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Harvesh Seegolam : «L’indépendance de la Banque Centrale est un principe sacro-saint»

Afin d’endiguer la crise, la Banque de Maurice a dû adopter un éventail de solutions conventionnelles et non conventionnelles. Car il fallait agir urgemment, se concerter et trouver des solutions réelles à des problèmes inédits. C’est en substance ce qu’affirme le gouverneur de la Banque de Maurice, Harvesh Seegolam, dans un entretien accordé à Business Magazine. Commentant les recommandations du Fonds Monétaire Onternational (FMI) selon lesquelles il faudrait que la Mauritius Investment Corporation passe sous le contrôle de l’état et soit financé par la politique budgétaire, il soutient qu’à ce stade, il est impératif de conserver l’institution comme une subsidiaire de la banque de maurice afin qu’elle puisse soutenir les entreprises systémiques et viables touchées par la pandémie et créer de la richesse pour les générations à venir.

Vous avez pris vos fonctions une semaine seulement avant l’éclatement de la crise. Quand on considère que la Banque centrale a injecté massivement de la liquidité dans l’économie, peut-on se hasarder à dire que vous êtes particulièrement sensible à la pensée friedmanienne? Comment qualifieriez-vous votre style ?

Cette crise inédite a requis que la Banque de Maurice prenne des mesures exceptionnelles et parfois non conventionnelles. Notre préoccupation première reste toujours la mise en œuvre de tous les moyens pour préserver la stabilité du système bancaire et empêcher que la pandémie n’engendre une crise financière. Comme vous l’avez mentionné, ma prise de fonction comme Gouverneur de la Banque de Maurice s’est faite dans un contexte des plus particuliers. Avec l’arrivée de la pandémie et ses conséquences, il a fallu combattre sur plusieurs fronts pour créer un juste équilibre. Ma priorité reste toujours d’assurer la stabilité financière, de maintenir les opérations bancaires et financières, d’apporter le soutien nécessaire aux entreprises et de mettre en place des mesures en faveur des foyers mauriciens. Et tout cela en protégeant l’économie du pays.

Afin d’endiguer la crise, Il a été nécessaire d’agir promptement à travers un éventail de solutions conventionnelles et non conventionnelles. Le contexte auquel nous avons été confrontés a bouleversé toutes les philosophies économiques préétablies. La seule option a été d’agir urgemment, de se concerter et de trouver des solutions réelles à des problèmes inédits. C’est l’approche que je prône. La Banque maintient un dialogue constant avec les acteurs du secteur bancaire. J’ai d’ailleurs chargé mes deux adjoints de suivre de très près les mesures introduites sous le Covid-19 Support Programme ainsi que la résilience du secteur bancaire dans le contexte actuel. Ma priorité reste de protéger le secteur bancaire et les intérêts des dépositaires. La seule philosophie qui guide mon action depuis le début de la crise peut se résumer en trois mots : action, protection, soutenabilité.

Jusqu’ici, le soutien de la Banque de Maurice à l’économie réelle est calculé à Rs 109 milliards ou 25,4 % du PIB. Où se compare-t-on par rapport à l’enveloppe d’aide déployée par d’autres banques centrales ?

Il est important de souligner que la Banque de Maurice échange régulièrement des points de vue avec d’autres banques centrales à travers le monde. Ce dialogue est d’autant plus important que les banques centrales jouent un rôle clé dans la reconstruction des économies touchées par la Covid-19, notamment celles des petits États insulaires.

Le dernier rapport du FMI entreprend une évaluation comparative de l’importance relative des mesures de soutien qui ont été déployées par les autorités depuis le début de la crise. Cela dit, il ne s’agit pas simplement d’une question d’analyse comparative. Chaque pays est confronté, en fonction de sa structure économique, à des défis et à des préoccupations économiques qui lui sont strictement propres.

Ce qui compte dans l’exercice de diagnostic qui se fait avant l’élaboration des mesures, c’est le degré de vulnérabilité à des chocs et la disponibilité de différents volants de sécurité pour s’en prémunir. Dans le cas de Maurice, le tourisme représente une part importante de notre économie. Ainsi, la pandémie a eu un impact discriminatoire sur les sous-secteurs qui dépendent du tourisme pour leur survie. Toutefois, chaque pays a ses spécificités et, de ce fait, s’engager dans un exercice de comparaison entre différents pays n’apportera aucun éclairage additionnel. Ce dont nous devons vraiment tenir compte, c’est ce qui se serait passé si nous n’étions pas intervenus.

La Banque de Maurice reste en première ligne pour aider le pays à relever les défis et sauvegarder la confiance dans le secteur bancaire. Il faut surtout prendre en considération les moyens historiques que la Banque centrale a mis au service du pays, des banques commerciales, des PME, des grandes entreprises et de la population.

Si la posture de la Banque de Maurice est saluée par la Banque mondiale et le FMI, il n’empêche que ces institutions insistent pour que la BoM se recentre sur ses missions premières : la politique monétaire, la stabilité des prix et la consolidation de la régulation bancaire. Ce processus est-il déjà enclenché ?

Vous soulignez avec justesse que la Banque mondiale et le FMI ont effectivement salué les initiatives prises par la Banque de Maurice. D’ailleurs, les actions prises par Maurice face à la pandémie ont été reconnues à travers le monde comme étant parmi les mesures les plus efficaces.

La Banque de Maurice n’a à aucun moment perdu de vue son mandat statutaire. En fait, elle s’est penchée davantage sur l’élaboration de politiques appropriées alors que le pays était secoué par la pandémie. Il est important de voir les choses du bon angle et de souligner la pertinence des mesures clés introduites par la Banque et leurs retombées. Depuis mars 2020, la politique monétaire a été assouplie afin de soutenir les foyers et les entreprises, et l’économie entière. Des taux d’intérêt plus faibles ont permis d’alléger la charge financière sur ces secteurs dans un contexte difficile. Le FMI soutient pleinement cette approche accommodante dans un contexte de ralentissement économique.

Dans l’absence de l’arsenal de mesures utilisées par la Banque centrale, la contraction économique aurait été plus prononcée. Avec la normalisation graduelle de la situation économique, la Banque de Maurice a amplifié ses opérations d’open market en vue de ramener l’excès de liquidité à des niveaux plus tolérables dans les circonstances actuelles.

Les rendements sur les marchés financiers ont connu une hausse depuis le premier trimestre 2021 et ils sont dans la fourchette du taux d’intérêt. Sur un autre plan, la régulation et la supervision bancaire ont aussi fait l’objet de plusieurs mesures, notamment dans le cadre du Covid-19 Support Programme que j’ai introduit en mars 2020. Si toutes ces mesures n’avaient pas été introduites, la contraction économique aurait été encore plus prononcée et la solidité du secteur bancaire aurait été mise à mal.

À cela, il aurait fallu ajouter les pertes d’emploi et les risques de défauts des entreprises et la propagation de la contagion au secteur bancaire. Ces mesures ont contribué à contrôler la propagation de la contraction au niveau de l’économie réelle vers le système bancaire. Elles ont accordé de la flexibilité et du répit aux banques de même qu’à leurs clients, atténuant ainsi les contrecoups de la pandémie. La résilience des banques traduit l’efficacité de nos mesures. Cela fait plus d’un an que nous sommes dans un contexte marqué par la pandémie, et le secteur bancaire se porte bien.

Il s’agit aussi de se concentrer sur le renforcement du système bancaire. Une de mes priorités est la mise en place de l’autorité macro-prudentielle sous la tutelle de la Banque de Maurice et du rôle qu’elle jouera. L’autorité macro-prudentielle nous aidera davantage, d’une part, à identifier et jauger les risques et les vulnérabilités du système et, d’autre part, à mettre en place les politiques nécessaires pour maintenir la stabilité du système financier mauricien tout entier. Nous avons déjà commencé à travailler sur la création du cadre institutionnel de l’autorité macro-prudentielle.

Sur le plan de la politique monétaire, j’avais annoncé en septembre 2020 qu’une révision en profondeur du cadre de politique monétaire était nécessaire en vue d’optimiser son efficacité. Cet exercice est crucial car les marchés financiers de même que la structure économique ont grandement évolué depuis l’introduction du cadre existant en décembre 2006. Mon objectif est la mise en application du nouveau cadre de politique monétaire avant fin 2021.

«Ma priorité reste de protéger le secteur bancaire et les intérêts des dépositaires»

Pouvez-vous nous donner l’assurance que la Banque de Maurice est totalement indépendante dans ses décisions touchant à la politique monétaire ?

Oui. L’indépendance de la Banque est un principe sacro-saint. Ma ligne de conduite est très claire sur ce point : dialogue ne veut pas dire complaisance ou dépendance.

 Parlons de la Mauritius Investment Corporation. Le FMI recommande que ce SPV passe à l’avenir sous le contrôle de l’État et soit financé par la politique budgétaire ou encore qu’elle intègre la Banque de Développement. Se dirige-t-on vers un scénario où la Banque de Maurice va se désengager de la MIC ?

Je tiens à réitérer les raisons pour lesquelles la Banque a créé la Mauritius Investment Corporation Ltd (MIC). La MIC a été mise sur pied pour soutenir les entreprises systémiques et viables touchées par la pandémie et créer de la richesse pour les générations à venir. Par conséquent, la MIC, en tant qu’instance sous la tutelle de la Banque de Maurice, a contribué à maintenir la stabilité financière et à sauver des emplois. Si les entreprises systémiques n’avaient pas obtenu ce soutien, elles auraient pu être en défaut et auraient ainsi mis en danger le secteur bancaire.

Cela aurait eu des conséquences dramatiques sur l’économie réelle, tant en termes de faillites que de licenciements. En outre, nous effectuons des stress tests réguliers sur le secteur bancaire. Les résultats démontrent une résilience confortable. Au regard de la proposition faite par le FMI, nous en avons bien pris note. À ce stade, il est impératif de conserver la MIC comme une subsidiaire de la Banque afin qu’elle puisse atteindre les objectifs pour lesquels elle a été mise sur pied.

«La banque de maurice reste en première ligne pour aider le pays à relever les défis et sauvegarder la confiance dans le secteur bancaire»

Valeur du jour, la MIC a déjà voté une enveloppe d’aide de Rs 34 milliards en faveur des entreprises en situation de détresse financière. La BoM vat-elle à l’avenir transférer des fonds à la MIC sachant qu’initialement, on prévoyait que celle-ci dispose d’un capital jusqu’à $ 2 milliards ?

À contexte exceptionnel, mesure exceptionnelle. La Banque de Maurice a mis l’équivalent de 2 milliards de dollars US, soit Rs 80 milliards, à la disposition de la MIC. Je note avec satisfaction que la MIC rend publiques des informations sur le nombre de dossiers approuvés et le décaissement des fonds. La MIC a les capacités financières pour atteindre ses objectifs fixés pour soutenir les entreprises systémiques et viables, soutenir le développement économique du pays et créer de la richesse pour les générations futures.

Autre sujet d’actualité : la décision de la Banque de Maurice de procéder à une dévaluation de la roupie pour se recapitaliser. Cette décision est-elle motivée par les recommandations du FMI selon lesquelles il faudrait une meilleure synchronisation de la politique monétaire et de la politique de taux de change ?

Il ne faut pas confondre dévaluation et dépréciation ! La Banque de Maurice adhère au principe du taux de change flottant. Les interventions de la Banque centrale sont effectuées en fonction des taux du marché, sur la base des cours acheteurs soumis par les banques commerciales. Ces dernières spécifient le taux de change de la roupie mauricienne contre le dollar US auquel elles souhaitent acheter des devises étrangères en prenant en considération les conditions du marché, tant sur le plan local qu’international, au moment de l’intervention.

Lors de toutes nos interventions, les taux ont toujours été définis à la lumière des cours acheteurs soumis par les banques. La Banque de Maurice est intervenue dès mars 2020 pour assurer un approvisionnement en devises et minimiser les disruptions sur le marché découlant de la diminution des entrées en devises étrangères. Depuis mars 2020, la Banque a vendu plus de 2 milliards de dollars US aux banques et directement à la STC. Ces actions ont permis de limiter une volatilité excessive du taux de change qui aurait pu accroître les vulnérabilités financières et économiques. Il est à rappeler que les interventions de la Banque de Maurice en matière de devises traduisent les forces du marché.

«Il ne faut pas confondre dévaluation et dépréciation !”

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