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Kevin Teeroovengadum – «Il faut repositionner Maurice dans ce monde instable»

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Kevin Teeroovengadum - «Il faut repositionner Maurice dans ce monde instable» | business-magazine.mu

L’économie mondiale est en plein ralentissement, notamment en raison de tensions géopolitiques. Le monde est-il au bord d’une nouvelle récession ?

Cette guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine n’est pas isolée. C’est le nouveau paradigme dans lequel on entre où on se retrouvera avec deux superpuissances majeures aux commandes pour les prochaines décennies. Actuellement, le monde est devenu un endroit étrange car il y a plus d’instabilité dans chaque région, que ce soit l’Europe, l’Asie, l’Amérique latine et certaines parties de l’Afrique. C’est parce que le monde est tellement connecté. Et quand il y a une crise dans une région, cela impacte le reste du monde. Il est clair que l’économie mondiale est en ralentissement et il semble qu’il y ait un effet de contagion. Un certain nombre de pays développés sont techniquement au bord de la récession.

Déjà, l’Allemagne et Singapour sont en net ralentissement. Quelles pourraient être les conséquences de cette guerre commerciale si elle persistait ?

Cette guerre commerciale n’augure rien de bon pour l’économie mondiale. Plus elle durera, plus elle créera des incertitudes parmi les investisseurs mondiaux. Déjà, nous voyons comment Singapour, qui est un hub maritime majeur en Asie, est en train d’être impacté par la guerre commerciale. S’agissant de l’Allemagne, ce sont les changements d’ordre structurel et moins la guerre commerciale qui sont à l’origine du ralentissement. Outre le fait d’avoir une population vieillissante, l’Allemagne est entourée par des pays qui font partie de la vieille Europe.

Si une nouvelle crise éclatait, qu’est-ce qui la différencierait de celle de 2007-08 ?

En 2007-08, la crise a pris sa source avec l’explosion de la bulle des sub-primes. En 2019, les causes sont multiples. Je pense que le modèle de village planétaire du capitalisme est à bout de souffle. Il y a un changement de paradigme profond qui est en train de s’opérer et le monde est en train d’être remodelé d’une façon très différente par rapport à ces 20 à 30 dernières années où on a promu le concept et projet du ‘global village’ et la mobilité des produits, services et même les gens. Aujourd’hui, à travers le monde, l’on assiste à une montée du nationalisme, du populisme, de l’extrémisme et du protectionnisme, que ce soit dans les pays développés que ceux en développement. La grande question demeure : est-ce qu’on va vers un changement profond qui va ouvrir les portes à un autre modèle économique mondial ?

À travers le monde, les Banques centrales ont abaissé leur taux d’intérêt. La Banque de Maurice s’est engagée dans la même voie en abaissant le taux directeur de 15 points de base. Cette mesure est-elle trop timide ?

Certaines Banques centrales ont réduit leur taux directeur de 25 points de base, voire plus. La Banque de Maurice aurait pu abaisser directement son taux de 25 points. Le problème majeur, c’est que les Banques centrales sont à court de munitions. À elle seule, la politique monétaire ne se révèle plus efficace pour stimuler l’économie. Les baisses de taux doivent être combinées à des programmes de relance. Et plus fondamentalement, nous devons faire de Maurice un lieu propice à l’investissement avec des stratégies de niche bien ciblées. Il faut repositionner le pays dans ce monde instable et incertain.

Outre son secteur d’exportation, dans quelle mesure l’économie locale pourrait-elle être affectée ?

Je le répète : nous passons par un changement de paradigme majeur où ce qui a marché pour Maurice ces 20 dernières années ne le sera pas forcément alors que nous abordons la nouvelle décennie de 2020. Par exemple, on voit que des Européens n’optent plus pour des destinations lointaines comme Maurice à cause de la pollution qu’engendre le voyage aérien. C’est un changement de paradigme. Comment estce qu’on y fait face ? Notre industrie touristique peut-elle s’y adapter et inclure, par exemple, un programme vert pour les touristes ? Il faut s’attaquer à ce changement de paradigme en sortant des sentiers battus.

Vous craignez que les investisseurs étrangers retirent leur argent des banques mauriciennes. Est-ce parce qu’ils seraient tentés d’investir dans des valeurs refuge comme l’or ?

Globalement, l’on constate que les investisseurs sortent des marchés émergents et placent leurs fonds dans des titres d’État de grands pays ou des actifs alternatifs comme l’argent et l’or. C’est un phénomène qu’on a vu au début de chaque récession mondiale. On a également constaté que les rendements sur les bons du Trésor sont proches de zéro, voire à des taux négatifs. Ce qui veut dire que plus les investisseurs achèteront les bons, plus les rendements chuteront. C’est ce qui se passe d’ailleurs en ce moment.