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Budget 2021-2022 : Un levier pour accélérer la sortie de crise.

Le Budget 2021-2022 jouera un rôle crucial dans la sortie de crise. Outre de se focaliser sur la relance, qui demeure la priorité immédiate, il comprendra un ensemble de réformes structurelles avec pour objectif de restaurer la compétitivité des opérateurs économiques.

On connaît le tableau de bord. Il est loin d’être reluisant. L’économie mauricienne s’est contractée de 14,9 % en 2020. Sans la crise, le produit intérieur brut (PIB) aurait tourné autour de Rs 550 milliards à fin juin 2021. Selon les dernières estimations du ministère des Finances, elle ne dépasserait pas les Rs 440 milliards. Ce qui représente une destruction de valeur de quelque Rs 110 milliards.

Dans ce contexte de profonde déprime, la priorité des priorités reste la stratégie à mettre en place pour une sortie de crise. Dans un second temps, il incombe d’adresser les défis de long terme. Et le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, est décidé, malgré l’état des finances publiques, de présenter un Budget audacieux, en privilégiant la relance et l’adoption de réformes structurelles. Pour l’économiste Manisha Dookhony, c’est la voie à suivre. Le Budget doit comporter des mesures visant à créer de la valeur. Cela, par le développement d’une véritable stratégie économique de relance. «Nous avons besoin de mesures audacieuses et créatives, pas seulement des solutions de fortune comme les rabais pour l’achat de voitures. Le soutien aux ménages, en particulier ceux qui sont les plus touchés par la crise économique, est très important, et cela devrait continuer», estime Manisha Dookhony, qui ajoute qu’il faudra une gestion efficace des finances publiques. «Avec les revenus de l’État qui devraient chuter, il faut contenir les dépenses publiques ou les reporter à plus tard. Finalement, il faut des mesures pour rassurer les investisseurs privés, y compris ceux du secteur commercial mondial, qui ont été durement touchés par notre inclusion sur les listes grise et noire», recommande-t-elle.

LA PROBLÉMATIQUE DE LA DETTE

Dans un contexte où les recettes fiscales se contractent et où il faudra trouver les ressources pour financer un Budget d’environ Rs 160 milliards, le Trésor public est forcé de recourir à des emprunts, d’autant plus qu’il ne devrait pas solliciter la Banque de Maurice. Mais là se pose le problème d’endettement. Le niveau de la dette publique s’élevait à plus de 97 % du PIB. Pour l’analyste en investissement alternatif, Sameer Sharma, c’est une donnée cruciale à prendre en considération. Globalement, estime-t-il, la philosophie du Budget devrait être de s’engager dans un équilibre délicat entre une certaine austérité, des réformes structurelles pour améliorer la productivité à long terme, la restructuration de la dette et la recapitalisation au sein du secteur privé et ,enfin, la nécessité de s’appuyer de manière plus contrôlée sur une politique monétaire non conventionnelle. L’objectif est essentiellement de s’assurer que le processus de désendettement n’aura pas un impact significatif sur la croissance.

L’économiste Kevin Teeroovengadum est d’avis que pour pouvoir faire des propositions et apporter des solutions pour l’avenir, il faut comprendre les problèmes du passé et savoir où nous en sommes aujourd’hui. La réalité est que l’économie mauricienne était déjà sur une tendance de déclin bien avant la crise de la Covid-19 (la Banque mondiale précise d’ailleurs dans le Country Economic Memorandum que nos secteurs économiques faisaient face à des problèmes structurels antérieurs à la crise). Et toute récession mondiale aurait conduit à une situation d’extrême vulnérabilité pour Maurice.

«Destruction de valeur de Rs 110 milliards»

«Depuis des années, les exportations sont en baisse malgré une dépréciation continue de la roupie, les importations sont en hausse et environ trois fois plus que nos exportations. Par ailleurs, la dette au niveau national des entreprises et des individus a augmenté avec l’insatiabilité pour le crédit. Nos principaux piliers de l’économie ont tous des problèmes structurels et notre incapacité à attirer des investissements directs étrangers ont stagné autour de 500 millions de dollars. Notre positionnement au niveau international en a pris un coup ces derniers temps avec notre ‘blacklisting’ sur la liste grise. En sus de cela, nous avons une population vieillissante couplée à une augmentation du chômage des jeunes qui dépasse 25 %. Tout cela pour dire que pendant des années, Maurice n’a pas fait le nécessaire pour restructurer son économie et en paie aujourd’hui le prix fort», fait ressortir Kevin Teeroovengadum.

Il ajoute qu’après 40 ans de croissance continue du PIB, la crise de Covid-19 a accéléré ce qui allait se produire pour l’économie mauricienne, car le bilan mauricien n’a jamais été préparé à faire face à une récession et aux changements structurels qui se produisent dans le monde. C’est pourquoi nous avons besoin d’un Budget qui proposera une vraie vision tangible et cohérente pour le pays, qui repositionnera Maurice sur la scène internationale et qui attirera les talents.

 

MANISHA DOOKHONY
(ÉCONOMISTE)

SAMEER SHARMA (ANALYSTE EN
INVESTISSEMENT ALTERNATIF)

KEVIN TEEROOVENGADUM
(ÉCONOMISTE

 

Sur la question des réformes, Sameer Sharma rappelle qu’il faut d’abord éliminer essentiellement les barrières à l’entrée, encourageant la concurrence au sein du secteur privé et créant le bon environnement pour encourager les investissements directs étrangers (IDE). Historiquement, nous avons eu tellement de flux et de revenus touristiques en termes de devises que nous n’avons pas eu besoin d’encourager les IDE au-delà de la vente de villas à des étrangers.

«Maintenant, nous devons faire un peu plus. Nous devons créer le bon environnement pour encourager les IDE qui entrent dans cette économie, non seulement pour stimuler nos exportations, mais aussi pour investir à Maurice dans des entreprises qui exporteront, ce qui est une stratégie clé. Nous avons besoin d’IDE pour les projets de partenariat public-privé, car rappelez-vous que le secteur privé local a beaucoup de dettes et qu’il n’a donc pas une grande capacité pour investir dans des partenariats public-privé avec le gouvernement. Nous devons également apporter un savoir-faire étranger et accroître la productivité de l’économie locale. Le gouvernement a également amélioré sa capacité à exécuter efficacement son budget, car la gestion et la mise en œuvre des projets sont des problèmes clés et des goulots d’étranglement pour accéder à un bon effet multiplicateur sur la croissance de l’économie et nous l’avons vu dans le dernier Budget», fait ressortir Sameer Sharma.

Ce qui fait dire à Kevin Teeroovengadum que nos concurrents sont en train de capturer des parts de marché, alors que nous sommes sur la mauvaise liste depuis trop longtemps. Nous devons donc nous assurer de positionner Maurice comme un pays dynamique. Il prend l’exemple de Dubaï, du Rwanda, de l’Éthiopie et du Ghana. «Ce que je propose pour repositionner Maurice, c’est d’aller dans une approche de ‘bigbang’ en réduisant l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés forfaitaires à 5 %. Cela repositionnerait Maurice du jour au lendemain. Il faut un plan pour accueillir 100 000 étrangers ainsi que la diaspora à venir s’installer à Maurice au cours des cinq prochaines années. Il faut aussi investir massivement dans la santé, l’éducation, la science et la recherche et la technologie. Nous devons faire avancer les autres secteurs tels que l’économie bleue, l’économie circulaire et la Silver economy», préconise-t-il.

Ce 11 juin, le ministre des Finances n’aura pas droit à l’erreur. Il devra présenter un Budget ayant des allures d’un plan d’action pour mieux positionner l’île Maurice dans le nouvel environnement économique Mondial.

La vraie marge de manœuvre de Padayachy

Le ministre des Finances dispose-t-il de la marge de manœuvre nécessaire pour présenter un Budget alliant les objectifs de court et long termes ? Pour Sameer Sharma, Renganaden Padayachy devrait pouvoir trouver les ressources financières. Car il y a encore de l’argent non dépensé du dernier Budget. Si on regarde les revenus moyens de juillet à avril et qu’on les compare aux dépenses moyennes de la même période et qu’on annualise la différence, on a au moins Rs 11,5 milliards sinon plus d’argent qui peut être reporté sur ce Budget 2021-2022. «Il semble également que le gouvernement utilisera davantage la Mauritius Investment Corporation (MIC) à des fins de dépenses en capital pour investir dans ce qu’il considère comme des projets stratégiques. Vous pouvez voir dans le bilan de la Banque centrale que la MIC est désormais financée avec Rs 1 milliard de fonds propres et plus de Rs 79 milliards de dettes dans sa structure de capital et tous ces changements sont effectués afin qu’elle puisse probablement être utilisée pour financer plus que les actifs en difficulté du secteur privé. Bien que les recettes fiscales soient nettement inférieures à ce qu’elles étaient avant le début de la pandémie, la réalité est que le gouvernement s’est beaucoup appuyé sur des politiques et des structures monétaires non conventionnelles. Et il le fera à nouveau pour ce Budget», explique Sameer Sharma. Kevin Teeroovengadum précise qu’aujourd’hui, le ministre des Finances doit repositionner Maurice dans ce ‘New World New Normal’. Et si cela signifie s’endetter davantage et d’investir dans les bonnes choses, alors il devrait le faire, mais il faut d’abord avoir une vision cohérente pour le pays. «Maurice a besoin d’une nouvelle vision. Le ministre doit faire appel à un cabinet de conseil international qui peut l’aider à rationaliser le secteur public et à réduire le gaspillage ; le même gaspillage qui revient chaque année dans le rapport de l’Audit. Cela permettra d’économiser de l’argent. Par ailleurs, il doit rendre Maurice fiscalement attrayant pour attirer plus d’investisseurs, d’étrangers et la diaspora afin de faire de Maurice le lieu de choix pour les investissements, le travail, la vie et la retraite», souligne-t-il.

L’avenir de la MIC

Le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale recommandent que la MIC passe sous le contrôle du gouvernement. Dans le milieu des affaires, on craint une paralysie de la MIC du fait que ce Special purpose vehicle pourrait ne plus être alimenté par les réserves de la Banque de Maurice. Vu que la MIC joue un rôle crucial pour soutenir les entreprises en difficulté, certains observateurs se demandent s’il ne serait pas prématuré de réformer cette institution.

Il y a là une vraie problématique. Théoriquement, les réserves sont là pour nous permettre de faire face à une crise. Elles doivent aussi donner le temps de mettre en place les mesures correctives nécessaires. L’autre aspect à considérer est que la réputation de Maurice souffre déjà à cause de la liste noire de l’Union européenne et de l’abaissement de la note souveraine de Moody’s. Ainsi, le fait de continuer avec de mauvaises pratiques allant à l’encontre des avis du FMI et de la Banque mondiale va contribuer à ternir notre réputation. «La MIC est une solution d’urgence. La Banque de Maurice a le devoir de rester indépendante. Mais avec des parts et des intérêts dans des entreprises à Maurice, il sera difficile pour la MIC de rester indépendante. Ainsi, pour moi, idéalement, il faudrait une stratégie de sortie de la Banque de Maurice, et le FMI est d’avis que cela doit se faire au plus vite», souligne Manisha Dookhony. Sameer Sharma ajoute que cela se résume à un manque de compréhension de ce qui s’est passé à la MIC au cours des derniers mois. En fait, dans les comptes de la Banque de Maurice, on peut voir que la structure du capital de la MIC s’élève à plus de Rs 79 milliards de dettes que la Banque de Maurice prête au coût amorti à la MIC et Rs 1 milliard de fonds propres. Et si on se tourne vers les réserves, elles sont toujours là ; elles n’ont pas diminué de Rs 2 milliards. «On a essentiellement créé de l’argent. C’est ce que les banques centrales peuvent faire. Donc, je ne pense pas que le problème soit de se procurer de l’argent parce que l’argent est créé et c’est ainsi que fonctionnent les banques centrales et la monnaie fiduciaire. Mais le problème est que vous ne pouvez pas simplement renflouer toutes les entreprises. Vous devez seulement renflouer des entreprises viables aux conditions du marché et vous devez également encourager les entreprises à s’appuyer sur les marchés, et ne pas simplement compter sur la Banque centrale», analyse-t-il.

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