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La Mauricienne, l’avenir de l’économie

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La Mauricienne

Longtemps pénalisée par sa biologie, la Mauricienne revendique fièrement son statut en tant que professionnelle, voire de femme d’affaires. Dans une société mauricienne traditionnelle, elle n’a pas toujours eu le soutien auquel elle aspirait. Aujourd’hui encore, environ 61 % des chômeurs appartiennent à la gent féminine.

Jetant un regard dans le rétroviseur, Urmila Boolell, première avocate principale de Maurice à la tête du Temple Group et du cabinet Urmila Boolell SC, fait cette observation lourde de sens : «Jusqu’à aussi récemment que 1985, la femme mauricienne n’était que l’ombre de l’homme, statutairement parlant. Pour mes filles aujourd’hui, c’est impensable qu’une femme ne puisse pas ouvrir un compte en banque sans l’aval d’un homme ou qu’elles ne puissent accéder à la propriété sous leurs noms».

Optimiste quand elle évoque l’avenir de la femme mauricienne et son rôle à jouer sur la scène économique, elle n’en demeure pas moins réaliste. Tout n’est pas rose pour les femmes, y compris dans la profession légale où les femmes sont largement représentées. C’est d’ailleurs une constante dans l’ensemble des secteurs professionnels.

Pourtant, la population féminine, moins nombreuse que les hommes jusqu’en 1950, selon les chiffres officiels, n’en a pas moins contribué de manière significative à l’essor économique du pays. Le stade Anjalay porte d’ailleurs le nom de la martyre et icône syndicale, Anjalay Coopen, tombée sous les balles des soldats britanniques à Belle-Vue Harel, le 27 septembre 1943. Enceinte de son premier enfant, elle militait aux côtés des hommes pour les droits des travailleurs.

Clairement, les femmes de tous bords ont contribué à bâtir le pays actuel. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Lise de Baissac a agi comme espionne pour le compte du Special Operations Executive, tout comme son frère Claude de Baissac. Ainsi, bien avant l’Indépendance, la femme mauricienne a été de tous les combats. «Il y a de tout temps eu des femmes brillantes et exceptionnelles à Maurice qui, dans leur quotidien, ont fait d’énormes sacrifices et qui ont dédié leur vie au progrès de leurs familles et du pays, mais qui, malheureusement, ont sombré et restent toujours dans l’anonymat le plus complet», martèle Urmila Boolell.

Pour Shahannah Abdoolakhan, CEO d’Abler Consulting, il ne fait pas de doute que la femme mauricienne a largement fait progresser le pays. «La création de la zone franche dans les années 70 a permis à la femme de faire son entrée massivement sur le marché de l’emploi. La hausse a été de 81 % à partir des années 80 jusque dans les années 2000 quand les femmes ont occupé des postes à temps plein», indique-t-elle.

Ainsi, la contribution active de la femme à la vie économique a permis à Maurice de faire de grandes avancées, notamment, sur le plan des droits des femmes, avec en point d’orgue la réforme du Code civil. Or, valeur du jour, les femmes ne représentent qu’environ 35 % de la main-d’œuvre ouvrière. Selon Shahannah Abdoolakhan, il est essentiel de faire ressortir que si, au fil du temps, le rôle économique de la femme a gagné en importance, cela a été un processus graduel. Il n’y a pas eu à proprement parler une politique ciblée sur l’emploi des femmes.

S’appesantissant sur l’entrepreneuriat féminin, elle fait remarquer que les femmes d’affaires et cheffes d’entreprise font face à des challenges qui comportent des opportunités de développement, mais aussi des obstacles à l’avancement professionnel. «La technologie aidant, il y a un nombre croissant de cheffes d’entreprise, mais leur tâche n’est pas aisée. Pourtant, elles portent le potentiel de croissance économique du pays, tout autant que les hommes. Et leur succès tire celui du pays vers le haut», souligne-t-elle.  

SEULEMENT

PHÉNOMÈNE DU PLAFOND DE VERRE

Si la femme est plus active sur le plan professionnel, il n’en demeure pas moins que dans les plus hautes sphères des entreprises, publiques et privées, elle arrive difficilement à se faire une place. C’est le phénomène de plafond de verre. Cela se reflète dans les Gender Statistics. Ainsi, il ressort que seulement 16 % des femmes sont chefs d’entreprise. Dans la fonction publique, il y a un léger mieux. La proportion de femmes occupant les postes les plus élevés dans les services étatiques – Senior Chief Executive, chef de cabinet, directrice, juge et magistrate – est restée à 37 % en 2017 et en 2018.

De même, une étude du Mauritius Institute of Directors (MIoD) réalisée par l’institut Korn Ferry et rendue publique en janvier 2019 révèle des disparités flagrantes au niveau de la représentativité féminine dans les conseils d’administration. Cette étude a été menée auprès de 53 compagnies. La représentativité féminine au sein de leurs comités de direction était de 10,1 %. Parmi, deux femmes uniquement en étaient présidentes. Selon la CEO par intérim du MIoD, Linda Mamet, les entreprises se réfugient souvent derrière de fausses excuses pour justifier ces inégalités. «Elles disent qu’il n’y a pas assez de femmes qualifiées. Pour reprendre les propos du chantre de la bonne gouvernance, Chris Pierce, je dirais que les conseils d’administration sont «pale, male, stale». À Maurice, il n’y a guère de renouvellement, notamment au niveau des entreprises familiales», observe Linda Mamet.

De l’avis de l’économiste Manisha Dookhony, il y a toujours un sexisme ambiant qui freine l’ascension des femmes. «Dans le fond, ces femmes sont souvent mieux qualifiées que les candidats hommes, mais ceux qui recrutent ont un parti pris pour les hommes qu’ils jugent plus aptes à être de bons leaders. La plupart de ces postes s’accompagnent de stéréotypes sexistes forts sur l’aptitude à diriger. Parfois, des candidats hommes, moins qualifiés, sont promus en raison de ce parti pris. Cette situation est flagrante dans le secteur privé où les femmes hautement qualifiées ne deviennent pas les CEO. Finalement, c’est l’entreprise qui souffre de ce décalage. Qu’une femme ne soit pas acceptée à un poste, ou qu’une femme manager ne devienne pas CEO dans une entreprise ou entité, ce sont des décisions individuelles. Mais quand on prend l’ensemble de ces décisions individuelles au sein d’une organisation ou au sein d’une industrie, on voit qu’il y a un net désavantage des femmes hautement qualifiées», observe Manisha Dookhony. Et de faire ressortir qu’en se dotant des bonnes compétences, l’entreprise se donne les meilleures chances pour améliorer sa performance financière.

Alors que l’on aborde une nouvelle décennie, il est essentiel d’avoir une plus grande ouverture d’esprit sur la question des genres dans les entreprises. Il est plus que temps que prône la méritocratie à toutes les strates de la vie économique. De par sa nature, la femme est plus reposée, plus réfléchie. Des qualités qui sont essentielles dans le processus décisionnel. S’ouvrir aux compétences féminines, c’est favoriser une vision stratégique à 360 degrés.

Le réflexe patriarcal demeure fort dans la sphère politique

Urmila

Le cinquième objectif de développement durable des Nations unies porte sur la parité hommes-femmes dans la vie politique à l’horizon 2030. Alors que l’Afrique du Sud a déjà atteint cet objectif, à Maurice, on est loin du compte. Déjà, en 2015, le SADC Gender Protocol Barometer écrivait noir sur blanc que Maurice n’atteindrait pas l’objectif de 30 % de représentativité féminine à moins d’imposer des quotas et de réformer son système politique. Il a fallu attendre 2010 pour qu’une femme, en l’occurrence Monique Ohsan Bellepeau, soit nommée vice-présidente de la République.

Dans le cadre des dernières législatives, Logah Virahsamy, présidente de Gender Links Maurice, disait sa déception face à la sous-représentativité féminine sur la scène politique et appelait «à une réforme électorale urgente». Actuellement, la représentation féminine au sein de l’Assemblée nationale n’est que de 20 %, soit 14 parlementaires femmes sur un total de 70 sièges.

Selon Urmila Boolell, la sousreprésentation de la femme dans la vie politique s’explique par le fait que le patriarcat est encore fort à Maurice. Elle étaye ses propos : «Je me suis mariée dans une famille très politique. Sans être active politiquement, j’ai côtoyé ce milieu de près. Comme chaque Mauricien, j’ai mes tendances et mes convictions. Et, dans le milieu professionnel, j’ai toujours su bien faire la part des choses, dans le respect des tendances des uns et des autres. De manière générale, je dirai que la femme avocate serait le profil parfait dans la politique. Toutefois, il faut avoir du tempérament et faire des compromis sur soi-même. Je regrette que plus de femmes ne soient pas actives politiquement. Mais les politiciens eux-mêmes n’ont pas intérêt à encourager les femmes, afin de ne pas partager le gâteau. Celles qui sont là, sont là pour la représentativité. Les femmes qui parlent vraiment, personne n’en veut. Et c’est la réalité. Culturellement, l’homme mauricien n’a pas atteint cette maturité de pouvoir accepter une femme forte pour qui elle est. La femme n’est pas égale à l’homme. J’assume d’être une femme et je ne veux pas être comme un homme. Les hommes, eux, ont encore du mal à accepter la femme. L’homme mauricien est-il prêt ? Il y a encore beaucoup de chauvinisme et un manque de maturité. Quand il parle de la femme, il y a toujours encore un côté péjoratif».

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Intervenant comme panéliste à l’occasion de la présentation du FMI sur l’impact des politiques fiscales sur l’emploi des femmes, Mohini Bali, Head of Gender Unit au ministère de l’Égalité des genres, n’a pas mâché ses mots. «Il faut le dire, ce ministère est souvent, à tort, déprécié. Or, ce n’est pas qu’un ministère pour les femmes, mais ces préjugés lui portent préjudice lors des consultations budgétaires. L’année dernière, on a obtenu Rs 200 000 pour faire évoluer la situation de la femme dans l’emploi. À l’échelle d’un ministère entier, ce budget est infime et ne permet guère d’envisager un changement en profondeur», affirme-t-elle. Rappelant les engagements pris par Maurice au Beijing Platform for Action dès 1995, Mohini Bali tire la sonnette d’alarme.

«Il faut un véritable plan de développement, sur trois ans a minima, et assorti d’un budget taillé en conséquence, au risque de rester à de pieux souhaits année après année», avance-telle. Et d’ajouter que «la parité est l’affaire de tout le monde, du public autant que du privé car l’inégalité hommes-femmes rejaillit sur l’ensemble de la société mauricienne». Toutefois, insiste-t-elle, le Gender Equality Bill qui devrait être présenté à l’Assemblée nationale prochainement permettra d’accélérer le processus de rééquilibrage des forces dans l’économie.

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Vie professionnelle ou vie familiale ? C’est un vrai dilemme pour la majorité des femmes. Et, bien souvent, elles sont nombreuses à faire le choix déchirant de renoncer à occuper des postes de responsabilités dans les organisations. Pour que la femme puisse pleinement s’assumer professionnellement, le soutien du conjoint est nécessaire, insiste Urmila Boolell. «J’ai espoir que les jeunes générations s’organisent autrement et que les hommes adoptent une toute autre approche de la vie familiale. Il fut un temps où la femme se retrouvait face à un cruel dilemme : allait-elle continuer à travailler quand elle se marierait ? Elle pouvait être médecin ou avocate, peu importe ses diplômes et ses compétences, une fois mariée, elle pouvait tout autant rester femme au foyer» se remémore-t-elle.

Manisha Dookhony, conseillère auprès de nombreuses entreprises et institutions étatiques internationales, témoigne: «J’ai un petit de 20 mois. Jongler entre carrière, famille et engagement social est une réalité pour moi. J’ai, en effet, dû quitter des conseils d’administration sur lesquels je siégeais aux ÉtatsUnis parce que les déplacements étaient trop longs. Comme je travaille essentiellement en Afrique, et que j’avais des projets qui étaient en cours, j’ai dû laisser le bébé quand il n’avait pas encore trois mois pour effectuer des voyages professionnels. Mais j’ai eu le soutien de ma mère, de mon époux et de la nounou».

De son côté, Stefania Fabrizio, représentante du Fonds monétaire international (FMI) récemment de passage à Maurice, soutient qu’il incombe à chaque pays de trouver la bonne formule. Elle s’explique: «Au Moyen-Orient, la femme aime être chez elle quand le mari et les enfants rentrent. Au siège même du FMI, ils sont nombreux, hommes et femmes, à quitter les locaux vers 17 heures pour aller récupérer les enfants et privilégier ce temps qualitatif en famille. Et quand les enfants sont couchés, vers 20 heures, ils se remettent au travail à leur aise. Le flexi-time et la technologie permettent de conjuguer travail et vie familiale». 

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Actuellement, la photographie est peu reluisante. Les hommes défendent leur pré carré, c’est-à-dire le contrôle de l’appareil décisionnel. Cette situation n’est pas sans conséquence, comme le souligne Stefania Fabrizio, représentante du Fonds monétaire international (FMI), qui était à Maurice dans le sillage du lancement du rapport Women in the labour force: the role of fiscal policies. D’emblée, elle s’inquiète du fait qu’il y aura à l’avenir plus de pertes d’emplois chez les femmes que chez les hommes. «De plus en plus, les métiers que les femmes occupent en grande majorité vont disparaître au profit de l’automatisation et du développement de l’intelligence artificielle», prévoit-elle. Avant de poursuivre : «Les métiers liés à la technologie seront en hausse. Mais nous constatons que peu de femmes entreprennent des études dans les STEM (science, technologie, ingénierie et mathématiques). Cela veut dire moins de postes occupés dans le domaine de la technologie par les femmes. Si les jeunes étudiantes d’aujourd’hui ne sont pas encouragées sur la voie des STEM, la parité sera encore retardée dans des secteurs clés», souligne-t-elle.

Par ailleurs, indique-t-elle, de récentes études menées par le FMI montrent que les hommes consacrent leur argent plutôt à gérer les dépenses courantes. Alors que les femmes ont plutôt tendance à investir dans les soins et la santé des enfants.

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Il est du devoir du gouvernement d’élaborer des politiques spécifiques qui encouragent le développement des talents, l’intégration et l’accès à des opportunités pour tous les genres. Et qui encouragent la diversification dans le leadership, insiste la CEO d’Abler Consulting, Shahannah Abdoolakhan. Le secteur privé doit être aussi partie prenante d’une telle politique en faveur d’une plus grande égalité au niveau des genres. «Le secteur public et le privé doivent travailler de pair pour accélérer la naissance d’une nouvelle ère de développement économique et social, marquée du sceau de l’inclusion, de la diversité et de la parité à tous les niveaux», ajoute-t-elle.

Elle identifie quatre accélérateurs de processus : augmenter la participation féminine à travers les secteurs économiques, accroître le nombre de femmes aux postes décisionnels, réduire l’inégalité des salaires et poser les fondements pour assurer la parité sur les emplois de haute technicité les plus demandés.

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Petit état insulaire, Maurice compte une population de 1,26 million d’âmes. Au 1er juillet 2019, on comptait 13 300 plus de femmes que d’hommes. Avec un taux d’alphabétisation élevé et l’accès gratuit à la santé, la République offre un cadre propice à l’épanouissement humain. Or, le tableau est entaché. Car malgré son classement à la 13e place en matière de facilitation des affaires, Maurice occupe la peu enviable 115e place du Global Gender Gap Index 2019 publié par le World Economic Forum. De même, dans le Human Development Report 2019 du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), Maurice occupe le 82e rang sur 162 pays du Gender Inequality Index. De toute évidence, Maurice peine à s’affranchir des inégalités structurelles qui désavantagent nettement 51 % de sa population.

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Si l'on veut favoriser une plus grande parité hommes-femmes, il faut parfois mettre en place des standards sous forme de quota, que ce soit au niveau de la représentativité féminine sur les comités de direction ou à l’Assemblée nationale.

De l’avis de Linda Mamet, Maurice ne pourra pas éternellement se passer des quotas. «En Norvège, des quotas permanents ont permis au pays d’imposer la parité hommes-femmes. Dans d’autres pays, les quotas sont fixes pour un laps de temps déterminé. Il me semble que, pour Maurice, cette dernière solution serait la plus adaptée. Un quota sur un nombre d’années spécifiques permettrait de franchir le plateau sur lequel les femmes stagnent pour l’instant», déclare-t-elle.

La solution des quotas ne fait pas l’unanimité car certains l’associent à une contrainte. L’avocate Urmila Boolell exprime aussi des réserves. «Les boards traditionnels vont-ils accepter les femmes. La loi peut les contraindre, mais quelles sont ces femmes qui seront choisies ? Il y a malheureusement des femmes qui se contentent de prendre des rôles sans les assumer. Certaines femmes ne demandent pas plus. Car il y a des complexes profondément ancrés dans la société mauricienne… Une discrimination, même positive, reste une discrimination. J’aurais préféré que les femmes brillent d’elles-mêmes», soutient-elle

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