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Liste noire de l’Union européenne : stopper la mécanique infernale

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Liste noire de l’Union européenne : stopper la mécanique infernale | business-magazine.mu

Quand fin février, la juridiction était placée sur la liste grise du Groupe d’Action Financière (GAFI) – organisation créée par le G7 pour lutter contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme – en s’appuyant le Mutual Evaluation Report de 2018 de l’Eastern and Southern Africa Anti-Money Laundering Group (ESAAMLG), c’est un sentiment d’injustice qui s’est emparé des opérateurs. D’une part, parce que l’ESAAMLG soulignait dans un rapport ultérieur en 2019 que Maurice avait pris des mesures pour pallier les déficiences relevées dans sa législation. Et, de l’autre, depuis la révision de la convention fiscale avec l’Inde en 2016, le pays s’est comporté comme le parfait élève, se pliant sans ronchonner aux directives de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et de l’Union européenne.

C’est ainsi qu’on s’est engagé dans une série de réformes fiscales et à notre cadre réglementaire tout en s’alignant sur les dispositions du Base Erosion and Profit Shifting (BEPS), du Common Reporting Standard (CRS) et de la Foreign Account Tax Compliance Act (FATCA) pour revendiquer le statut d’une juridiction de substance ayant tourné le dos à des pratiques fiscales dommageables et résolue à limiter les stratégies d’optimisation fiscale.

Or, la semaine dernière, le couperet est tombé : Maurice se retrouve sur la liste provisoire de la Commission européenne des États à risques élevés car ses dispositifs de sécurité présenteraient des déficiences structurelles. Somme toute, on ne répond pas à 35 des 40 critères du GAFI. À noter que la Commission est chargée de la mise en œuvre du plan de lutte de l’Union européenne contre le blanchiment d’argent, lequel entrera en vigueur le 1er octobre. Outre Maurice, 11 pays se retrouvent sur cette liste honnie, à savoir les Bahamas, la Barbade, le Botswana, le Cambodge, le Ghana, la Jamaïque, la Mongolie, Myanmar, le Nicaragua, le Panama, le Mozambique.

UNE DÉCISION SURPRENANTE

Compte tenu de l’enchaînement des événements, les opérateurs ne peuvent s’empêcher de se poser des questions de fond. Ainsi, comme le fait remarquer François de Senneville, Partner - Head of Africa Desk à Fieldfisher, depuis la création du GAFI en 2000, Maurice n’a jamais fait partie de la liste grise de cette organisation. Concernant cette liste grise, il rappelle que les États y figurant font l’objet d’un suivi particulier par le GAFI eu égard à l’application de mesures spécifiques destinées à mieux lutter contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Son but est donc de permettre aux États concernés de rectifier le tir et de sortir de cette liste grise dès que les progrès attendus sont constatés.

«Il est donc particulièrement surprenant que la Commission européenne décide, unilatéralement, de proposer le placement de Maurice sur sa liste noire des centres financiers seulement deux mois après l’entrée de Maurice sur la liste grise du GAFI, sans donner un délai raisonnable à cette juridiction de mener les réformes additionnelles qui lui sont suggérées pour lui permettre de sortir de la liste grise du GAFI. Il est d’autant plus surprenant que cette proposition intervienne sans tenir compte de la crise économique de grande envergure à laquelle le monde en général et Maurice en particulier sont confrontés depuis mars dernier, soit immédiatement après que cet État a été placé sur la liste grise en question», observe François de Senneville.

Il est rejoint par Nitin Collapen, Managing Director de Sunibel Corporate Services, qui dit ne pas comprendre la décision de la Commission européenne qui intervient en pleine période de crise. «L’image qui me vient à l’esprit est celle d’une personne qui est à terre et qui se fait marcher dessus. Cette image résume la situation à laquelle chacun peut s’identifier. En cette période difficile à l’échelle mondiale causée par la situation liée au Covid-19, où presque aucun pays n’est épargné par les difficultés sanitaires, financières et économiques, tout le monde devrait se soutenir mutuellement afin que nous puissions nous en sortir au plus vite. La coopération et le soutien sont essentiels dans les moments de crise mondiale», soutient-il. Et de rappeler que le ministère des Services financiers a déclaré que Maurice a obtenu une assistance technique de l’AML/CFT Global Facility financée par l’Union européenne et du gouvernement allemand par l’intermédiaire de l’Agence allemande de développement (GIZ) pour soutenir la mise en œuvre du plan d’action du GAFI.

MAURICE, UN BON ÉLÈVE

De son côté, le président de l’Association of Trust and Management Companies, Mahesh Doorgakant, insiste sur le fait que Maurice a toujours été à l’avant-plan sur le plan de la conformité et qu’il a fourni des efforts afin de répondre aux normes internationales. «Notre progrès dans ce secteur est d’ailleurs le fruit de nos efforts fournis depuis de nombreuses années. Maurice suit aussi de très près les évolutions des normes internationales dans le global business. D’ailleurs, nous sommes souvent à l’avant-garde dans ce domaine, voire plus avancés que certains des pays européens», argue-t-il. Concernant les cinq critères restants, la décision de la Commission européenne nous coupe dans notre élan. Pour cause, estime Mahesh Doorgakant, il nous manquait encore quelques mois pour répondre aux 40 normes de l’OCDE et du GAFI. «Cela est d’autant désolant, car le monde est actuellement impacté par la pandémie du Covid-19. Maurice n’ayant pas été épargné par le virus, cette annonce vient enfoncer davantage le pays», soutient-il. Quant à Ludovic Verbist, Managing Director d’AAMIL Group, il déplore la décision de l’Union européenne qu’il trouve très dommageable pour Maurice. Au vu des mesures législatives mises en place à Maurice, cette mesure n’est pas compréhensible, mais, estimet-il, ce n’est pas un hasard car le pays a été associé à des scandales politico-financiers récemment. «Je citerais, par exemple, les épisodes Sobrinho ou l’Angolagate et, plus récemment, les problèmes de très mauvaise gouvernance à Air Mauritius et la SBM. À chaque fois, certaines personnes semblent avoir bénéficié financièrement, dans un contexte qui pourrait paraître comme du blanchiment selon les définitions internationales actuelles. Toutefois, aucune suite judiciaire n’a été constatée à Maurice. De plus, les signaux étaient apparents depuis de nombreux mois, mais nos responsables institutionnels n’ont pas pu ou voulu réagir afin d’éviter notre inclusion dans cette liste noire», souligne-t-il. 

Et de faire ressortir : «Selon certains renseignements obte-nus auprès de fonctionnaires de la Commission européenne, ils ont le sentiment que les lois édic-tées à Maurice sont conformes aux nouvelles normes interna-tionales, mais qu’elles ne s’ap-pliquent pas à tout le monde de la même manière».À n’en point douter, le choc est terrible pour notre centre financier qui, en dépit de la crise du Covid-19, a jusqu’ici été moyennement impacté. Désormais, il s’agira de rava-ler notre amertume et de nous mettre au travail pour corriger la perception réduisant Maurice à l’état de paradis fiscal. À n’en point douter, nous jouons gros sur ce coup.

Outre de contribuer à hau-teur de 5,8 % du PIB en 2019 et d’employer pas moins de 15 000 professionnels, le sec-teur du global business est es-sentiel à l’équilibre du secteur financier et de toute l’écono-mie. D’ailleurs, dans son Staff Report sur les Article IV en avril 2019, le Fonds monétaire international (FMI) soulignait que les actifs sous gestion du global business représentent 50 fois la valeur de notre pro-duit intérieur brut (PIB). De plus, les dépôts de la clientèle internationale constituent plus de 40 % des passifs du sec-teur bancaire. Si la machinerie déraille, l’onde de choc sera terrible.Cela dit, il est crucial que dans les semaines à venir – et cela malgré les contraintes que nous impose le Grand confinement – le gouvernement de concert avec les opérateurs mènent une action coordon-née pour défendre l’intégrité du centre financier tout en réitérant au plus haut niveau notre volonté politique d’appli-quer le plan d’action du GAFI. Et ce, en vue de réassurer la communauté des investisse-ments que nous sommes une juridiction crédible.

À ce propos, François de Senneville constate que jusqu’à présent Maurice n’a pas su s’organiser pour dé-fendre efficacement ses inté-rêts au niveau des institutions représentant ses principaux partenaires, et notamment au niveau des institutions de l’Union européenne. Il précise que le cabinet Fieldfisher, par l’intermédiaire de son Groupe Afrique, est actuellement en contact avec les représentants de l’Economic Development Board pour tenter de réagir rapidement au niveau des institutions de Bruxelles et mobiliser les professionnels susceptibles d’aider Maurice à faire entendre sa position.

«Il est urgent de dénoncer vigoureusement le traitement qui est aujourd’hui proposé à Mau-rice. Le pays a un problème ponctuel et immédiat à régler pour ne pas figurer sur la liste noire de l’Union européenne, mais il a aussi et surtout un problème plus structurel car la juridiction est clairement dans le radar de Bruxelles. Jusqu’à présent, aucun budget significatif n’a encore été alloué pour un lobbying efficace sur le long terme pour y remédier. Il est urgent de le faire», fait-il ressortir.Le président de l’ATMC abonde dans le même sens. Il estime que c’est un effort de communication que nous devons faire afin que le monde sache et comprenne ce que Maurice est vraiment. Il faut une transparence pour faciliter cette communication.«À chaque fois que nos par-tenaires européens viennent, ils réalisent que le cadre est loin de ce qu’ils avaient entendu. L’exemple le plus entendu, est qu’il trouve que d’ouvrir un compte bancaire à Maurice est aussi compliqué qu’en Europe, voire plus, car il y a beaucoup de vérifications liées aux problématiques de blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme. Il faut aussi com-prendre que le cadre du global business connaît souvent des réformes et notre défi est d’être au taquet pour pouvoir répondre au plus vite à ces nouveaux en-cadrements», souligne Mahesh Doorgakant.Pour sa part, Nitin Collapen est d’avis que la partie mauri-cienne doit d’abord fournir à l’Union européenne des infor-mations précises et actuali-sées. À cet égard, tant le GAFI que l’ESAAMLG peuvent par-ticiper au processus. Selon lui, il faut capitaliser sur les très bonnes relations que Maurice a toujours entretenues avec l’Union européenne.«Je pense que la confiance nécessaire pour faire les choses correctement, et de manière équitable et mutuellement bé-néfique, est déjà là. Il faut éga-lement noter que nous faisons partie de blocs forts comme que l’OEACP (Organisation des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique), et dont nous avons le soutien nécessaire. Son secré-taire général condamne d’ailleurs la nouvelle liste noire de l’Union européenne. Pour leur faire face, nous pouvons soit jouer notre carte individuelle, soit notre carte collective par le biais de diverses organisations dont nous sommes membres», soutient-il.Alors que le global business est dans la tourmente, il conviendra aux parties pre-nantes de ne pas relâcher la vigilance et de s’assurer qu’à la date butoir du 1er oc-tobre, Maurice ne figure pas sur la liste noire de l’Union européenne. Il faut coûte que coûte stopper cette mécanique infernale. Au cas contraire, dans l’ère post-Co-vid-19, c’est tout le système financier qui sera fragilisé.

Les actions de l’ATMC Actuellement, l’ATMC planche sur les cinq critères que Maurice devra remplir pour ne pas figurer sur la liste des pays à risques élevés de la Commission européenne. Certains de ces critères concernent des lois dans des secteurs spécifiques. À ce propos, précise Mahesh Doorgakant, le gouvernement est en train de travailler sur un meilleur encadrement. Il faut aussi augmenter le nombre d’inspections que les autorités et les opérateurs sont en train de faire. Fondamentalement, Maurice doit démontrer que ces mesures fonctionnent. Le GAFI cherche notamment à comprendre le degré d’efficacité des mesures prises et des infrastructures. Et veut s’assurer que le cadre est respecté.

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