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Dan Maraye : «Il ne faut pas intimider les banques»

Ancien gouverneur de la Banque de Maurice (1996 – 1998), Dan Maraye occupe aujourd’hui les fonctions d’Ombudsperson pour les services financiers. Opérationnel depuis 2019, ce bureau a pour mission de protéger les clients contre les défaillances, de recevoir et traiter leurs doléances et de les éduquer aux produits financiers. Dans l’entretien qui suit, il commente la crise bancaire à l’international qui, selon lui, résulte de l’abus du système capitaliste, ainsi que la récente sortie de la Banque de Maurice contre les banques commerciales.

La pression reste toujours forte sur la roupie qui s’est lourdement dépréciée face aux principales devises depuis le début de l’année. Y a-t-il un seuil à ne pas franchir ?

Il doit toujours y avoir un niveau. Le problème avec la Banque centrale est que – et là je vous parle en tant qu’ancien Gouverneur – la Mauritius Investment Corporation (MIC) a empoisonné la BoM, tout en marginalisant sa puissance pour atteindre ses objectifs primaires, à savoir la stabilité des prix. C’est cela l’objectif premier d’une Banque centrale. Là où nous en sommes, il faut que la Banque centrale soit recapitalisée. Deuxièmement, ce qui reste des Rs 80 milliards transférées à la MIC – qui n’a pas été partagé encore – doit être retourné le plus vite possible dans les caisses de la Banque centrale.

Mais vous conviendrez qu’il y a eu une pandémie et que pour éviter au maximum la fermeture d’entreprises et sauvegarder des emplois, il fallait soutenir financièrement les entreprises viables ?

Définitivement qu’il fallait le faire, mais pas de cette façon. À l’époque, la Banque centrale aurait pu créer une ligne de crédit à un taux très bas, et des conditions très strictes, destinée aux banques commerciales dont les clients rencontraient des difficultés. Mais pour ce genre d’opérations, il faut avoir l’autorisation du gouvernement.

Une fois le dossier arrivé à une banque commerciale, cette dernière demande une partie de cette ligne de crédit. Ensuite, c’est la banque commerciale qui va prêter à ses clients. Les critères d’éligibilité pour ce type de ligne de crédit doivent être très stricts, avec la possibilité d’appliquer un barème de taux de prêts défini, par rapport au taux proposé aux banques commerciales par le régulateur. Dans le bilan financier de la Banque centrale, cela aurait été posté comme un actif, tandis que les banques commerciales prenaient les risques.

Personnellement, j’ai été choqué quand j’ai pris connaissance de la décision de la Banque centrale de créer la MIC. Comment le Board de la Banque centrale a-t-il pu approuver une telle incongruité ? D’autant plus qu’une alternative sensée comme la proposition de prêts à un faible taux d’intérêt aux banques commerciales existe.

Quand j’étais Gouverneur de la Banque de Maurice, j’ai moi-même eu recours à cette alternative. Le gouvernement d’alors voulait promouvoir les sociétés de crédit-bail. La Banque centrale avait créé une ligne de crédit spécialement pour s’assurer que les sociétés de crédit-bail puissent bourgeonner. Et pour cela, il fallait l’aval du cabinet ministériel.

Jeudi dernier, la Banque de Maurice a sévi contre une douzaine de banques. Huit établissements devront s’acquitter de «monetary fines» et quatre autres se sont vu servir des avertissements pour non-respect du régulateur concernant le fonctionnement du marché des changes. Comment interprétez- vous cette sévérité de la Banque centrale ?

Nous opérons dans une économie ouverte où il n’y a pas de restrictions dans les transactions en devises étrangères. Je ne pense pas qu’il faut intimider les banques commerciales. C’est leur responsabilité de gérer leur trésorerie.

La dépréciation de la roupie amoindrit le pouvoir d’achat, hausse le coût de production et de distribution des biens de consommation de base et des services essentiels. À la fin de la journée, c’est le consommateur qui est souvent le grand perdant. En France, pour soulager la pression sur les ménages, les entreprises ayant réalisé des superprofits sont ciblées par une taxe solidaire. À Maurice, est-ce que les banques, qui figurent parmi les plus profitables, ne devraient pas dans un élan de solidarité alléger leurs frais et commissions ?

Les charges bancaires auraient dû être régulées par la Banque de Maurice, et ce, à travers l’imposition d’un barème maximal pour leur application. D’ailleurs, dans un rapport datant de 2014, la Banque centrale avait fait 100 propositions pour régler la problématique banque-client. Malheureusement, cela n’a pas été mis en oeuvre.

C’est sûr que les banques ont vocation à la fin de la journée d’être profitables pour être en capacité de payer des dividendes à leurs actionnaires. Les charges bancaires rapportent à certaines d’entre elles des revenus significatifs, mais il faut qu’il y ait un équilibre dans les barèmes appliqués.

Le pendant de cette problématique demeure que les gens ne doivent pas vivre au-dessus de leurs moyens. À la radio, l’on entend en boucle diffuser des publicités proposant aux consommateurs d’acheter aujourd’hui et de payer dans un an. L’on ne peut pas acheter aujourd’hui des choses que l’on ne peut pas se permettre, car d’ici une année, il n’est pas sûr que l’on soit en capacité d’honorer les paiements. Il y a aussi une nécessité de veiller à ce que la publicité invitant les gens à contracter des emprunts pour ce genre d’achats soit plus réglementée, car certaines personnes se retrouvent démunies face à ce genre d’incitations. Cette culture de la consommation à outrance et du crédit est un héritage qui nous vient de l’Ouest. Se prémunir contre ces défaillances appelle à la responsabilité de tous. Vous n’êtes pas sans savoir que la dette des ménages est très élevée.

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