Type to search

En couverture

Jean Christophe Cluzeau : «Sans les assureurs, il n’y a pas d’économie de marché»

Share
Jean Christophe Cluzeau

La crise sanitaire a plongé l’économie mondiale dans l’incertitude et le secteur de l’assurance n’a pas été épargné, observe le CEO de City Brokers. Ainsi, le renouvellement des contrats a été impacté, d’une part, par la fermeture de certaines sociétés et, de l’autre, par les entreprises cherchant à réduire leur facture, en demandant notamment une baisse des primes ou des garanties. Pour Jean Christophe Cluzeau, c’est une bonne nouvelle que le secteur de l’assurance affiche une bonne santé. Car, insiste-t-il, l’assurance est primordiale à l’activité économique d’un pays, d’autant plus aujourd’hui en raison de l’accroissement des risques et des incertitudes. De ce fait, il faut absolument que le secteur reste en bonne santé pour éviter tout impact sur l’économie.

Après avoir occupé les fonctions de Head of General Assurance à la MUA, vous avez accepté le challenge d’occuper le poste de CEO de City Brokers, le leader dans le secteur du courtage d’assurance. Comment abordez-vous cette nouvelle étape dans votre carrière ?

Je l’aborde avec beaucoup d’envie, d’enthousiasme et de confiance. Envie parce que nous avons des défis passionnants à relever. Enthousiasme parce que je suis entouré d’une équipe de professionnels qui ne demandent qu’à innover pour offrir les meilleurs services. Et je suis confiant, parce que City Brokers Ltd (CBL) a démontré son incroyable capacité à produire d’excellents résultats dans un marché hyper concurrentiel, et ce en dépit d’un environnement difficile. Après 30 ans passés chez des assureurs, je suis passé du côté intermédiaire. Après avoir acquis une connaissance approfondie des composantes du système assurantiel, devenir dirigeant d’une société de courtage me permet désormais de bénéficier d’un nouvel espace de liberté dans une profession où le champ des possibles en matière de digital, de fluidité du parcours client et de disruption n’en est qu’à ses débuts. Ce sont là autant de défis passionnants qui nous attendent. Pour les relever et atteindre nos objectifs, je compte m’appuyer sur la force du collectif de CBL et je suis persuadé que nous continuerons à mobiliser efficacement tous les talents dont nous disposons au sein de l’entreprise.

Le métier de courtier d’assurance est quelque peu incompris. Pourtant, son expertise est essentielle dans le secteur de l’assurance, surtout en cette période de crise où les entreprises ont compris l’importance de s’assurer correctement et pas forcément à plus cher. Le moment est-il propice pour le courtier de sortir de l’ombre ?

Je reconnais, en effet, que notre métier est assez méconnu. Pour dire les choses simplement, il consiste à mettre nos compétences techniques et notre capacité de négociation au service de nos clients afin de trouver la solution la mieux adaptée à leurs besoins. Nous sommes donc des intermédiaires indépendants de sociétés d’assurances agissant pour le compte de nos clients. J’ai tendance à dire que nous ne vendons rien, mais que nous aidons à acheter.

Valeur du jour, les courtiers d’assurance facilitent des primes pour un montant d’environ Rs 4 milliards. Quand on observe le niveau de sophistication du secteur financier, on a le sentiment que le potentiel du courtage d’assurance est loin d’être atteint. Vos commentaires ?

C’est effectivement une réalité. Il y a des segments du marché sur lesquels nous pouvons tabler pour notre développement futur. Je citerai, par exemple, l’assurance santé où le courtage a un grand rôle à jouer. Par contre, l’assurance-vie est un domaine dans lequel les courtiers ne sont pas suffisamment présents. Il y a également de nouveaux segments qui font apparaître de nouveaux risques et dans lesquels nous devons donc nous positionner.

Est-ce que la pandémie de la Covid-19 a eu des conséquences sur les activités de ce secteur ? Est-ce qu’il y a eu des problèmes concernant le renouvellement des contrats ?

La crise sanitaire a plongé l’économie mondiale dans l’incertitude et le secteur de l’assurance n’a pas été épargné. Nous avons dû apprendre à travailler à distance, ce qui nous a permis de poursuivre notre activité et d’offrir le meilleur service à nos clients. Je crois que l’incertitude engendrée par la crise a surtout mis en lumière la force des relations qui existent entre nos clients et nos équipes. Le renouvellement des contrats a été impacté, d’une part, par la fermeture de certaines sociétés et, d’autre part, par les entreprises cherchant à réduire leur facture, en demandant notamment une baisse des primes ou des garanties. C’est là où nous intervenons pour accompagner nos clients et négocier avec les assureurs.

Le secteur de l’assurance a été particulièrement résilient depuis l’éclatement de la crise. Qu’est-ce qui explique la bonne performance des assureurs dans un contexte de récession sans précédent ?

Le métier des assureurs, c’est la gestion des risques. On peut donc déduire qu’ils sont mieux préparés que d’autres domaines d’activité. Il y a aussi le fait que leurs risques sont en partie transférés à des réassureurs, ce qui leur permet d’amortir les effets de la crise. Toutefois, cela n’a pas empêché les activités d’assurance-vie d’être fortement impactées, même si nous assistons à un redémarrage. De plus, il faut tenir compte du fait que l’assurance est une industrie à cycle inversé, ce qui veut dire que les conséquences de la pandémie apparaîtront plus tard. À ce stade, il est difficile de prévoir quel en sera l’impact définitif.

«L’assurance-vie est un domaine dans lequel les courtiers ne sont pas suffisamment présents ”

D’aucuns disent qu’au vu de leur relative bonne santé financière, les assureurs devraient faire preuve de plus de solidarité et ne pas augmenter leurs primes, comme c’est le cas actuellement. Quel est votre avis sur la question ?

Le secteur fait effectivement preuve de résilience face à la crise. Cela dit, il ne faut pas oublier que les assureurs jouent un rôle essentiel dans l’activité économique : sans eux, il n’y a pas d’économie de marché. D’où l’importance qu’ils soient en bonne santé financière. D’une certaine façon, ces derniers ont fait preuve de solidarité jusqu’ici. Il nous faut être prudents et veiller à ne pas les mettre en péril, puisque cela pourrait impacter l’ensemble de notre système économique. Je constate que ce sont principalement les activités liées à l’assurance-vie et aux investissements qui ont été les plus touchées, comparativement à l’assurance générale où le taux de sinistres est moins élevé. Lorsqu’un segment fonctionne bien, l’autre ne l’est pas forcément.

Est-ce que l’inflation au niveau des primes d’assurance a été prononcée pour les deux précédents exercices financiers ?

Je pense que les assureurs ont été assez raisonnables puisque la hausse des tarifs reste assez modérée. Il y a tout de même certains facteurs qui vont alourdir la facture, comme c’est le cas pour l’assurance automobile où la hausse du prix des pièces détachées conduit automatiquement à une augmentation du coût des réparations. Cela aura donc une répercussion sur les assureurs. L’autre problème, c’est le fait que les grands réassureurs mondiaux sont soit en train de se retirer de certains risques, soit en train d’augmenter les coûts de certaines garanties. Cela aura forcément un impact sur la facture finale du client. C’est là où nous intervenons, entre autres, en tant que courtiers, pour négocier avec les assureurs afin de veiller à ce que les augmentations soient moins conséquentes pour le client.

Comment s’est passé le dernier exercice de renouvellement ? Est-ce que cela a été plus compliqué de convaincre les entreprises à ne pas annuler, voire diminuer leurs couvertures d’assurance ?

Nous devons faire face à des entreprises ayant des budgets de plus en plus limités, ce qui les pousse de plus de plus à se servir de l’assurance comme variable d’ajustement. Évidemment, les demandes et les questions de nos clients évoluent pendant cette période compliquée. Pour répondre au mieux à leurs besoins, nous avons mis à leur disposition toutes nos compétences techniques. Les négociations que nous entreprenons auprès des assureurs se passent bien et nous sommes satisfaits des résultats obtenus, qu’il s’agisse des couvertures d’assurance, du niveau des primes ou encore des arrangements faits pour les paiements.

On dit que le secteur de l’assurance est un très bon baromètre de l’économie. Pourtant, aujourd’hui, on a l’impression qu’il y a une décorrélation entre la performance du secteur et les autres activités économiques. Pourquoi ?

Je ne suis pas sûr qu’on puisse considérer ce secteur comme un baromètre de l’économie. Par contre, ce que je peux vous dire, c’est que c’est une bonne nouvelle que le secteur de l’assurance affiche une bonne santé. Comme je l’ai dit plus tôt, l’assurance est primordiale à l’activité économique d’un pays, d’autant plus aujourd’hui en raison de l’accroissement des risques et des incertitudes. De ce fait, il faut absolument que le secteur reste en bonne santé pour éviter tout impact sur l’économie.

Parlant d’économie, Maurice aborde la seconde phase de la réouverture de ses frontières à partir du 1er octobre. Certes, nous sommes en avance sur nos objectifs en termes de vaccination mais d’un autre côté, la progression de la pandémie est source d’inquiétude. Comment analysez-vous la situation ?

Chacun d’entre nous a un rôle important à jouer afin d’assurer la réussite de cette étape cruciale pour la relance économique. La course n’est pas gagnée et nous devons rester sur nos gardes car les choses évoluent rapidement. Dans ce contexte, nous devons nous tenir informés en permanence. Avec la réouverture, nous suivrons avec attention l’évolution de l’assurance voyage, même si elle ne représente généralement qu’un petit segment du marché des assurances.

«Le contexte difficile fait que beaucoup de personnes réfléchissent à deux fois avant de prendre ou pas une couverture d’assurance médicale”

Une croissance de 9 % pour l’exercice financier 2021- 2022, y croyez-vous ? Si ces anticipations se confirment, comment cela profitera-t-il au secteur de l’assurance ?

La croissance économique aura bien évidemment un effet positif sur le secteur. Nous devons cependant être prudents, car même si tous les indicateurs montrent des signes d’une reprise très soutenue, la situation demeure incertaine, principalement en raison de la difficulté d’anticiper la sortie de crise.

L’un des débats qui revient aujourd’hui inlassablement, c’est la nécessité pour le monde de l’assurance de développer une assurance contre le risque pandémique ou encore pour couvrir les pertes d’exploitation. À Maurice, y a-t-il une demande pour ces types de couverture ?

La demande existe, en effet. Il faut cependant se demander si les compagnies d’assurances sont capables, à elles seules, de couvrir une pandémie. En ce moment, elles réfléchissent à la façon de mutualiser les risques. Pour ce faire, il est impératif que les gouvernements à travers le monde soutiennent les assureurs, car sinon le poids sera trop conséquent pour les assureurs.

Et qu’en est-il de l’assurance médicale ? La pandémie a-t-elle engendré une prise de conscience par rapport à la nécessité de prendre une couverture santé ?

Je pense qu’il y a du chemin à faire pour sensibiliser le public à l’importance de souscrire une couverture santé. La première chose qui nous vient en tête, c’est évidemment le coût. Nous ne tenons pas forcément compte des bénéfices qu’une couverture nous apporte lorsque nous en avons le plus besoin. Le contexte difficile fait que beaucoup de personnes réfléchissent à deux fois avant de prendre ou pas une couverture d’assurance médicale.

Parlons des risques nouveaux. On sait que les chefs d’entreprise sont plus sensibles à la menace que représentent les cyberattaques en cette nouvelle normalité. D’ailleurs, une étude de PwC en début d’année a révélé que la cybermenace est la principale préoccupation des CEO derrière le risque pandémique. Au niveau de City Brokers, comment assistez-vous les entreprises cherchant à s’assurer contre les cyber-risques ?

Notre rôle est de comprendre les besoins des entreprises, et surtout de comprendre leur exposition aux cyber-attaques. Aujourd’hui, ces risques ont considérablement augmenté en raison de la croissance exponentielle des échanges de données, qui est grandement facilitée par la numérisation de nombreuses activités. Nous devons suivre cette évolution et analyser les cyberattaques pour mieux évaluer les risques potentiels pour nos clients en fonction de leur activité. L’objectif, in fine, est de leur proposer des couvertures adaptées.

Quand on parle de couverture contre les cyber-attaques, on sait que les produits d’assurance sur le marché sont assez coûteux. Au vu de la demande, ne faudrait-il pas baisser les primes pour permettre notamment aux PME d’y avoir accès ?

La problématique actuelle, c’est la distorsion qui existe entre le volume des primes, en augmentation de 50 % au niveau mondial, et le montant des indemnisations payées par les assureurs, qui, lui, a été multiplié par trois. De ce fait, il n’y a pas suffisamment de primes pour couvrir les sinistres. Pour les assureurs, le ratio sinistre à primes (S/P) est passé de 84 % à 167 % sur l’assurance cyber-risques en l’espace d’une année. C’est dire les pertes générées sur ce segment. Sur un autre registre, je crois fermement que les PME sont moins sensibilisées aux cyber-crimes que les grandes entreprises. Notre rôle est de leur expliquer ces risques et leur proposer des couvertures adaptées. Cela permettrait d’augmenter la masse assurable, d’augmenter les cotisations et, ce faisant, de faire baisser les primes.

Dans un précédent entretien à Business Magazine, vous souligniez que malheureusement, nous ne sommes pas encore devenus une société de multi-assurés. À quand une vraie évolution culturelle par rapport à l’assurance ?

En effet, le taux de multi-détention (Ndlr : le fait de posséder plusieurs contrats d’assurance) à Maurice est très faible, contrairement aux autres pays. Une vraie évolution culturelle passe par un gros travail de pédagogie et de communication. Cette tâche revient aussi bien aux assureurs qu’aux courtiers. À CBL, nous avons lancé un nouveau segment, à savoir, le SME & Private, à travers lequel les PME et les particuliers bénéficient des mêmes services que ceux que nous proposons aux grandes entreprises. Une sensibilisation du public est nécessaire afin de changer la perception sur l’assurance. Celle-ci ne doit pas être considérée comme de l’argent perdu, mais plutôt comme un investissement pour nous protéger nous-mêmes, nos proches ainsi que nos biens.

Tags: