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Bhavik Desai (Head of Research d’AXYS) – «La croissance pourra dépasser 4 % en 2021 si le tourisme redémarre»

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Bhavik Desai, Head of Research

L’impact du reconfinement se situe autour de Rs 300 millions à Rs 350 millions par jour contre Rs 550 millions à Rs 600 millions par jour lors du premier confinement. C’est l’une des principales conclusions d’une récente étude d’Axys. Pour Bhavik Desai, Head of Research, il est clair que l’économie mauricienne a fait preuve d’une certaine résilience. Ce qui explique qu’elle fonctionne à environ 85 % des niveaux pré-pandémiques. Cela, même si le secteur hôtelier est pratiquement au point mort et que nous avons subi un ralentissement important de la consommation.

L’impact du reconfinement sera moins brutal que le premier confinement et se situerait autour de Rs 300 millions à Rs 350 millions par jour selon le dernier rapport d’AXYS. Quels sont les facteurs et les variables que vous avez pris en considération pour arriver à cette estimation ?

Notre analyse se base uniquement sur les chiffres du PIB. Cela dit, nous utilisons des indicateurs additionnels tels que la TVA et les transactions bancaires pour venir corroborer nos estimations, c’est-à-dire venir nous conforter dans nos calculs. Premièrement, il est important de venir définir de quoi l’on parle. L’équipe d’AXYS a estimé le manque à gagner additionnel possiblement engendré par ce second confinement sur une économie mauricienne qui tourne déjà au ralenti. Il y a, d’une part, l’impact de la pandémie et, de l’autre, les effets du confinement qui ne sont qu’un sousensemble de la pandémie.

La première question que nous nous sommes posé est la suivante : «Quel a été l’impact de la pandémie ?». En 2020, le PIB se chiffrait à Rs 428 milliards contre Rs 498 milliards en 2019, mais en temps normal, c’est-à-dire, sans Covid-19, le PIB mauricien aurait dû enregistrer une croissance. Nous avons ainsi calculé que le PIB aurait dû se chiffrer entre Rs 513 milliards (pessimiste) et Rs 531 milliards (optimiste).

Ainsi, la pandémie nous a causé un manque à gagner se situant entre Rs 85 milliards et Rs 103 milliards. Ce qui se traduit, en moyenne, entre Rs 230 millions et Rs 280 millions par jour durant tout 2020, ou entre Rs 950 millions et Rs 1,15 milliard par jour de confinement.

Mais en toute conscience, on ne peut réduire cet impact seulement aux jours confinés. L’impact durant et post-confinement n’est pas le même. Pour venir donc chiffrer l’impact du lockdown distinctement de l’impact général, qui est beaucoup plus lourd de la pandémie, nous avons répété ce calcul mais par trimestre, ce qui nous revient à un manque à gagner de Rs 550 millions à Rs 650 millions par jour pour le premier confinement.

Ce calcul, sur une base trimestrielle, nous a permis de déterminer que l’économie mauricienne post-confinement (durant le second semestre de 2020) tournait au ralenti, soit à environ 85 % de sa capacité. La deuxième question que nous nous sommes posé est : «Quel sera l’impact additionnel de ce second confinement sur une économie mauricienne déjà affaiblie par les effets de la Covid-19 ?». Notre économie, qui tourne à 85 %, accusait en moyenne un manque à gagner de Rs 250 millions quotidiennement. La logique veut que l’on ne peut perdre à nouveau les Rs 250 millions déjà perdues. C’est ainsi que nous réduisons les chiffres du premier confinement par Rs 250 millions pour arriver à ce manque à gagner du second confinement qui se situe entre Rs 300 millions et Rs 350 millions par jour.

«La pandémie nous a causé un manque à gagner entre Rs 85 milliards et Rs 103 milliards» – Bhavik Desai.

À partir du 31 mars, il y aura une levée progressive du confinement. Peut-on s’attendre à ce que l’impact de ce reconfinement soit inférieur à 2 % du PIB ?

Nous avions estimé que le PIB pré-reconfinement serait de Rs 459 milliards en 2021, ce qui représente une croissance réelle de 4 %. Durant ces dernières années, le PIB augmentait en moyenne de Rs 20 milliards d’une année à l’autre, donc s’il n’y avait pas eu la Covid-19, le PIB aurait dû se chiffrer autour de Rs 538 milliards. 85 % de Rs 538 milliards vous font Rs 457 milliards, ce qui nous conforte encore une fois dans nos calculs.

Pour être clair, nous avons estimé le manque à gagner d’un second confinement. Il y a tellement de variables en ce moment et la situation évolue tellement rapidement qu’il est très difficile de venir chiffrer la croissance du PIB en 2021 avec un degré de certitude adéquat. C’est pourquoi nous avons conçu des modèles qui utilisent des leading indicators pour pouvoir estimer l’état de l’économie post-second confinement et par la suite venir peaufiner nos estimations.

Avec la réouverture de business additionnels à partir du 1er avril, l’impact sur l’économie devrait être moins important, et par conséquent inférieur à 2 %. Par contre, il est important de souligner que notre modèle actuel n’inclut pas une possible reprise du tourisme vers la fin de l’année. Il est donc tout à fait possible que la croissance dépasse même les 4 % en 2021.

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Il semblerait que le reconfinement n’ait pas entamé la confiance de la communauté des affaires et des investisseurs. D’ailleurs, depuis la réouverture de la Bourse de Maurice, le SEMDEX est relativement stable. Vos commentaires ?

Les marchés passent par des cycles, des hauts et des bas. Après l’annonce du reconfinement, il y a certes eu un peu de panique, mais la situation a bien évolué depuis. À l’heure où je vous parle, le marché a repris Rs 2,9 milliards en valorisation en seulement trois séances

Les indices traditionnels, dont le SEMDEX, sont à leur niveau le plus élevé depuis le début du mois de mars, plusieurs conglomérats et groupes hôteliers sont aussi à leur niveau le plus élevé depuis le début du mois de février. L’ALCAPEX, indice développé par AXYS, est, lui aussi, à son plus haut niveau depuis la mi-février, ce qui démontre un certain regain d’intérêt pour l’investissement sur la Bourse locale.

Il y a sept ans déjà, nous avons créé deux indices pour mesurer la performance boursière différemment. Le premier est d’une «construction traditionnelle» comme le SEMDEX ou le SEM-10. Mais plutôt que d’amalgamer les plus grosses compagnies, nous regroupons, sans distinction, les 20 titres les plus faciles à négocier en Bourse en termes de liquidité. On l’a appelé ALEX 20. L’AXYS Capped Composite 12 Index (ALCAPEX 12), quant à lui, se distingue des autres indices de par sa construction unique.

Vous savez, en 2020, l’indice américain S&P 500 a fini nettement en hausse à cause des titres connus par l’acronyme «FAANG» (Facebook, Amazon, Apple, Netflix, Google). Si on les exclut, la performance de cet indice aurait été nettement inférieure. Ces quelques très grosses compagnies ont donc faussé la performance réelle de l’indice de par leur taille. À Maurice, c’est pareil, mais ce sont MCB et IBL qui introduisent la déviation. Nous avons donc créé un indice plus équilibré en utilisant pour référence les contributions sectorielles au PIB de Maurice. Donc, si par exemple, le secteur des services financiers représente 12 % du PIB, les titres financiers inclus dans l’indice ne peuvent représenter/constituer plus de 12 % de l’indice.

C’est pourquoi l’ALCAPEX 12 reflète mieux cette ébullition émergente du marché. Concrètement, depuis l’annonce de Pfizer en novembre dernier, sur une base annualisée, l’ALCAPEX 12 est en hausse par 40 % (actuel : 16 %), l’ALEX 20 de 31 % (actuel : 12 %), le SEMDEX de 23 % (actuel : 9 %), et le SEM-10 de 22 % (actuel : 8 %).

«L’immunité collective est la clef de la relance» – Bhavik Desai.

Dans un récent rapport, l’OCDE s’est appesantie sur l’importance de la vaccination, qui est décrite comme une priorité absolue. Est-ce que la relance de l’économie mondiale pourrait, en fin de compte, s’accélérer ?

La relance économique mondiale ou locale sera intrinsèquement liée à la vaccination. À Maurice, on sait que la relance passe par la levée de la quatorzaine obligatoire. Cette étape cruciale pour accueillir à nouveau des touristes demande en premier lieu d’avoir atteint une masse critique en termes de vaccination. À l’étranger, la situation progresse mais pas assez rapidement. Les États-Unis et le Royaume-Uni progressent, l’Europe peine à vacciner, tandis que la majorité des pays africains n’ont pas encore démarré leurs campagnes.

Au niveau local, la campagne de vaccination bat son plein. À l’Assemblée nationale, le ministre de la Santé a affirmé que l’objectif du gouvernement est de faire vacciner 74 % de la population d’ici au mois d’août. Quelle part jouera la problématique de l’immunité collective dans la relance de l’économie mauricienne ?

Au rythme actuel, c’est-àdire, autour de 7 000 vaccinations par jour, nous pouvons effectivement atteindre 74 % d’ici août. La relance économique mauricienne ne peut se faire sans redémarrer l’industrie touristique.

Même s’il souffre d’être confiné chez lui, le touriste ne souhaite pas faire des heures d’avion pour être de nouveau confiné, aussi paradisiaque que soit la vue de sa chambre d’hôtel. Et nous savons que la quatorzaine restera obligatoire tant qu’on n’aura pas atteint l’immunité collective. L’immunité collective est donc la clef de la relance.

Les Seychelles rouvrent ces jours-ci leurs frontières. Les Maldives en feront de même dans quelques semaines. Ne risque-t-on pas de perdre une partie de notre clientèle touristique au profit de ces destinations ?

Oui et non. Oui, parce que les Seychelles œuvrent pour devenir la destination la plus sûre au monde, tandis que les Maldives, qui dépendent énormément du tourisme, avaient déjà rouvert en juillet. Au mois de février 2021, les Maldives ont accueilli 97 000 touristes, dont 26% provenaient de l’Inde et 30% de la Russie et des anciens pays Soviétiques.

Forcément, nous perdrons la clientèle qui veut voyager aujourd’hui et tout de suite malgré les reconfinements. Mais nous ne perdrons pas la totalité de notre clientèle, car même si nous sommes dans le même océan, nos marchés touristiques diffèrent. Avant la Covid-19, les Maldives accueillaient principalement des Asiatiques et les Seychelles attiraient une clientèle originaire du Moyen-Orient et nous, les Mauriciens, nous recevions principalement des Français, des Réunionnais et des Sud-Africains.

LUX*, Beachcomber et SUN ont scellé leurs accords avec la Mauritius Investment Corporation au terme de quoi, ils obtiendront Rs 1 milliard, Rs 2,5 milliards et Rs 3 milliards. Peut-on dire que le risque d’effondrement d’un groupe hôtelier est donc moins probable aujourd’hui qu’il y a un an ?

Définitivement. L’an dernier, on ne savait pas comment ils allaient faire pour pallier le manque à gagner engendré par la longue fermeture des frontières. Aujourd’hui, le gouvernement a soutenu ces entreprises à travers le Wage Assistance Scheme et la Banque centrale a fait sa part à travers la Mauritius Investment Corporation. Il faut souligner que l’effondrement de l’industrie du voyage est global ; c’est un secteur qui projette de retrouver des niveaux pré-pandémies seulement en 2024. Cela dit, il n’est pas impossible qu’un hôtel se trouve en difficulté financière. La mise en administration de SALT Hospitality en est un exemple.

Depuis l’éclatement de la crise, l’économie mauricienne est fonctionnelle à 85 %. Est-ce une performance honorable dans la conjoncture actuelle ?

C’est la pire crise économique qu’ait connue Maurice en une génération. Sachant que la consommation est en berne, et que le tourisme est quasiment fermé, être à 85 % démontre une certaine résilience. Selon certains, le tourisme représenterait entre 20 % et 30 % du PIB, si c’est le cas, n’avoir perdu que 15 % c’est quand même extraordinaire.

Jusqu’ici, l’économie mauricienne est sous perfusion. Si l’on arrive à s’en sortir c’est grâce au soutien de l’État, à l’injection massive de liquidités de la part de la Banque de Maurice et aux prêts contractés auprès des institutions multilatérales. Au sortir de la crise, ne risque-t-on pas de se retrouver dans une situation où les finances publiques seront dans le rouge ?

Si vous parlez du déficit budgétaire, sachez que les finances nationales ont toujours été dans le rouge. Il faut cependant contextualiser cette information en ajoutant qu’entre deux sur trois et trois sur quatre pays dans le monde opèrent avec des déficits. Avant la Covid-19, le déficit moyennait 3 % du PIB. Crise oblige, ce chiffre atteint plus de 13 % pour le Budget 2019-20. Ce n’est évidemment pas une situation idéale, mais aurait-il été préférable que l’État ne porte pas secours aux entreprises mauriciennes et qu’il ne supporte pas l’économie ? La situation aurait-elle été meilleure ?

Le glissement de la roupie est une source d’inquiétude majeure. De janvier 2020 à janvier 2021, la monnaie locale s’est dépréciée de 9,3 % face au dollar, de 10,2 % vis-à-vis face à la livre sterling et de 12,2 % face à l’euro. Peut-on espérer rééquilibrer la roupie si les frontières rouvrent rapidement ?

La roupie est une devise qui est un managed float. C’est la Banque centrale qui la gère indirectement en intervenant régulièrement sur le marché des devises. En ce moment, elle gère et empêche que la roupie ne glisse trop, mais jusqu’en mars 2020, elle achetait des devises, c’est-à-dire qu’elle empêchait la roupie de s’apprécier. Personnellement, je pense qu’il est temps de s’habituer à un dollar américain à Rs 40 au lieu de Rs 35.

Jusqu’à présent, la Covid-19 a coûté environ 500 millions de dollars de pertes de réserves et une dépréciation de 15 % de la roupie. Cela indique-t-il l’urgence d’un package plus conventionnel pour financer le prochain Budget au lieu de se tourner à nouveau vers la Banque de Maurice ?

En février 2021, nos réserves se chiffraient à $7,4 milliards contre $7,3 milliards en février 2020. On ne peut pas nier le fait que nous traversons une crise sans précédent et que certains types de financements non conventionnels utilisés pour gérer l’urgence de la situation peuvent être justifiés.

Ayant dit cela, je souhaite que le Budget 2021 n’ait pas besoin d’avoir recours à «imprimer de l’argent», comme le font les États-Unis et l’Europe. Nous savons très bien que les conséquences de telles actions sur les prix des produits sur les étagères peuvent être terribles. C’est pourquoi il ne faut utiliser cet outil que très rarement.

La présence de Maurice sur la liste noire de l’Union européenne et la décision de Moody’s d’abaisser notre note souveraine impactent négativement l’attractivité de Maurice en tant que centre financier. De plus, Maurice a perdu 26 places dans la 28e édition du Global Financial Centres Index (GFCI). Saurons-nous remonter la pente?

À cause de la pandémie, comme presque tous les clignotants sont au rouge à travers le monde, les agences comme Moody’s ont abaissé la note de plusieurs pays, dont celle de Maurice. Les marchés financiers se réadaptent par rapport à un rabaissement dans cette note. En théorie, le gouvernement mauricien aurait eu à emprunter à des taux d’intérêt plus élevés, mais comme il n’y a pas beaucoup d’étrangers friands des bons du Trésor en roupies, que c’est la population locale qui prête au gouvernement indirectement, et que Maurice est encore pour le moment Investment grade, ce n’est pas cela qui rendrait la juridiction mauricienne moins attrayante. Par contre, être inclus sur la liste grise du GAFI (Groupe d’action financière) change la donne. C’est à nos institutions régulatrices de réagir face aux manquements identifiés au plus vite. Il faut sortir de cette liste; c’est une urgence absolue. Mais remonter la pente ne dépend pas que de cela, nos compétiteurs sont nombreux et divers, il est donc important que nous nous remettons en question afin de nous améliorer.

«Il est temps de s’habituer à un dollar à Rs 40 au lieu de Rs 35» – Bhavik Desai.

La crise aura mis en lumière la résilience du pays, mais aussi ses défaillances. Rejoignez-vous ceux qui pensent qu’il faut établir une feuille de route pour un nouveau modèle de développement.

Nous avons dit dans notre rapport de l’année dernière que «this is also a once-in-alifetime opportunity to make the necessary reforms and/ or structural adjustments that have been previously put-off for another day». Et nous le disons à nouveau encore cette année : «We rue the absence of high-level actions to re-engineer our economy and lay the foundations for a more inclusive and sustainable future».

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