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Bruno Dubarry et Eric Corson : «L’industrie du plastique doit se transformer»

«L’industrie du plastique doit se transformer». Bruno Dubarry et Eric Corson.

L’interdiction du plastique à usage unique suscite des débats passionnés ces jours-ci. Bruno Dubarry, CEO de l’Association Of Mauritian Manufacturers (AMM), et Eric Corson, Managing Director de PIM Limited, se sont prêtés au jeu de l’interview croisée pour livrer à Business Magazine leurs points de vue sur cette mesure. Ils expliquent pourquoi les opérateurs se retrouvent dans le doute et appellent une planification dans un esprit de transition et de concertation. – Bruno Dubarry et Eric Corson.

L’interdiction de l’utilisation du plastique à usage unique est déjà en vigueur. Concrètement, quel en est l’impact sur les activités des fabricants de plastique ?

Eric Corson :

Je veux d’abord rappeler que PIM Limited est déjà pleinement engagée, depuis 2016 dans la lutte contre les plastiques à usage unique. Nous avons pris l’initiative, dès 2016, d’arrêter la production des cuillères en plastique jetables et depuis 2018, nous ne fabriquons plus de pailles en plastique. Grâce à ces mesures, nous avons pu éliminer 10 000 kilos de déchets plastiques par an. PIM Limited reste un opérateur responsable et engagé. Nous encourageons une utilisation responsable du plastique à Maurice. La présente interdiction entre en vigueur dans un contexte très difficile pour les opérateurs. D’abord, il aurait fallu une campagne de communication et de sensibilisation auprès du public, des industriels et des autorités. Les intérêts ne sont pas les mêmes pour tous et les contraintes sont nombreuses. On ne pourra pas bannir le plastique aussi facilement et rapidement qu’on le souhaite. Aujourd’hui, ce sont principalement des plastiques utilisés dans la restauration rapide qui sont visés. Ce sont des produits que nous pouvons effectivement interdire étant donné qu’il existe des alternatives. Mais, ce n’est pas le cas pour toutes les autres catégories de plastique.

Bruno Dubarry : J’abonde dans le même sens parce que c’est surtout une question qui s’adresse aux opérateurs. L’industrie dans son ensemble, qu’importe les sous-secteurs, doit se transformer. Nous avons à relever des défis écologiques, notamment. Ce qui importe, dans le cadre de cette mesure, c’est qu’on s’aligne sur les objectifs et la méthode. Tout cela appelle à une planification. Il ne faut pas perdre l’esprit de transition vers une économie circulaire. C’est aussi un enjeu de planification économique. L’AMM souhaite aujourd’hui que l’ensemble des défis que soulève l’interdiction de certains types de plastique à usage unique soit répertorié et que la concertation public-privé débouche sur de vraies solutions adaptées à la réalité de nos marchés. Répertorier les défis pour la production locale, catégoriser les plastiques et analyser l’impact économique : voici les trois gros sujets de travail pour cette concertation public-privé. Ce sont des outils méthodologiques que nous n’avons pas vus pour le moment. Ils sont indispensables non seulement pour fédérer des acteurs, mais aussi pour rassurer les investisseurs et ne pas perturber davantage une économie déjà sous tension. Si nous sommes uniquement dans l’esprit d’interdiction,  cela génère de l’incompréhension et des doutes. Cette mesure n’est pas le résultat d’une analyse complète du sujet. Le nouveau calendrier annoncé en ce début d’année comporte désormais trois échéances. Ce calendrier n’est pas construit sur l’identification de solutions et d’alternatives pour ces plastiques qui seront prochainement interdits. La programmation aurait dû être le résultat de cette analyse complète.

Une douzaine de petits fabricants ont annoncé qu’ils allaient cesser leurs opérations temporairement (soit environ six mois) en attendant de faire venir de nouveaux équipements devant leur permettre de s’engager dans la production de produits alternatifs au plastique. Compte tenu de la pandémie, le gouvernement n’aurait-il pas dû faire preuve de plus de souplesse en donnant le temps aux fabricants de réorienter leurs activités?

Eric Corson : C’est une équation à plusieurs variables. Seul un ensemble de solutions élaborées collectivement peut contribuer à réduire les déchets plastiques. Nous croyons beaucoup dans l’éducation et la sensibilisation des citoyens mauriciens. Le recyclage est également un élément fondamental de cette équation. Aujourd’hui, il existe différentes familles de plastiques et différents types de produits dont les méthodes de recyclage peuvent être plus ou moins compliquées. Et surtout, ce sont des méthodes qui n’existent pas encore à Maurice. Rappelons également que certains produits alternatifs – produits biodégradables, biomatériaux – coûtent relativement cher et ne sont pas adaptés à tous les besoins en packaging.

Ce sont des produits avec des contraintes d’utilisation, de durée de vie, de shelf life , avec des conditions de température particulière de stockage. La grande question : qui, aujourd’hui, peut ou doit absorber ces coûts et ces investissements ?  Encore une fois, nous sommes dans une conjoncture particulière – notamment la pandémie, ses conséquences économiques et la fermeture des frontières – qui a rendu difficile une bonne préparation à l’entrée en vigueur de cette interdiction. Nous comptions, l’année dernière, assister à une foire sur le recyclage en Allemagne. Cet événement a été annulé.  Pour développer des alternatives, viables pour notre marché, il nous faut voyager, rencontrer des fournisseurs et réaliser des essais techniques. La réalité, c’est que nous ne pouvons pas nous déplacer. Compte tenu de la conjoncture actuelle, un moratoire plus important est souhaitable.

Bruno Dubarry : La période actuelle est propice à la réflexion et à la planification. Nous sommes dans une période de doutes, de troubles où les paramètres habituels sont plus compliqués à maîtriser. Une interdiction doit tenir compte de ce contexte-là qui limite les capacités d’investissement, les déplacements hors du territoire et l’accès aux expertises extérieures, au capital humain et aux équipements. Malgré la campagne de vaccination qui débute dans un certain nombre de pays, les confinements ne cessent pas pour autant. Tout cela perturbe les chaînes d’approvisionnement et de fabrication. Maurice en fait les frais. La petitesse du marché ne justifie pas pour les compagnies aériennes ou maritimes d’accroître ou de maintenir les dessertes. Nous parlons de nouveaux équipements de production, mais nous parlons aussi de nouvelles matières premières. La question reste entière là-dessus. C’est-à-dire, c’est une chose de voir les process existants mais d’avoir une connaissance des gisements de matières premières, c’est autre chose. Ce qui aurait été intéressant, c’est de regarder cette question de l’interdiction et des alternatives au plastique à usage unique non biodégradable dans une logique d’économie circulaire. Cela n’est qu’un petit élément dans une économie circulaire. Une vision d’ensemble est nécessaire. Pour avoir une vision d’ensemble, il faut que l’ensemble des acteurs : l’autorité publique, le secteur privé, la société civile et les expertises internationales puissent donner leur input et préciser leurs limites d’action. Cela n’a pas été fait. L’approche qui consiste à s’inspirer de ce que font les autres régions du monde sur le sujet, sans adaptation à la réalité mauricienne, conduit à un climat qui dessert la réussite de cette mesure. Sur le sujet de la transition vers une économie circulaire, nous ne voyons pas d’alternative à l’approche collective. À l’AMM, nous programmons pour 2021 et 2022 deux parcours de formation et d’expérimentation sur l’éco-conception et la gestion durable de la supply chain . Nous sommes également partie prenante des consultations avec le ministère de l’Environnement sur la mise en place d’éco-organismes sur les déchets DEEE et bientôt, on l’espère, sur les déchets plastiques. Au cœur de ces éco-organismes, la logique dominante sera le recyclage. Nous comprenons l’objectif de réduction de la pollution mais il faut regarder en amont de la production elle-même. Cela ne se développe pas juste par une interdiction.

Plusieurs personnes directement et indirectement impliquées dans l’industrie du plastique se retrouveront temporairement sans emploi. Vos commentaires.

Eric Corson : Sans une vraie définition et une meilleure précision sur les produits plastiques qui seront interdits, il est difficile de répondre à cette question. De nombreuses entreprises locales dépendent du packaging en plastique. C’est tout un écosystème – incluant des micro-entreprises et des PMEs –  qui est concerné. Interdire ce packaging sans une réflexion profonde menée en partenariat avec les industriels locaux pourrait impacter de façon conséquente l’emploi à Maurice.

Bruno Dubarry : Le nombre peut être moins ou plus important. Parce que quand nous sommes dans l’inconnu, les conséquences sont inconnues. Dans tous les cas, cette situation pose des problèmes immédiats, particulièrement en termes de volume de plastiques commandés avant l’interdiction, et qui, de facto, ne pourront pas être écoulés d’ici à avril 2021. C’est un autre préjudice économique pour des entreprises locales déjà en difficulté.

Quelles sont les opportunités pour les opérateurs qui s’engageront dans la fabrication de produits alternatifs au plastique ?

Eric Corson : Ailleurs dans le monde, le développement de produits alternatifs au plastique s’est fait de manière structurée, programmée, en véritable partenariat avec les stakeholders concernés. Aujourd’hui, il y un travail fondamental à mener : parvenir à une vraie catégorisation des plastiques afin de déterminer ce qui peut être recyclé, réduit, réutilisé et revalorisé à Maurice. Nous aurions tout à gagner à nous concentrer sur ce que nous pouvons faire. L’objectif final reste la réduction de l’impact sur l’environnement et la pollution. Cela ne passe pas seulement par l’interdiction du plastique. Cela passe par la formation, l’éducation, la sensibilisation du public. Nous sommes tous témoins de l’incivisme quotidien. Encore une fois, nous nous sommes toujours engagés dans des campagnes d’éducation pour promouvoir une utilisation responsable du plastique. Je pense que ce n’est pas l’industrie du plastique qui pollue directement l’environnement. PIM Limited est une compagnie non polluante dans le sens où tous nos déchets de production sont recyclés à 100 %.    L’une des solutions importantes reste le développement d’une vraie filière de recyclage avec de vraies solutions pour la collecte, la décontamination, l’entreposage, la transformation et la valorisation des déchets plastiques. Il y a toute une industrie à mettre en place.

Nous comprenons la volonté derrière cette interdiction et nous nous intéressons aux vraies solutions qui permettent de réduire notre impact sur l’environnement. Mettons en place des projets communs.

Combien de temps cela prendra-t-il pour l’industrie du plastique de se réinventer en se tournant vers de nouvelles filières ?
 Eric Corson : Il ne faut pas partir du principe qu’il est facile de se réinventer ou qu’il existe des solutions de remplacement pour toutes les catégories de plastique. Ce n’est pas aussi facile que cela. Par exemple, fabriquer du verre est beaucoup plus énergivore. Un changement de filière ou le développement de produits alternatifs requiert des investissements qui demandent aussi un temps d’amortissement. Chez PIM Limited, chaque investissement se fait pour une période de 15 ans au moins. De remettre en question les investissements déjà réalisés remettrait en question un secteur d’activité qui a énormément contribuer au développement de plusieurs industries du secteur manufacturier à Maurice.

Bruno Dubarry : J’en reviens à la planification économique. Nous avons fait un travail commun avec le ministère du Développement industriel pendant ces deux dernières années qui a débouché sur la politique industrielle et le plan stratégique 2020-2025. L’AMM présidera le sous-comité Domestic Entreprises & Increased Domestic Supply qui concerne les entreprises domestiques et l’accroissement du marché local en termes de fournitures par des producteurs locaux. Il y est question de transformation du secteur manufacturier. Il nous faut un éco-organisme pour les déchets plastiques. Cela permet à travers une contribution du consommateur de financer une filière qui va sensibiliser sur l’usage du plastique et promouvoir la collecte et le recyclage. Nous avons quelque part envoyé avec l’interdiction un message politique. Mais nous n’avons pas préparé derrière les outils de réalisation. Donc, c’est beaucoup d’énergies perdues.

«Il y a eu des concertations, mais elles ne sont intervenues qu’à la veille du l’entrée en vigueur de l’interdiction» Bruno Dubarry et Eric Corson.

Selon l’AMM, il fallait instituer un vrai comité technique public-privé sur le champ d’applications et le contenu des Environment Protection (Control of Single Use Plastic Products) Regulations 2020. Avez-vous le sentiment qu’il y a eu un manque de concertation et que l’État a fait cavalier seul sur ce coup ?

Bruno Dubarry : Il y a eu des concertations, mais elles ne sont intervenues qu’à la veille du l’entrée en vigueur de l’interdiction. Ces concertations n’ont malheureusement pas apporté des précisions, d’où la situation actuelle. Si nous prenons le temps d’avoir un comité technique qui se penche sur chacune des problématiques qui va engendrer l’interdiction, je pense que nous prendrons la meilleure voie, qui est de travailler ensemble. Cela permettrait d’apporter des solutions réelles à l’industrie locale.

Le gouvernement a accordé un moratoire d’un an aux compagnies locales utilisant le plastique pour l’emballage afin de trouver une alternative. Est-ce à dire que les fabricants de plastique qui traitent avec ces compagnies bénéficieront, eux aussi, de ce moratoire ?

 Eric Corson : Donner un moratoire d’un an dans une période où nous ne pouvons même pas nous déplacer pour faire des recherches adéquates, je crois qu’il y a quelque part finalement une certaine incohérence. Il faut cibler les produits.

Bruno Dubarry : Le calendrier est important, comme le seront les actions prises pendant ce moratoire. En nous posant la question de la finalité et de la faisabilité, nous saurons si ce délai est suffisant ou pas.

Y a-t-il un avenir pour l’industrie du plastique, qui a été l’un des moteurs de l’économie mauricienne pendant notre industrialisation ?

Bruno Dubarry : Oui. Ailleurs dans le monde, des sommes colossales ont été investies dans la recherche et le développement en termes de bioplastique et de revalorisation. Je pense qu’il y a de l’avenir là où nous voulons en trouver. À Maurice, l’on comprend que le gouvernement veut envoyer un signal fort sur la lutte contre la pollution du plastique. C’est clair que cela ne remet pas en question le plastique mais plutôt son usage et la manière dont on apprendra à le réutiliser. Cependant, il reste une question essentielle. Qu’en est-il aussi des produits importés dans des conteneurs en plastique, désormais interdits, mais qui entrent sous un HS Code différent ? Va-t-on privilégier l’importation au détriment du secteur manufacturier local alors qu’on nous demande de créer de l’emploi et des richesses ?

Eric Corson : Les choses évoluent lentement. Le point clé, c’est l’interdiction ou non du plastique. Les pays européens et asiatiques n’interdisent pas forcément le plastique. Ils se concentrent sur d’autres solutions alternatives. Maintenant, Maurice a le mérite d’aller dans cette direction. Tout prend du temps. Si nous avons la possibilité d’utiliser les biomatériaux, allons-y ! – Bruno Dubarry et Eric Corson.

Ne pouvons-nous pas nous inspirer de l’expérience rodriguaise ?
Eric Corson : Rodrigues est une petite île qui n’a pas un secteur industriel très fort. Elle interdit une certaine catégorie de plastiques puisqu’elle a commencé avant Maurice. Elle a été en avance sur Maurice. Nous sommes en train de rattraper le retard. Il ne faut pas s’arrêter à cela et voir un peu plus large.

Bruno Dubarry : Nous pouvons nous inspirer de Rodrigues d’un point de vue environnemental. Il y a quelques décennies, nous ne nous posions pas ce genre de question sur le plastique. Rodrigues en a bénéficié… Il y a des étapes que nous avons connues à Maurice et que Rodrigues n’a pas connues, comme l’industrialisation massive.

«Il y a quatre ans, pim limited s’est interdite de fabriquer des pailles et cuillères en plastique» Bruno Dubarry et Eric Corson.

Étant l’un des signataires de l’accord de Paris, Maurice s’est engagé à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 30 % d’ici à 2030. L’interdiction du plastique à usage unique s’inscrit dans le droit fil de cet engagement. Votre réaction ?

Bruno Dubarry : C’est là où on revient au recyclage. Si nous voulons avoir un impact sur les émissions de carbone, nous chercherons à importer moins de choses et à en recycler davantage. Si nous voulons commencer par des choses concrètes, aussi petites soientelles, autant le faire avec le sujet du plastique.

Eric Corson : Oui, c’est du bon sens. Je suis convaincu qu’avec des partenariats avec les collectivités locales sur le recyclage, nous arriverons à protéger le secteur manufacturier local plutôt que d’importer certains produits plastiques.

 

 

 

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