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Lindsay Rivière : “ C’est formidable le succès ! “

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La première édition de Business Magazine a vu le jour le 17 avril 1992. Sur un ton résolument positif, le magazine voulait mettre en lumière l’effort de l’entrepreneur mauricien, petit et grand. Lindsay Rivière, le fondateur et premier rédacteur en chef de Business Magazine, revient sur cette période et parle de la révolution qu’a amenée la publication dans le paysage de la presse locale.

À son lancement en 1992, Business Magazine avait pour objectif de devenir rapidement un point de référence pour tous ceux qui ont réussi dans les affaires et pour tous ceux qui amènent le progrès dans le pays. Pouvez-vous revenir sur la genèse du projet ?

Business Magazine a apporté quelque chose à la culture de la presse locale. Pour bien comprendre notre histoire, il est essentiel de regarder dans le rétroviseur. Dans les années 80 et 90, l’information était plus axée sur la politique et le social. Les gens avaient peur de parler d’argent ; il fallait changer cette mentalité. Journaliste d’expérience, j’ai fait quatre ans à l’express et 16 ans au Mauricien où j’étais le plus jeune rédacteur en chef –, j’ai aussi eu la chance de travailler à l’étranger, notamment en Australie. J’ai suivi plusieurs formations à New York, en Allemagne et à Singapour avec PwC. Fort de mon expérience, j’ai voulu à mon retour au pays changer les choses. Avec Business Magazine, la vision était claire. «Celebrate Success» était la grande phrase que j’avais ramenée des États-Unis. Personnellement, je suis d’avis qu’il ne faut pas avoir peur du succès ; il ne faut pas avoir honte de travailler et il ne faut pas avoir honte d’être millionnaire. Ainsi, avec Business Magazine, j’ai aussi voulu «influence the influential». Car c’était la voie du progrès. Nous sommes venus révolutionner le monde de la presse. C’est moi qui ai pris l’initiative de mettre les gens sur la couverture, comme cela se faisait à Time Magazine. À l’époque, peu de gens connaissaient la tête de sir Émile Sériès, par exemple. Petite anecdote : le jour de la parution de la première édition de Business Magazine, je me souviens qu’il y avait un cocktail à bord du Jeanne d’Arc, un navire de guerre français. Beaucoup de gens m’ont félicité. Il y avait aussi un ou deux sceptiques, comme d’habitude à Maurice, qui m’ont dit que Business Magazine n’allait pas durer plus de deux semaines. Surpris, j’ai demandé pourquoi ? Selon eux, il n’y avait pas assez de nouvelles. Je leur ai rétorqué qu’on en reparlerait dans dix ans. Trente ans après, Business Magazine est toujours là. Et comme je l’ai toujours dit, nous avons probablement le lectorat le plus intelligent du pays et à qui on ne peut venir dire n’importe quoi dans notre analyse de l’information.

Donc, à l’époque, Business Magazine a amené une petite révolution dans le paysage de la presse mauricienne…

Absolument ! Je pense que Business Magazine a été très progressiste dans beaucoup de choses. Premièrement, c’était l’originalité d’avoir un journal économique. Deuxièmement, dans les affaires, il faut toujours être le premier et, troisièmement Business Magazine a écrit ce qu’il voulait indépendamment de l’opinion des gens. Les nominations, les news d’entreprise, les innovations, c’est Business Magazine qui a été le premier à en parler. De même, nous avons osé aborder le sujet de l’ouverture des conseils d’administration. À l’époque, il n’y avait que des hommes au sein des conseils d’administration. Nous avons milité pour qu’il y ait plus de femmes siégeant au sein des salles de conseil et beaucoup d’autres causes modernes telles que la nécessité de réduire les écarts de salaires. L’ouverture à l’étranger était très présente dans les pages du magazine. J’ai toujours été un grand partisan de l’ouverture de Maurice. Business Magazine a poussé dans cette direction. À l’époque, Rama Sithanen était le ministre des Finances. C’était un libéral dont la politique se rapprochait de la philosophie prônée par Business Magazine. Nous avons ouvert beaucoup de portes et les gens se sont habitués à nous petit à petit.

Avec le Top 100 Companies, vous êtes venu briser un tabou… C’était la première publication locale à parler librement d’argent et des comptes des entreprises. Qu’est-ce qui a inspiré le Top 100 Companies ? Comment cette publication a-telle été accueillie ?

Concernant le Top 100 Companies, je n’ai rien inventé ; je me suis inspiré de ce qu’on faisait en Australie, aux États-Unis ou encore en Allemagne, et j’ai adapté un concept similaire à Maurice. J’ai toujours été décomplexé face à l’argent et je n’ai pas peur d’en parler. Mais, à l’époque, la culture était tout autre. Il y avait une culture du secret. Les parents ne parlaient pas d’argent avec leurs enfants. Ces derniers ne savaient pas combien ils percevaient. Cette culture remonte à l’époque française ; les Français ne parlent pas d’argent comparé aux Anglo-saxons. Les enfants ne devaient pas connaître les difficultés des parents. Les familles ne devaient pas savoir combien renfermaient les coffres ; il fallait qu’ils meurent pour qu’on sache combien d’argent ils avaient. Et souvent, il y a eu des drames terribles à cause de cela. Au niveau des compagnies, personne ne savait combien touchait X ou Y. On n’avait aucune idée de combien s’élevaient les profits ou les pertes des entreprises. Personne ne savait aussi qui étaient les 100 premières compagnies, car c’était un genre de secret. Quand je me suis entretenu avec les patrons, ils ne voulaient pas que je publie leurs chiffres car, selon eux, leurs employés viendraient demander des augmentations.

Combien touchent les gens ? Combien de profits font les entreprises. Quel était le chiffre d’affaires des conglomérats ? Tout cela était gardé secret. Pour les capitaines d’industrie, c’était fouiller dans leurs affaires. On a voulu changer tout cela et on y est parvenu. Nous avons publié les chiffres des entreprises. Presque personne n’était content et on m’a dit que cela ne me regardait pas. Les capitaines d’industrie étaient catégoriquement contre. Certains m’ont menacé de me traduire en justice et de me ruiner car selon leur logique, je n’avais pas le droit de divulguer leurs comptes. C’était la grosse hostilité ! J’ai fait fi des réticences; je leur ai dit que je vais publier les Top 100 Companies tous les ans et qu’ils feraient mieux de s’habituer à l’idée. De nature, je suis très traditionnel et conservateur. Mais, en même temps, je suis très libéral s’agissant de l’argent. Il fallait briser cette culture du secret. Quatre ans après, ce sont les patrons qui venaient vers Business Magazine pour savoir quel rang ils occupaient dans le Top 100. Cela m’a un peu amusé.

Comment jugez-vous la façon dont Business Magazine a accompagné le développement de l’économie mauricienne, surtout dans une période importante de transition où nous nous sommes affirmés comme une économie de services ?

Je trouve que Business Magazine a été à l’avant-garde d’un changement et d’une révolution de mentalité. Sa plus grande contribution a été un accompagnement psychologique vers le changement ; nous avons préparé les esprits à l’avenir. Nous avons revalorisé le secteur privé en préparant les futurs débats. Par exemple, à cette époque, on parlait de l’offshore. Si aujourd’hui, l’offshore est un acquis, il y a 30 ans ce n’était pas le cas. Au passage, il faut rappeler que c’est Rama Sithanen qui a lancé ce secteur. Pour que se fasse le développement, il ne faut pas juste des capitaux, mais il faut également de la psychologie. La confiance en soi, l’ouverture, la modernité, la préparation des esprits aux changements ; c’est tout cela qui fait que Business Magazine a joué un rôle très important. Nous donnons confiance au secteur privé, nous donnons confiance au pays. Business Magazine a toujours été très optimiste et je suis content de voir que cet optimisme est toujours présent au sein de Business Magazine, 30 ans après. Il faut croire en demain, croire en Maurice, croire en l’ouverture. Business Magazine a surtout contribué sur le plan psychologique en intervenant sur l’atmosphère au développement, en proposant des pistes de réflexion, en encourageant, en célébrant le succès. Business Magazine a toujours été très pro-succès. Il faut aimer le succès ; il ne faut pas en avoir honte. Et c’était ma philosophie en fondant Business Magazine. Ayant vécu pendant plusieurs années à l’étranger, j’ai vu la différence. À Maurice, on était un peu dans l’inquiétude et le pessimisme. À l’étranger, c’était tout le contraire. Je le répète: je n’ai pas de problème avec l’argent, les profits et l’initiative ; je suis un grand partisan de l’effort. C’est formidable le succès ! Dans une édition de Business Magazine, suite à une enquête, j’avais publié les salaires pratiqués à Maurice. Cela a attisé la colère des gens. À l’époque, un CEO dans le secteur bancaire touchait Rs 24 millions par an. Quand le papier est sorti, ce CEO en question m’a dit qu’on allait le lyncher. Quand on y réfléchit, on se dit : où est le problème ? S’il vaut ses Rs 24 millions, moi je n’ai aucun problème avec cela. Toute la question est de savoir si on partage la richesse. J’aime voir le petit peuple prospérer et réussir. J’ai vu Michel de Spéville démarrer Food & Allied avec cinq poules ; aujourd’hui Eclosia est un immense succès.

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