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Knowledge hub – Chronique d’une ambition démesurée

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Knowledge hub - Chronique d’une ambition démesurée | business-magazine.mu


17 ans après avoir planté les balises du Knowledge Hub, le pays peine toujours à attirer des étudiants étrangers. En cause : déficit en marketing de la destination, manque de vision à long terme, absence d’un plan d’action réfléchi et, enfin, une offre éducative toujours en construction.

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Cela fait 17 ans depuis que le comité conjoint gouvernement - secteur privé a été institué pour jauger les perspectives de créer un ‘Knowledge Hub’. À l’heure actuelle, le constat est que les mesures des budgets nationaux successifs n’ont pas permis la réalisation de cet objectif national – prioritaire – d’après les observations de la Banque mondiale et de l’Union européenne, pour que Maurice parvienne au statut de pays à revenu élevé.

À ce jour, 1 736 étudiants étrangers poursuivent des études postsecondaires à Maurice d’après la Tertiary Education Commission (TEC). À deux ans de l’échéance que s’était fixé l’ancien ministre de l’Éducation tertiaire, Rajesh Jeetah, d’attirer 100 000 étudiants étrangers à Maurice, l’objectif est donc bien loin d’être atteint. Il relève même du rêve. Aujourd’hui, Rajesh Jeetah lui-même reconnaît que l’objectif était ambitieux : «Oui, peut-être que l’objectif était ambitieux, mais c’était dans la lignée de la vision du précédent gouvernement». Mais les actions menées sous le régime travailliste pour faire décoller le secteur de l’enseignement supérieur à Maurice portent graduellement leurs fruits, selon lui.

Bien que le nombre d’étudiants en voyages d’études à Maurice soit croissant, la progression n’est guère encourageante. La preuve, presque une décennie après le premier décompte en 2009 où la TEC dénombrait 476 ‘Foreign students studying in Mauritius’, la barre de 2 000 étudiants étrangers n’a pas encore été franchie. Un quantum des plus critiques mais qui semble toutefois satisfaire Leela Devi Dookun-Luchoomun. Lors d’une cérémonie en mai 2017 à la State House, qui réunissait les lauréats de la cuvée 2016, elle se félicitait du fait que «quelque 1 500 étudiants venant de 71 pays» fréquentent «déjà» nos universités.

Cette appétence non dissimulée pour des résultats moyens malgré de grandes ambitions, à l’instar de la Vision 2030 pour l’éducation, n’est pas le fait d’un seul gouvernement. Tous les gouvernements qui se sont succédé depuis le début des années 2000 ont, semble-t-il, eu des stratégies à court terme en matière de «l’internationalisation du secteur de l’enseignement supérieur» mauricien ou n’auraient pas eu l’occasion de mener leurs stratégies à bon port.


La barre de 2 000 étudiants étrangers n’a pas encore été franchie

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Étudiants étrangers. Quand le secteur privé s’en va prospecter seul

Dans le brouillard intermittent de la stratégie et du plan d’action pour l’internationalisation du secteur de l’enseignement supérieur, comme l’appelait l’ex-BoI au cours d’une présentation en 2010, les établissements d’études privées ont chacun à leur niveau pris des initiatives personnelles pour exporter leur offre d’études et booster leur quota d’étudiants étrangers.

C’est ainsi que le Charles Telfair Institute (CTI) s’est lancé dans deux missions de prospection, à Madagascar puis au Mozambique en février dernier. Le Dr Fiona Grant a présenté CTI à un millier d’étudiants lors du Salon des Universités de Maurice et de l’étranger à Madagascar. À Harare, c’est au cours d’une exposition au Holiday Inn que le Dr Grant a rencontré des directeurs de collèges locaux.

L’Université de Maurice se lance aussi dans la prospection de potentiels étudiants africains. Pour promouvoir Rushmore Business School comme une destination d’enseignement de choix, l’établissement, explique Dr Nittin Essoo, son fondateur-directeur, organise des roadshows, des foires éducatives et fait du marketing par l’intermédiation des médias. Rushmore Business School dispose également d’un ‘International Desk’ avec un service d’accueil des étudiants étrangers à l’aéroport, de l’aide pour trouver un logement, une assistance pour l’ouverture d’un compte bancaire mauricien, etc. 10 % de sa population estudiantine est pour l’heure composée d’étudiants étrangers, notamment de l’Afrique subsaharienne.

Après la région océan Indien, l’Afrique est le nouveau terreau de populations estudiantines que compte prospecter Analysis Institute of Management. À la fin du premier semestre 2017, 40 % d’étrangers composaient la population d’apprenants de ces deux programmes d’études professionnelles: MBA International et ‘Executive Master’ en marketing. Des cadres et cadres-dirigeants, essentiellement de La Réunion, de Madagascar et de Mayotte, précise Natalie Job.

Pour l’année académique 2017-2018, des Malgaches, des Congolais et des Comoriens figurent parmi la centaine d’étudiants étrangers à s’être tournée vers l’université des Mascareignes. Un chiffre record pour l’université, qui renforce ainsi sa portée régionale. Le choix des étudiants porte sur la faculté de gestion, les ressources humaines, la comptabilité ainsi que les études bancaires et financières. Le Dr. Radhakrishna Somanah, directeur général de l’université des Mascareignes, faisait récemment ressortir cet intérêt accru des étudiants étrangers par le double diplôme avec l’université de Limoges et l’opportunité de décrocher des stages dans les entreprises.

À l’horizon 2025, confiait Thierry Sauzier, Uniciti, la ville intelligente axée sur l’éducation du groupe Medine, ambitionne d’accueillir 75 % d’étrangers, notamment des Africains et aussi des Indiens, dans la population de 5 000 étudiants qu’elle vise. Le Deputy CEO du groupe Medine dit miser pour cela sur la garantie de qualité des diplômes reconnus internationalement et délivrés par les institutions d’enseignement supérieur internationaux installés à Uniciti.


Manque de rayonnement international

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Dans un entretien accordé à Business Magazine en 2017, Steven Obeegadoo, ancien ministre de l’Éducation, rappelait que les prémices de ce ‘Knowledge hub’ remontent à 2001. «Lancé en 2001, le comité conjoint gouvernement - secteur privé que je présidais en tant que ministre de l’Éducation commanditait une analyse SWOT des perspectives de créer à Maurice un ‘Knowledge Hub’ et, par la suite, produisait une feuille de route précise. Le Joint Economic Council fut partie prenante de la démarche dès le début et fut d’un apport considérable. La stratégie proposée reposait sur le développement des infrastructures nécessaires par l’État (création d’un Knowledge area à Réduit sur les terres acquises d’Illovo); un développement repensé de l’enseignement en fonction de notre avantage comparatif et l’ouverture sélective de nos frontières aux universités étrangères ; une politique proactive pour faire venir à Maurice les institutions de réputation mondiale telles que l’IIT de Bombay ou la Birla Institute of Technology and Science…»

Rajesh Jeetah déplore d’ailleurs le projet mort-né du campus mauricien de l’IIT. L’ancien ministre de l’Éducation tertiaire est d’avis que la présence de cette université indienne de réputation mondiale aurait permis à Maurice de rayonner à l’international. «À ce jour, l’IIT se classe à la 112e place au niveau des établissements d’enseignement supérieur à travers le monde. Le bâtiment est prêt à Montagne Blanche ; il a été conçu par les ingénieurs de l’IIT. Cet établissement aurait été comme le ‘shining star’ de la destination éducative mauricienne sur le continent africain. L’IIT n’a jamais quitté le sol indien parce que des émissaires du présent gouvernement les ont découragés à s’installer comme il était prévu.

«En Angleterre, il y a l’université de Cambridge, l’université de Manchester. Ici, qu’est-ce qu’on a? On a nos universités humbles, des institutions d’enseignement supérieur privées. Avec l’IIT, on aurait eu un rayonnement international et de par le monde, on aurait su que l’île Maurice est sérieuse au sujet de son offre éducative. Allez voir à l’université des Mascareignes ; ils ont laissé partir le Prof Guillon. Ce n’était pas un politicien ; c’est un professionnel qui aimait l’île Maurice et voulait apporter son expertise… Quand ils ont tué tous ces projets d’universités, comment voulezvous que les étudiants étrangers soient intéressés à venir à Maurice? Je ne dis pas que cela ne va pas arriver ; je suis optimiste pour le secteur. Mais cela arrivera selon moi dans 50 ans.»

La volonté de transformer l’économie en une ‘Knowledge Economy’ remonte pourtant aux débuts des années 2000. Dans le second budget du gouvernement MSM-MMM, le ministre des Finances d’alors, Paul Bérenger, énoncait dans les mesures consacrées à l’éducation l’idée d’une ‘Knowledge economy’ ancrée dans une société démocratique. Cette économie axée sur le savoir s’attellera à encourager la mobilité sociale, prévenir l’exclusion sociale et réduire la pauvreté. Mais les fondations de ce secteur d’activité novateur sont vraiment posées en 2006 avec la publication ‘Transforming Mauritius into a Knowledge hub’. Ce rapport issu d’un comité sectoriel sous l’égide du ministère de l’Éducation et des ressources humaines plante le décor pour l’émergence d’un ‘Knowledge hub’.

«A knowledge hub is concerned with building a country’scapacity to better integrate itself into the global economy, through the generation, acquisition and transmission of knowledge to support various economic sectors, in view of fostering social and economic development».


4,8 % du PIB en 2016

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Dès le départ cependant, le rapport de ce comité sectoriel (qui a regroupé essentiellement le secteur public, dont les ministères de l’Éducation et de la Culture, la TEC, l’UoM, le British Council et des cliniques privées) semblait dire que l’internationalisation de notre secteur de la formation tertiaire devrait être portée à bras-le-corps par le secteur privé. «L’implication du secteur 

privé dans l’éducation tertiaire réduira la pression sur les finances du gouvernement dans l’éducation pour attirer les étudiants étrangers à venir poursuivre leurs études à Maurice, gagnant ainsi pour le pays des échanges bilatéraux avec l’étranger.»

Misant sur les forces, faiblesses, opportunités et menaces que représente un ‘Knowledge hub’ à Maurice, le rapport conclut que Maurice devra investir massivement dans les infrastructures, offrir des incitations pour attirer des pourvoyeurs d’éducation postsecondaire et se donner les moyens pour s’ériger comme un ‘Knowledge hub’. La destination devra également développer une offre éducative plus pointue que ses compétiteurs en termes de potentiel et de capacité, de qualité d’éducation postsecondaire, de coût et de pertinence. L’utilisation des dernières technologies devra être de mise et l’employabilité des gradués une condition sine qua non.

Pour parvenir à des résultats probants, il faudrait que gouvernement, institutions d’enseignement supérieur et industrie travaillent de concert pour une économie du savoir compétitive à l’échelle mondiale. Mais est-ce que cela a été le cas ces dernières années ? À quand les derniers roadshows en commun pour promouvoir la destination ? Quel budget a concrètement servi au marketing de l’offre éducative locale ? Quelles facilités et actions ont été déployées pour que la destination soit plus attrayante ?

Le gouvernement a consacré Rs 7,6 milliards au secteur éducatif en 2006/07, somme qui est passée à Rs 18,1 milliards pour l’année financière 2017/18. Par ailleurs, le montant des investissements directs étrangers dans l’éducation a évolué de Rs 4 millions en 2011 à Rs 163 millions (chiffre provisoire) en 2017. Et l’industrie du savoir a participé à environ 4,8 % du Pib en 2016 selon le BoI. 

«Force est de constater que nous n’avons pu capitaliser sur l’effet synergique d’une collaboration rapprochée entre l’État et le privé. Nous avons commis des erreurs stratégiques majeures et pris un sérieux retard…», reconnaissait Steven Obeegadoo l’année dernière.

Le manque de constance et de continuité dans les stratégies adoptées pour le secteur depuis 2006, avec le focus sur de nouveaux secteurs d’activité, n’a fait que laisser le projet de ‘Knowledge hub’ à la traîne. S’il y a un fautif à ce jour, c’est ce système défaillant qui pousse chaque nouveau gouvernement à défaire les actions du précédent, et compte tenu de leur mandat renouvelé tous les cinq ans, la vision est à court terme pour ce projet.


Stratégie commune pour promouvoir le hub éducatif

En ligne avec sa philosophie d’avoir une économie portée sur l’innovation, le gouvernement vise à positionner le pays comme un hub éducatif dans la région. Au fil des années, souligne Ken Poonoosamy, Deputy Chief Executive Officer de l’Economic Development Board (EDB), l’île Maurice s’est bâti une réputation de pourvoyeur d’une éducation de qualité et chemine sur la bonne voie pour devenir un hub éducatif pour l’enseignement supérieur malgré les défis qui guettent le secteur. Si ces critères ne sont pas impossibles à réaliser, ils semblent toutefois «challenging», nous fait-on comprendre. Se préparer à opérer dans un environnement d’enseignement supérieur de niveau international, élargir l’accès aux nouvelles institutions de formation, améliorer la qualité tout en augmentant et soutenant l’investissement dans la recherche et l’innovation figurent en tête de liste de ce cahier des charges. Pour encourager et promouvoir le développement du secteur de l’enseignement supérieur, les actions de l’EDB visent à développer de nouveaux segments et attirer les institutions spécialisées dans des créneaux spécifiques tels que les instituts polytechniques et les facultés de recherche, entre autres. Le nouveau projet de loi sur l’enseignement supérieur, soutient le Deputy CEO de l’EDB, renforce la proposition de valeur de l’île Maurice en tant que plaque tournante de l’éducation. Les actions à venir de l’EDB seront orientées vers l’alignement avec les différentes parties prenantes du secteur de l’éducation pour la stratégie visant à promouvoir Maurice comme un pôle d’éducation. La participation de l’EDB à des conférences internationales sur l’enseignement supérieur s’inscrit dans le but de générer de nouvelles pistes et de nouveaux contacts, de rencontrer des investisseurs potentiels et de présenter une proposition de valeur améliorée pour l’investissement dans le secteur de l’éducation. Ainsi qu’une plus grande collaboration entre l’industrie et les institutions locales pour développer des programmes personnalisés.

«L’EDB collabore également avec France Stratégie, organisme gouvernemental français chargé des analyses prospectives, de la stratégie économique et de l’évaluation des politiques publiques pour travailler sur les secteurs émergents et les besoins en main-d’œuvre de ces secteurs. Cela aidera à guider davantage les prestataires d’enseignement supérieur et les établissements d’enseignement professionnel dans l’orientation de leur programme dans les domaines où la demande sera la plus forte», ajoute Ken Poonoosamy.


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