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Deshmuk Kowlessur : « La loi sera appliquée pour éviter tout rachat anticoncurrentiel »

Deshmuk Kowlessur

Avec la réouverture des frontières l’économie devrait reprendre son élan. Il en est de mêmes pour les marchés et les entreprises. Selon l’Executive Director de la Competition Commission, Deshmuk Kowlessur, le risque de concentration des marchés déclenché par la crise demeure, mais celui-ci est faible. Et de préciser que la mission de la Commission est d’améliorer la concurrence sur le marché, en créant plus d’opportunités économiques pour le bénéfice de tous les mauriciens.

La crise a fragilisé le tissu économique. D’aucuns craignent que l’on assiste à l’avenir à un mouvement de concentration dans différents secteurs d’activités et à la création de structures d’oligopoles qui soient néfastes pour le marché. Est-ce un scénario plausible à Maurice quand on sait que l’économie mauricienne s’est contractée de 14,9 % en 2020 ?

En effet, cela a été et reste une préoccupation pour les autorités de la concurrence du monde entier. Au début de la pandémie, comme d’autres autorités de concurrence, nous craignions que la crise n’entraîne des difficultés financières pour certaines entreprises, ce qui pourrait provoquer la sortie de certaines d’entre elles ou leur rachat par des entreprises financièrement plus solides. Tant la sortie de certaines entreprises que leur rachat par des concurrents auraient augmenté la concentration du marché. L’affaiblissement de certaines entreprises peut également créer des opportunités pour l’entreprise la plus puissante d’exploiter le marché.

Cependant, et heureusement, nous devons dire qu’à Maurice, à ce jour, il n’y a pas eu beaucoup de telles prises de contrôle ou de sorties. Nous pensons que les entreprises mauriciennes sont résilientes et flexibles, et que les mesures prises par le gouvernement ont permis à de nombreuses entreprises de faire face à cette crise sans devoir fermer leurs portes. Dans un avenir proche, beaucoup dépendra de la reprise économique. Avec la réouverture des frontières, nous pensons que l’économie reprendra son élan et qu’il en sera de même pour les marchés et les entreprises. Nous pensons que le risque de sortie des entreprises du marché sera atténué dans une mesure appréciable. Le risque de concentration des marchés déclenché par la crise demeure, mais nous pensons que ce risque est désormais plus faible.

Il convient de noter qu’il y a eu un long débat sur la question de savoir si les autorités de concurrence devaient être plus indulgentes à l’égard des fusions et acquisitions pendant cette période de crise. Cependant, la plupart des économistes et des autorités de la concurrence du monde entier sont d’avis que le droit de la concurrence ne doit pas être assoupli dans une telle crise. Au contraire, l’histoire a montré que la politique de concurrence est de la plus haute importance pour assurer une reprise économique rapide et durable.

En tant que tel, nous appliquerons la loi comme il se doit afin de garantir qu’il n’y ait pas de rachat anticoncurrentiel ou d’abus de position dominante pouvant conduire à une concentration accrue.

Dans le cas d’une concentration ou d’une opération de fusion-acquisition, est-ce que la Commission approche les acteurs pour leur expliquer les règles du jeu ?

Promouvoir la loi est une partie intégrante de notre mandat sur lequel nous comptons beaucoup pour assurer la prévention des pratiques anticoncurrentielles/pratiques commerciales restrictives, y compris les fusions et acquisitions anticoncurrentielles. Par exemple, récemment, nous avons organisé un webinaire en collaboration avec le Mauritius Institute of Professional Accountants (MIPA) afin de faire connaître les différentes provisions du Competition Act, y compris celles relatives aux fusions et acquisitions.

Lorsqu’une entreprise a l’intention de procéder à une fusion ou une acquisition, nous l’encourageons à s’engager avec nous de manière proactive. Elle peut demander l’avis de la Commission, qui est gratuit. Avant même de demander un avis, elle peut discuter de l’opération et de la procédure de notification avec nous. En cas de demande d’avis, nous répondrons aux parties concernées dans un délai de 30 jours pour lui indiquer si la transaction est potentiellement de nature à réduire sensiblement la concurrence.

Lorsque la transaction est susceptible d’entraîner une diminution substantielle de la concurrence (diminution/perte substantielle de concurrence), nous procédons à une évaluation approfondie. Dans ce processus, nous nous engageons avec les parties pour leur expliquer nos préoccupations et explorer la possibilité de résoudre les problèmes de concurrence identifiées par des engagements.

Tout au long du processus, nous publions divers rapports à l’intention des parties, et nous sollicitons également leurs concurrents, pour souligner nos préoccupations en matière de concurrence et demander leur avis. Ainsi, oui, nous expliquons aux parties la règle du jeu tant avant la transaction que durant le processus d’évaluation des fusions et acquisitions.

Que dit la Loi sur la concurrence pour les entreprises en situation de monopole, notamment sur leur responsabilité vis-à-vis du marché et des consommateurs ?

La Loi sur la concurrence exige qu’une entreprise en situation de monopole n’abuse pas d’une position dominante sur le marché. Selon la Loi sur la concurrence, une situation de monopole est définie par rapport au seuil de part de marché d’au moins 30 % détenu par une entreprise ou 70% par trois entreprises ou moins. Les pratiques abusives se divisent en deux catégories. Primo, il y a la pratique d’exclusion, qui a pour objet ou pour effet d’exclure les concurrents réels et potentiels de manière anticoncurrentielle. En d’autres termes, l’entreprise en situation de monopole ne pratique pas la concurrence par les mérites.

« La commission n’est pas impliquée dans le contrôle de prix » – Deshmuk Kowlessur

Ces conduites comprennent : la pratique de prix d’éviction (predatory pricing) où l’opérateur réduit temporairement le prix en dessous des coûts afin d’évincer les rivaux du marché, pour ensuite le réajuster; les ventes liées et subordonnées (tying and bundling) où l’entreprise en situation de monopole conditionne l’offre de son produit principal de telle sorte que les acheteurs sont contraints d’acheter également d’autres produits de cette entreprise, et non de ses concurrents ; et les rabais et remises anticoncurrentiels (anti-competitive discounts), soit lorsque l’entreprise en situation de monopole accorde des rabais sur son produit de telle manière qu’un concurrent aussi efficace ne peut pas offrir le même produit et être compétitif. Et secundo, il y a la pratique d’exploitation – une conduite qui, de toute autre manière, constitue une exploitation de la situation de dominance. Cela comprend la fixation de prix excessifs, la réduction de la qualité, du choix ou du service. Les entreprises en situation de monopole ne doivent pas adopter des conduites d’éviction ou d’exploitation.

Impactées par la crise, certaines entreprises sont susceptibles de profiter de leur position de dominance sur le marché pour recourir à des pratiques de tarification qui soient au détriment des consommateurs. Au niveau de la Competition Commission, comment assurez-vous le suivi de la situation ?

Tout d’abord, je voudrais souligner qu’en examinant une situation de monopole, la Commission doit évaluer si l’entreprise en question est en position dominante ou non. La position dominante est la capacité d’une entreprise en situation de monopole à ajuster le prix (ou la production) sans contrainte effective de la part des concurrents ou des clients.

La Competition Commission ne peut intervenir dans les cas d’abus de situation de monopole que si l’entreprise concernée est en position dominante. Si ce n’est pas le cas, il est peu probable que l’entreprise soit en mesure de maintenir un comportement abusif. Les forces du marché vont autoréguler le marché.

Concernant votre question sur la conduite abusive en termes de prix excessifs, je répondrais que la Competition Commission est habilitée à enquêter et à prendre des mesures correctives en ordonnant aux entreprises concernées de revoir leur politique de prix. Il est important de souligner que la Commission est là pour protéger le processus de concurrence qui, en fin de compte, apporte des avantages en termes de prix et d’offres compétitifs sur le marché. Elle n’est cependant pas impliquée dans le contrôle des prix. Elle n’interviendra pas dans les cas où il existe des justifications commerciales sousjacentes aux augmentations de prix. Par exemple, celles liées à l’augmentation des coûts des matières premières ou du fret pour les produits importés.

Toutefois, lorsqu’un monopoleur persiste à pratiquer des prix sensiblement supérieurs aux coûts, cela constitue une pratique de prix d’exploitation et la Competition Commission interviendra.

Parlons du Budget 2021-2022. Le ministre des Finances a annoncé que l’État va créer l’environnement pour favoriser l’émergence de deux nouveaux piliers : l’énergie verte et le secteur des biotechnologies. Quels sont les garde-fous qu’il faut mettre en place pour s’assurer que ces secteurs se développent dans un environnement sain ?

Pour le développement de ces nouveaux secteurs (ce qui est également le cas pour les autres secteurs), il est important de créer un environnement commercial propice pour attirer les investissements et il y a des règles du jeu équitables pour l’accès au marché. À cet égard, le gouvernement a mis en place plusieurs incitations à l’investissement. Par exemple, le dernier Budget prévoit un capital de départ de Rs 1 milliard pour la biotechnologie afin de produire des vaccins et d’autres produits pharmaceutiques. Il existe également une multitude d’incitations fiscales sous forme de crédits d’impôt et d’exonérations fiscales. Concernant l’accès au marché, il est important de veiller à ce que les barrières à l’entrée, administratives ou autres, soient éliminées. La Loi sur la concurrence de Maurice vise également à garantir l’égalité des chances pour tous les opérateurs.

Selon le ministre des Finances, un groupe sud-africain est disposé à investir 300 millions d’euros dans ce projet. Comment créer l’environnement pour développer cette activité nouvelle ?

Les investissements dans les biotechnologies sont les bienvenus pour développer un nouveau secteur. En plus de créer des emplois et de stimuler l’économie, la production de produits comme les vaccins sera également bénéfique pour les patients locaux. Le rôle du gouvernement est de créer un environnement commercial propice pour attirer de tels investissements. Comme souligné ci-dessus, le gouvernement a mis en place plusieurs mesures et incitations pour promouvoir la biotechnologie. Il existe également un cadre réglementaire pour la fabrication de produits pharmaceutiques. Le Pharmacy Act, en particulier la partie VII, traite de la fabrication des produits pharmaceutiques.

Pour développer rapidement la filière de fabrication de vaccins, ne pensez-vous pas qu’il faudrait en urgence amender le Clinical Test Act ?

Bien qu’il s’agisse plutôt d’une question technique, je tiens à souligner qu’il existe différents niveaux dans la filière des produits pharmaceutiques. En amont, nous avons la phase de recherche et développement (R&D) où la question d’essai clinique est pertinente. Passé cette phase et après l’obtention des approbations d’autorisation de mise sur le marché, la fabrication du produit en tant que tel peut se faire. Pour la fabrication, l’entreprise doit disposer des droits de propriété intellectuelle pertinents (en particulier, les droits de brevet) du propriétaire et de la société qui a développé le produit et, finalement, sécuriser les autorisations de mise sur le marché. Je tiens à souligner que la R&D et l’usine de fabrication ne sont pas nécessairement situées dans le même pays ou effectuées par la même société. La société qui fabrique le produit doit avoir l’autorisation du propriétaire du produit. De toute évidence, un cadre réglementaire approprié permettant à la fois la R&D et la fabrication est le bienvenu. Néanmoins, il est important de souligner que la R&D nécessite d’énormes investissements qui sont principalement réalisés par des sociétés pharmaceutiques multinationales.

Au niveau de la Competition Commission, comment comptez-vous accompagner ce projet et le développement éventuel d’un secteur pharmaceutique offrant des services à valeur ajoutée ?

La Competition Commission n’est pas directement impliquée dans le suivi de la mise en œuvre du projet. Notre mandat consiste principalement à enquêter sur les comportements et les accords anticoncurrentiels. Toutefois, nous examinons et publions les conditions de concurrence sur les marchés afin d’y promouvoir la concurrence. Nous avons un rôle consultatif pour identifier les obstacles potentiels à la concurrence, qui peuvent également être d’ordre réglementaire, afin que les autorités compétentes prennent des mesures. Dans la mesure du possible, nous nous engageons auprès des régulateurs et des autres parties prenantes pour promouvoir un environnement commercial et réglementaire favorable à la concurrence.

Alors que l’économie mauricienne aborde une phase cruciale de sa transition, à quel point est-il important de se renforcer sur le plan de la réglementation ?

La crise a été un choc pour le marché. Elle a perturbé à la fois la demande et l’offre. Maintenant que nous sommes sur la voie de la reprise économique, il est important que tous les éléments du système économique fonctionnent de manière cohérente. Dans ce processus, la réglementation a un rôle important à jouer, mais elle doit être proportionnée et il ne doit pas y avoir de surréglementation non plus. Au sujet de la politique de concurrence, nous pensons qu’elle a un rôle important à jouer dans la reprise économique. Nous avons tiré les leçons de la Grande Dépression, où le droit de la concurrence était laxiste, ce qui a ralenti la reprise économique et provoqué des distorsions du marché. Dans la façon dont elles sont rédigées, les lois sur la concurrence sont plutôt flexibles et adaptables à divers scénarios de marché.

Comme mentionné plus haut, on a beaucoup réfléchi dans le monde entier à la question de savoir si la politique de concurrence devait être adaptée à la conjoncture économique actuelle. À l’exception de quelques problèmes circonstanciels mineurs, le cadre du droit de la concurrence est adaptable. En tant que tel, la formule reste la même, mais les variables changent. L’objectif de certaines autorités s’est déplacé. Par exemple, la numérisation a pris de l’importance et ces marchés, à savoir les marchés numériques, attirent davantage l’attention. Il est à noter que la Competition Commission mène un exercice de révision de la loi, à travers lequel elle a l’intention d’exercer une loi sur la concurrence plus robuste à Maurice. Cependant, cela n’est pas directement lié au contexte économique actuel.

« Enquêter sur des structures complexes est notre métier » – Deshmuk Kowlessur

 

Photos : Ejilen Ramasawmy 

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