous accompagnons et aidons sur site, à travers les bureaux d’ABANA implantés sur le continent, plusieurs nouveaux clients à développer leurs achats sur la région.

En tant que start-up, nous avons la flexibilité de pivoter et de changer notre trajectoire. Nous venons de lancer quelques semaines plus tôt la version 2.0 de la plateforme qui intègre les retours de nos clients et l’apprentissage des huit premiers mois, et nous testerons un nouveau produit d’e-commerce B2B en octobre. Nous travaillons aussi sur d’autres fonctionnalités innovantes pour 2022, comme le ‘carbon offset’ des produits textiles achetés. Donc, l’avenir s’annonce passionnant !

Si vous avez fait vos armes dans le secteur du textile, vous venez d’une famille d’entrepreneurs accompagnant depuis 1890 le développement du pays, ayant des activités historiques dans différents secteurs. Qu’est-ce qui explique la longévité du groupe Currimjee ?

Nous avons maintenant atteint la cinquième génération, mais nous ne prenons certainement pas l’avenir pour acquis !

Nous travaillons depuis plus de 20 ans sur la mise en place de solides structures de gouvernance au sein de l’entreprise et aussi de la famille pour s’assurer que nos valeurs familiales se reflètent dans nos valeurs et pratiques commerciales. Compte tenu du fait que l’entreprise porte le nom de la famille, la tâche revêt une dose de responsabilité encore plus importante.

Aujourd’hui, nos différents services et produits sont utilisés tous les jours dans les familles mauriciennes.

Notre défi pour l’avenir est de transmettre à la prochaine génération, comme la précédente génération l’a faite avant nous, une entreprise qui allie tradition et modernité, qui demeure entrepreneuriale, et qui est gérée de manière professionnelle. Nous avons l’ambition de continuer à jouer un rôle de leader dans l’économie mauricienne et d’ajouter de la valeur dans la vie des Mauriciens.