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Désiré Elliah : Hôtellerie, l’industrie assez résiliente pour surmonter le coronavirus

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Désiré Elliah : Hôtellerie

Cela fait un an depuis que vous avez remplacé Paul Jones au poste de CEO de Lux Island Resorts. Votre nomination est intervenue après une importante restructuration au sein du groupe hôtelier et la séparation de Lux Island Resorts et de Lux Collective. Comment s’est passée cette transition ?

La transition s’est très bien passée. Avant la restructuration, j’étais le Chief Financial Officer du groupe et, de ce fait, Paul Jones et moi-même, nous nous parlions très souvent pour ne pas dire quotidiennement. J’étais au courant de tous les dossiers et de tous les projets. Paul Jones se focalisait sur les opérations, le marketing et la promotion de la marque, entre autres, alors que la trésorerie, les finances et l’interaction avec les banques étaient sous ma responsabilité.

Après la séparation, pour faire simple, les tâches susmentionnées ont été réparties sous deux entités différentes, à savoir Lux Island Resorts (LIR) Ltd et The Lux Collective (TLC) Ltd. Je suis donc désormais responsable des finances des établissements de LIR, que ce soit pour la rénovation ou la trésorerie de ses hôtels. Je dois m’assurer que le budget et les objectifs fixés par le conseil d’administration sont atteints et, bien entendu, en travaillant en étroite collaboration avec Paul Jones, qui est, pour sa part, responsable des opérations hôtelières. Nos responsabilités et rôles respectifs sont définis dans le contrat de gestion entre TLC et les hôtels de LIR.

Somme toute, nous avons aujourd’hui une structure plus agile où les tâches sont bien définies. Au vu des ambitions du groupe, il fallait qu’on bouge vers ce nouveau modèle.

La baisse des arrivées conjuguée à celle des recettes touristiques ont sérieusement impacté l’industrie ces 12 derniers mois. Cela s’est ressenti sur la performance semestrielle de Lux Island Resorts avec des profits de Rs 218 millions (juillet – décembre 2019). Peut-on dire que le secteur hôtelier est en pleine crise ?

Malgré la baisse des arrivées touristiques à Maurice, nos hôtels ont réalisé de belles performances avec une augmentation de 4 % du taux d’occupation et de 15 % du revenu moyen par chambre. Cela nous a permis d’enregistrer une hausse de revenus de 20 % par chambre disponible. Sur la base des résultats des autres groupes hôteliers, il semblerait que ces derniers aient également pu augmenter leur RevPar (revenu par chambre disponible). La baisse des profits à laquelle vous faites allusion, est principalement due à la fermeture de Merville Beach qui est en reconstruction pour devenir LUX* Grand Baie.

Le coût de fermeture de Merville Beach pour le semestre se terminant le 31 décembre 2019 était de Rs 40 millions. Si nous faisons une comparaison avec la même période en 2018, cet hôtel contribuait pour ce même montant à l’EBITDA (excédent brut d’exploitation) du groupe, ce qui résulte en un impact négatif de Rs 80 millions sur les comptes pour le semestre. Les résultats ont aussi été affectés par la performance de LUX* South Ari Atoll aux Maldives qui a vu ses profits baisser de Rs 50 millions. La cause principale de cette baisse est à attribuer au surplus de chambres sur cette destination. Si nous excluons Merville et LUX*South Ari, sur une base comparable, les résultats du groupe aurait augmenté de Rs 290 millions à Rs 348 millions pour le semestre. Donc, nous ne pouvons pas dire que le secteur hôtelier à Maurice est en crise, mais la vigilance reste néanmoins de mise.

Abordons la question de brûlante actualité : l’épidémie du coronavirus est en train de durement impacter l’industrie hôtelière. Déjà, plusieurs transporteurs ont suspendu leurs vols de et vers la Chine. Dans quelle mesure, cette épidémie affecte-t-elle la performance du secteur hôtelier ? La performance du marché chinois avait déjà été impacté bien avant le coronavirus. Les arrivées de Chine ont beaucoup diminué durant les cinq dernières années, passant de 90 000 en 2015 à 43 000 en 2019. L’industrie a certes enregistré quelques annulations surtout pendant la période festive chinoise, mais l’impact est minime. Il est difficile à ce stade d’en mesurer l’effet, comme nous l’avons fait ressortir quand nous avons publié nos derniers bilans financiers. L’industrie a montré dans le passé qu’elle est résiliente et elle devrait pouvoir surmonter la crise coronavirus. Nous espérons cependant qu’elle ne touche pas d’autres marchés car ce serait catastrophique pour l’industrie. De plus, le groupe a bien diversifié ses marchés et celui de la Chine représente aujourd’hui 5 % de notre clientèle.

Au sein du groupe, nous suivons la situation de près. Dans une démarche proactive, nous avons adopté nos propres protocoles. Car il est essentiel d’offrir le maximum de protection à nos clients et de les rassurer.

Face à la baisse des arrivées de la Chine, quelle est la stratégie de LUX* pour maintenir sa performance, notamment, au niveau du taux de remplissage dans ses huit hôtels à Maurice et dans la région ?

Une bonne diversification est la méthode la plus sûre dans ce genre de situation. Il existe des opportunités sur des marchés, tant à proximité qu’ailleurs, tels que La Réunion, l’Afrique du Sud et le Moyen-Orient. Je suppose qu’Air Mauritius et les autres compagnies aériennes vont réallouer les sièges d’avion sur d’autres marchés.

Cette période difficile que le monde traverse avec le coronavirus peut être aussi une source d’opportunités pour Maurice. Nous pouvons éventuellement capter cette clientèle touristique qui annule son séjour en Asie. Il ne faut pas oublier que nous sommes une petite île entourée d’eau et qu’il est plus facile d’empêcher une éventuelle propagation du virus sur notre territoire.

Le Royaume-Uni et l’Allemagne, qui sont deux de nos principaux marchés européens, sont en perte de vitesse, notamment, en raison de facteurs conjoncturels. Le groupe envisage-t-il de moduler ses prestations pour redynamiser ces marchés ?

La baisse des deux marchés précités est conjoncturelle et liée surtout à une baisse de la capacité de certaines compagnies aériennes. Le problème de ces marchés peut être résolu avec une augmentation de la capacité aérienne. Je sais qu’il y a une demande de certaines compagnies pour une augmentation des sièges d’avion. Au niveau de nos hôtels, nous sommes très présents sur ces deux marchés et sommes également très bien commercialisés.

Je voudrais aussi attirer l’attention sur le fait que ces deux marchés ont enregistré de très bonnes performances aux Maldives et aux Seychelles durant l’année 2019 avec une croissance à deux chiffres. Ce qui m’amène à conclure qu’ils ne sont pas en perte de vitesse.

Par ailleurs, les derniers chiffres de Statistics Mauritius pour le mois de janvier montrent une reprise sur le marché allemand, avec une croissance de 26,1 %. Il faut aussi souligner la progression de 12,4 % des arrivées touristiques durant cette période. Ce sont de bons signaux.

Depuis le mois de janvier, la livre sterling joue au yo-yo, mais généralement, elle s’est légèrement renforcée. Cela dit, le Brexit aura-t-il un impact positif ou négatif sur le tourisme ?

Personnellement, je suis soulagé que ce climat d’incertitude soit maintenant derrière nous. Je pense que le marché sera redynamisé. Le voyage est un élément important dans la vie d’un Anglais. La question du Brexit représentait une incertitude et je pense que la performance de ce marché va nettement s’améliorer. Cependant, comme mentionné plus haut, les Anglais ont voyagé en 2019 même si chez nous, le marché a contracté de 6,8 % sur l’année. L’impact du Brexit sur le taux de change est difficile à prévoir à ce stade.

L’une des forces de Lux Island Resorts, c’est que vos revenus journaliers par chambre sont en constante hausse. À quoi attribuez-vous cette performance ?

La concurrence est une bonne chose pour l’industrie. La créativité demeure le centre des préoccupations des hôteliers qui se rendent bien compte que l’expérience client est le nerf de la guerre. Nous augmentons nos revenus uniquement si le client est preneur et demande plus. Pas de secret : l’offre et la demande dictent le jeu. Si l’expérience plaît, le client paiera plus cher et demandera encore plus.

Il faut toutefois être attentif à l’offre. Celle-ci doit être d’un bon rapport qualité/ prix. Et lorsque vous faites cet effort, les clients partagent leur expérience et petit à petit, la réputation est établie.

À Maurice, Lux Island Resorts se positionne dans le segment haut de gamme. Votre stratégie est-elle de vous renforcer dans ce créneau ?

Il y a dix ans, le groupe a procédé à un exercice de rebranding en créant la marque LUX*, que nous positionnons effectivement dans le segment haut de gamme. Comme le dit toujours Paul Jones, le plus important, c’est l’expérience du client.

Nous allons continuer sur cette même dynamique, notamment avec l’inauguration du LUX* Grand Baie à Maurice. Cependant, notre compagnie sœur, The Lux Collective, possède également d’autres marques, notamment, SALT, Tamassa et SOCIO.

Le groupe est connu pour avoir toujours eu un ratio sur endettement gérable. Cela vous donne-t-il de la visibilité pour vos investissements futurs ?

L’endettement du groupe, à ce jour, se situe approximativement à hauteur de Rs 4 milliards et représente un gearing de 42 %, ce qui est bien en dessous de l’industrie. Même après le redéveloppement de Merville Beach en LUX* Grand Baie, pour un montant de Rs 2,6 milliards, qui sera financé par des emprunts bancaires et la vente de quelques villas et résidences, l’endettement du groupe n’augmentera pas de façon substantielle. Nous essayons de maintenir le gearing en dessous du seuil de 45 % fixé par le conseil d’administration. Afin de ne pas mettre la pression sur la trésorerie du groupe, nous ne considérons qu’un seul projet de rénovation à la fois.

Selon certains observateurs, Maurice n’est plus aujourd’hui une destination cinq-étoiles. Il s’est d’ailleurs fait devancer par les Seychelles et les Maldives dans ce segment. Qu’en est-il ?

L’offre hôtelière locale est majoritairement composée d’établissements quatre- et cinq-étoiles (soit 56 % des hôtels et 77 % du total des chambres disponibles). Cependant, l’hôtellerie dans son ensemble, avec ses 110 établissements, ne compte que pour environ 65 % de la capacité en termes de chambres de l’île. Le reste, soit 35 % des chambres, est fourni par un millier de maisons d’hôtes et de résidences touristiques dûment enregistrées. De plus, il faut composer avec l’informel, à travers Airbnb entre autres, ce qui nous amène à penser que finalement, l’hôtellerie ne capte qu’un touriste sur deux. Forcément, la destination reflète aussi son offre d’hébergement. Or, celle-ci est tellement variée aujourd’hui, avec la part de l’hôtellerie de luxe mise en minorité, qu’il n’est pas étonnant de lire ce genre de commentaire.

Cela dit, notre hôtellerie de luxe se défend plutôt bien. Malgré les difficultés conjoncturelles, nous arrivons à tenir la gageure face à la concurrence d’autres établissements dans les destinations concurrentes. L’hospitalité mauricienne est une référence, même s’il y a un manque chronique de main-d’œuvre adéquatement formée. Que nous puissions être moins bien perçus que les Seychelles ou les Maldives dans le segment supérieur ou dit de luxe est, selon moi, un avis relativement partagé. Il faut également savoir que les tarifs hôteliers pratiqués dans ces deux destinations concurrentes, établissement pour établissement comparable, sont quand même beaucoup plus élevés avec des marges grandement bénéficiaires pour les opérateurs. Donc, à partir de là, l’offre de prestations hôtelières peut être augmentée beaucoup plus facilement.

L’industrie du voyage connaît de profonds changements. Par exemple, en Europe, les jeunes veulent de moins en moins voyager par long-courrier. Et d’autres prônent les destinations écolos. Comment Lux Island Resorts s’adapte-t-il à ces changements structurels ?

Nous sommes pleinement conscients de ces changements et que l’avenir se vivra autrement pour le voyageur de demain. Nous nous y préparons depuis toujours et nous avons déjà élaboré des orientations stratégiques en ce sens. Nos offres comprennent des programmes d’engagement de nos clients sur nos valeurs communes, des invitations à participer à nos efforts de préservation et de maintien de notre environnement, ainsi que des expériences de tourisme respectueuses des principes d’un tourisme durable. Toutes nos opérations sont aujourd’hui alignées sur ce qui peut se faire de mieux en matière de développement durable.

Les personnes voyagent pour des raisons nouvelles, leurs aspirations évoluent et il nous faut être de plus en plus pointu dans la connaissance de ce que désirent nos futurs clients. TLC a récemment fait une étude sur le comportement de la clientèle, et elle a été très révélatrice. Le SALT of Palmar, qui se positionne dans le segment d’éco-hôtel, répond aux besoins de cette nouvelle clientèle qui est à la recherche d’authenticité, de contact avec la population, de même qu’une approche plus responsable.

Les hôteliers doivent aussi composer avec le phénomène de location hôtelière Airbnb. Comment s’adaptent-ils ?

L’hôtellerie, dans une destination comme Maurice, reste une marque de fabrique très forte. Il est de notre devoir de nous maintenir et de nous adapter aux nouvelles dimensions de l’économie circulaire ou de partage. Les meilleurs établissements hôteliers devront résister à l’épreuve du temps. Cela dit, les difficultés surgissent car le phénomène Airbnb prend une ampleur démesurée et reste en dehors du contrôle des autorités du tourisme.

Dans ce contexte, on ne peut pas dire que les règles du jeu sont équitables. La destination dans son ensemble prend de gros risques. C’est ce qui se passe en ce moment avec l’offre Airbnb concernant des établissements non enregistrés (au moins 3 000 selon l’Association des hôteliers et restaurateurs de l’île Maurice) et pire encore, avec au moins 200 établissements préalablement enregistrés n’ayant pas renouvelé leurs permis d’exploitation durant ces deux dernières années. C’est dire comment l’informel est devenu chose courante et nous prévoyons une amplification de ce phénomène dans les années à venir à moins que les autorités ne réagissent promptement.

Parlons de la rénovation du Merville Beach. Dans quelle mesure, l’établissement renforcera-t-il l’offre de Lux Island Resorts ?

L’ouverture de LUX* Grand Baie est programmée pour le premier trimestre de 2021. C’est une nouvelle opportunité pour nous de proposer une offre différente et nouvelle à Maurice, et ce, tout en restant dans l’esprit LUX*. Nous ne pouvons pas tout dévoiler à ce stade. Nous vous réservons la surprise. Ce que je peux dire, c’est que le Merville Beach, qui est un 3+ étoiles deviendra un cinq-étoiles. Il sera le fleuron de la marque LUX*.

Au vu des enjeux dans l’industrie du voyage, ne pensez-vous pas que l’heure est propice pour organiser des Assises du tourisme ?

Des Assises sont un outil comme un autre pour avancer. À ce jour, nous ne sommes ni pour ni contre. Les gros enjeux, les grandes questions ou encore les problématiques complexes de l’industrie sont connus et les éléments de réponse sont également disponibles. Tout a été largement débattu sur tous les forums connus.

En clair, il s’agit maintenant d’enclencher des processus de prises de décision conjointes, en toute honnêteté et en toute objectivité. D’autres mécanismes que des Assises existent et nous devons être pragmatiques et efficaces car il y a urgence sur plusieurs secteurs de notre industrie touristique, avec des problématiques à résoudre telles que la connectivité aérienne, l’état de l’environnement, la sécurité et le manque de main-d’œuvre formée.

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