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Égalité des genres : La crise va-t-elle freiner ou accélérer l’ascension des femmes ?

Égalité des genres : La crise va-t-elle freiner ou accélérer l’ascension des femmes ?

Malgré les avancées vers l’égalité entre hommes et femmes, la Mauricienne peine toujours à percer dans les sphères décisionnelles. Car le plafond de verre cède difficilement. Un autre facteur vient aujourd’hui peser dans la balance : c’est bien évidemment la crise. Les rapports d’institutions internationales sont clairs : la pandémie représente un recul pour les femmes, en particulier sur le plan professionnel. Mères de famille, elles ont subi une pression supplémentaire pendant le confinement. Mais voyons le côté positif : en cette période de reconstruction, les entreprises se doivent de privilégier les compétences. Estce le moment propice pour la femme de s’affirmer et faire valoir ses qualités de leadership ? Alors que la Journée internationale de la femme sera célébrée ce 8 mars, l’heure est à la réflexion.

À Maurice, comme ailleurs dans le monde, la femme s’est grandement émancipée sur le plan économique depuis les années 70. En dépit de ses responsabilités familiales, elle a su s’imposer professionnellement. Mais on le sait : le milieu du travail reste fortement masculin, pour ne pas dire sexiste. Et la femme est toujours discriminée quand on en vient aux pratiques salariales. De même, elle est toujours sous-représentée à des postes décisionnels dans le secteur privé. C’est le phénomène du plafond de verre qui fait que l’accès au sommet de la hiérarchie est bouché.

Une étude conjointe du Mauritius Institute of Directors (MIoD) et de Korn Ferry en janvier 2019 vient souligner une disparité criarde sur la représentation des genres sur les conseils d’administration. Il ressort que seulement 8,7% des femmes siègent sur les conseils d’administration contre 30 % en moyenne en Europe et 10,2% en Asie-Pacifique. Toutefois, précise le rapport, ce taux a augmenté de manière significative depuis l’étude précédente menée en 2014, lorsque seulement 4,58 % des rôles de direction étaient occupés par des femmes. Concernant la représentation féminine au sein des comités de direction, elle était de 5,6 %. Les comités d’audit présentent la plus forte proportion de représentation féminine avec 9,5 % des Chairpersons et 11,5 % des directeurs étant des femmes.

“Le milieu du travail reste fortement masculine.”

Cela dit, quel sera l’impact de la crise sur le processus d’émancipation économique de la femme ? La crise va-telle mettre en péril les progrès réalisés ces cinquante dernières années ? Ou va-t-elle, au contraire, provoquer un déclic et faire céder plus rapidement le plafond de verre ? Selon le Fonds monétaire international (FMI), la femme ressent davantage l’impact de la crise. D’où l’éventualité d’un creusement de l’inégalité hommefemme. Pour Bretton Woods, les problématiques affectant le leadership et l’évolution socio-économique des femmes doivent être adressées le plus vite possible, notamment à travers l’application de quotas concernant la représentation féminine au sein des instances décisionnelles, la discrimination positive et des incitations pour permettre à la femme d’équilibrer ses responsabilités professionnelles et familiales. Alors qu’on entre dans une nouvelle normalité, un ensemble de facteurs semblent jouer contre l’avancement de la gent féminine. Parmi, la déscolarisation, la perte accrue de l’émancipation financière ou des conditions de travail précaires et un plus haut niveau de stress. Un contexte qui est loin d’être favorable à l’évolution socio-économique de la femme et sa capacité à occuper des postes de leadership au sein de l’entreprise.

Pour le FMI, la situation se corse du fait que les femmes travaillent majoritairement dans le secteur des services comme l’hospitalité, l’hôtellerie et l’industrie du voyage. Des filières économiques qui sont lourdement impactées par la crise. Ainsi, à Maurice comme à travers le monde, un nombre important de femmes se retrouvent dans une situation de précarité économique.

Autre constat : les femmes travaillent le plus souvent dans le secteur informel, avec des salaires bas et des prestations sociales inexistantes. Ainsi, elles sont plus sujettes à se faire exploiter en cette période de crise.

Qu’en est-il à Maurice ? Est-ce que la crise freine la femme ? Ou bien sera-t-elle un catalyseur pour s’affirmer sur le plan professionnel ? De l’avis de Valérie Imbert-Kerambrun, fondatrice et Managing Director d’Europestone Management, «la nouvelle normalité ouvre un vaste champ des possibles et l’optimiste, que je veux être, pense qu’elle ouvre par là même des potentialités. Les nouvelles façons de travailler sont plus adaptées à l’emploi du temps de la femme. On commence à réfléchir de manière un peu plus holistique, intégrant le professionnel dans un tout indissociable. C’est le moment d’écrire notre normalité. Je connais plusieurs femmes qui ont profité d’être au pied du mur pour changer de voie et essayer autre chose», soutient-elle.

De son côté, Jessyca Joyekurun, directrice d’Expand Human Resources et consultante en ressources humaines, fait remarquer qu’il y a eu des avancées notables dans le processus d’automatisation financière et au niveau de l’entrepreneuriat féminin. Cela, grâce notamment à un renforcement de notre cadre législatif. «Il y a eu une grande amélioration depuis la mise en place de l’Equal Opportunities Act à Maurice quand il s’agit du recrutement. Car autrefois, c’était normal de lire une annonce de recrutement dans les journaux, qui précisait que ceux qui postulaient devraient être des hommes ou des femmes. Cela a été aboli. Cependant, il reste une amélioration à faire en interne dans les entreprises et encore une fois, tout se rapporte à la culture. L’exemple doit venir d’en haut si l’on veut modeler cette culture. Il persiste un préjugé que si on recrute une femme pour un poste, surtout si elle est jeune, quand elle va se marier et avoir des enfants, elle ne pourra pas être autant dévouée à son travail. Mais des chefs d’entreprise et des femmes entrepreneurs ont bien prouvé le contraire. Certes, la discrimination n’est plus flagrante dans le recrutement ou dans une annonce de recrutement, mais il existe des non-dits dans les entreprises. Il y a une certaine mentalité de direction masculine qui préfère toujours recruter un homme plutôt qu’une femme à certains poste», souligne-t-elle.

Abordant la question de représentation féminine, que ce soit dans la fonction publique, le secteur privé ou dans la sphère politique, Deeptee K. Bungaree-Gooheeram, directrice pays pour Maurice de l’UK Department for International Trade, estime que nous sommes très loin du compte. «Quoique Maurice, quel que soit le gouvernement à la tête, s’est toujours caractérisé par une politique volontariste en faveur des droits des femmes et pour la suppression des inégalités entre les sexes, il y a malheureusement une déconnexion entre le vouloir et le faire. Aujourd’hui, nombre de partis politiques, d’entreprises et d’institutions gouvernementales appliquent la règle de la case à cocher : pour être un bon parti ou une bonne institution, ils s’efforcent de respecter l’exigence minimale de femmes candidates aux élections ou occupant des postes de décision. Il ne s’agit pas d’une veritable ambition ou de la volonté. Cependant, dans les pays développés, on peut constater un véritable changement avec les femmes à la tête des États, de Margaret Thatcher à Jacinda Arden. Aujourd’hui, dans le monde entier, l’émancipation des femmes est devenue l’un des objectifs de développement du 21e siècle. En ce qui concerne l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes, Maurice a entrepris une révision exhaustive des lois et a adopté d’importantes mesures législatives pour protéger et promouvoir les droits des femmes. Toutefois, en dépit de ces avancées positives jusqu’à présent, il demeure de nombreux domaines de préoccupation. Même si l’égalité des sexes a été réalisée dans le domaine de l’éducation, les femmes sont toujours confrontées à des inégalités dans l’accès à l’emploi et la participation au gouvernement», fait-elle ressortir.

“La représentation féminine sur les comités de direction est de 8,7 %.”

Elle est rejointe par Marie-Noëlle Elissac-Foy, consultante en relations publiques et directrice de The Talent Factory, qui est d’avis que le niveau de leadership féminin à Maurice n’est qu’un reflet du taux dans les pays développés et considérés comme modèles en la matière. «Les choses se passent elles mieux ailleurs, dans d’autres pays ? Je dirais non. Nous vivons dans un monde régi par le patriarcat, que l’on soit à Maurice, en Europe, aux États-Unis, en Asie. C’est un système bien ancré qui régit et influence la place des femmes dans les instances de décision. L’on a tous applaudi à l’élection de Kamala Harris, mais elle reste une exception. Aujourd’hui, il y a très peu de pays qui peuvent se vanter d’avoir atteint la parité. Est-ce que l’indice de développement influe sur l’égalité des genres ? La parité devient une réalité lorsque ceux qui détiennent le pouvoir – économique, décisionnel, social – y croient et apportent des changements. Ces changements tarderont à venir tant que le pouvoir restera principalement entre les mains des hommes. Si les entreprises ont besoin d’être accompagnées dans leur recherche de femmes talentueuses, ces dernières doivent être encouragées et soutenues pour se lancer, développer les compétences dont elles auront besoin dans leur future mission. Pour qu’il y ait un changement, il faut créer, ‘’nurture’ à la fois un pipeline d’alliés masculins et un pipeline de talents féminins dans ces sphères de décision», recommande-t-elle.

Pour donner les moyens à la femme de s’affirmer davantage d’un point de vue professionnel, le FMI recommande qu’on accorde des incitations pour qu’elle puisse mieux équilibrer ses responsabilités professionnelles et familiales et qu’on augmente l’accès aux soins de santé et à la contraception, entre autres. Des mesures qui devraient favoriser l’autonomisation de la femme et le leadership féminin. «Pour aller plus vite, il est important d’imposer des quotas pour rééquilibrer la parité et forcer un peu la main de ceux qui n’ont pas encore compris la richesse d’avoir les deux pôles de l’humanité autour d’une table de conseil d’administration», soutient Valérie Imbert-Kerambrun.

«Ils seront vite convaincus qu’on gagne à voir à travers les lorgnettes de Mars et de Vénus. Je ne suis pas féministe, mais féminine et humaniste. Les avantages sont nombreux : les problématiques des femmes sont différentes de celles des hommes. Seules les femmes peuvent comprendre cela. Elles sont souvent plus collaboratives, pointilleuses ou empathiques même si elles peuvent être trop émotives. Dans tous les cas, elles ont une approche différente qui va apporter un autre sens dans l’analyse», ajoute notre interlocutrice.

Mais est-ce que les femmes sont prêtes à occuper les plus hautes fonctions ? Du reste, il y a un courant de pensée patriarcal qui veut qu’elles soient moins ambitieuses que les hommes. À cela, Marie-Noëlle Elissac-Foy répond : «J’en ai marre de ce cliché sur les femmes qui manqueraient d’ambition afin d’expliquer pourquoi elles sont absentes des sphères de décision; c’est trop facile ! Cela permet de rejeter la responsabilité de sa progression sur les femmes et non sur un système sociétal qui représente parfois un obstacle à cette progression. Pourquoi ne pas retourner la question aux hommes en position de décider et de promouvoir davantage de femmes ? Quels engagements prennent-ils en tant que chefs d’entreprise, présidents de conseil d’administration pour promouvoir davantage de femmes ? Les femmes sont toutes aussi ambitieuses que les hommes. Légitiment.» La vraie question, ditelle, est de se demander si les femmes ont accès aux mêmes opportunités, si le monde du travail s’adapte aux multiples rôles et responsabilités de la femme.

LA CRISE, UN COUP D’ARRÊT
Dans un sondage mondial réalisé en décembre 2020, Deloitte souligne que sept femmes actives sur dix ayant connu une mutation négative dans leur routine depuis l’éclatement de la pandémie pensent que la progression de leur carrière va connaître des limitations. Fort de ce sondage sur un échantillon de 400 femmes actives de neuf pays, le cabinet Deloitte estime que l’heure est à l’action. Et Emma Codd, Global Inclusion Leader de Deloitte, de faire ressortir : «Nous sommes à un point d’inflexion. Sans aucune visibilité actuellement sur la fin de la pandémie, il est vital pour les organisations de se mobiliser pour faire face à ce moment et à ses défis spécifiques, où nous risquons de subir un revers majeur dans notre poursuite de la parité des sexes sur le marché du travail mondial». La problématique d’égalité des genres sera d’ailleurs débattue sur tous les fronts lors de la Journée internationale de la Femme ce 8 mars. Au niveau de l’Organisation Internationale du Travail, on organisera une table ronde sur le thème : «Comment contrer l’impact régressif de la Covid-19 sur l’égalité des genres».

LES FEMMES MOINS ENCLINES À TOUCHER DES SALAIRES ÉLEVÉS

Tout au bas de l’organisation, la parité salariale est presque identique entre les femmes et les hommes. Mais, à mesure que l’on grimpe dans la hiérarchie, il y a une disparité grandissante dans les salaires pratiqués. Compte tenu de la faible représentation des femmes au sommet de la pyramide, elles sont moins enclines à toucher des salaires élevés. «Les hommes ont tendance à gagner plus et, dans certains cas, les femmes font face à une situation où on fait mijoter une promotion trop longtemps. Soit on leur reproche une performance basée sur des raisons absurdes et injustes. Ou encore, on avance l’argument qu’elles ne pourront pas travailler pendant de longues heures. De plus, certains postes demandent qu’on voyage. Cela peut exclure une mère de famille, par exemple. Si cette mentalité perdure, cela accentuera la migration des cerveaux des jeunes femmes à l’étranger. Sur le long terme, cela n’améliorera pas notre diversité et ne reflétera pas la capacité réelle de la force active des femmes à Maurice», souligne Jessyca Joyekurun, consultante en ressources humaines.

GENDER GLOBAL GAP INDEX : COMMENT INTERPRÉTER LA PERFORMANCE DE MAURICE.

L’édition 2021 du Global Gender Gap Index et la prochaine étude du MIoD et de Korn Ferry, qui sera initiée en mai prochain, devraient donner une idée de l’évolution de la situation au niveau de l’égalité des genres. En attendant, ce que l’on sait, c’est qu’en termes de participation et d’opportunité économique, d’émancipation politique, de santé et de survie, et de réussite éducative, Maurice se classait à la 115e place du Global Gender Gap Index de 2020, qui recense 153 pays. Le pays perd ainsi six places par rapport à son classement de 2018 en matière d’égalité hommes-femmes.

Par ailleurs, Maurice se positionne à la 112e place dans l’égalité hommesfemmes pour le taux de participation dans le secteur de l’emploi, à la 87e place pour l’égalité des salaires hommes-femmes pour travail identique, ou encore la 102e place au niveau des professions techniques et professionnelles. Concernant la représentation féminine au sein de l’Assemblée nationale, le pays se classe à la 131e place et occupe la 121e position concernant les postes ministériels.

«Maurice a perdu quelques places dans l’indice mondial des disparités entre les sexes, tout en restant en tête d’une série d’autres indices tels que l’indice Mo Ibrahim et The Ease of Doing Business in Africa. L’asymétrie croissante dans la distribution des droits dans un contexte de plus en plus égalitaire peut conduire à l’escalade des politiques identitaires, au renforcement des hiérarchies et des divisions entre les sexes ainsi qu’à la violence», prévient l’économiste Verena Tandrayen-Ragoobur dans The Gender Divides of the Mauritian Society: Re-Appropriating the empowerment and citizenship discourse.

Également éditrice de cette publication lancée en début de semaine, l’Associate Professor in Economics à l’Université de Maurice et huit autres femmes universitaires s’interrogent sur le concept d’émancipation, de citoyenneté et de justice de genre.

L’emploi étant un facteur incontournable pour l’évolution socio-économique des femmes et la promotion de leur citoyenneté, la position des femmes sur le marché de l’emploi permet de définir de manière empirique son statut, observe l’économiste Verena Tandrayen-Ragoobur dans son ouvrage.

L’ÉDITRICE DE L’OUVRAGE, VERENA TANDRAYEN-RAGOOBUR, S’INTERROGE SUR LA PARITÉ HOMME-FEMME

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